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2. Méthodologie qualitative

2.2. Approche féministe en méthodologie

L’approche féministe en recherche se distingue principalement au niveau des paradigme et épistémologie, de même que sur les méthodes de recherche à utiliser. C’est ce qui fera l’objet de cette section.

Pour débuter, la rupture épistémologique proposée par la recherche féministe est de considérer les rapports de pouvoir qui ont construit le vécu des femmes, de même que les rapports de pouvoir dans la production de la recherche (Beckman, 2014). Cela amène une reconsidération de l’objet d’étude. Les femmes ne sont pas considérées en tant que simple objet, mais comme

sujet. Cette posture vient en critique au positivisme qui occulte les dimensions de genre dans

l’analyse des phénomènes sociaux (Sprague, 2005). Pour illustrer ce point, dès 1985, c’est ce que décriaient Poirier, Dagenais et Gregory qui étudiaient la condition des femmes en Guadeloupe. Ils critiquaient déjà que les données officielles du pays excluaient les modes de production typiquement féminins, comme le travail domestique, ce qui ne leur permettait pas

touchant les femmes, c’est pour cette raison que le terme militante sera maintenu au féminin. La participation de cette personne à la recherche a été pertinente pour explorer plus largement les questions liées au genre, mais également puisqu’elle a vécu des interactions reliées au fait que la police la percevait comme une femme cis (voir la section sur les résultats). Les questions d’identité de genre dans le contexte de militantisme et de gestion de foule mériteraient tout de même d’être soulevées plus profondément dans de recherches futures pour comprendre comment la police pourrait percevoir les individus non cisgenre.

d’avoir accès aux réalités des femmes de manière fidèle. Ils ont donc penché pour une méthodologie mixte, avec une approche qualitative, pour y arriver (Poirier, Dagenais, & Gregory, 1985). C’est ainsi que Beckman (2014) revendique que la variable du genre doit être davantage utilisée comme une catégorie d’analyse pour mettre en lumière l’existence de toutes et tous. Le rapport aux objets tient compte de la subjectivité émanant du contexte social et culturel de la production du savoir, c’est-à-dire que cela tient compte des relations historiques qui ont mené à créer l’expérience des groupes, tout en ayant conscience de ses propres relations avec ceux-ci (Beetham & Demetriades, 2007; Guba & Lincoln, 1994; Landman, 2006; O’Shaughnessy & Krogman, 2012). Le sujet est donc au centre de la recherche ce qui nous amène à mieux comprendre les relations de pouvoir dans un contexte historique et matériel donné (Collins, 1998).

L’approche féministe tient compte du contexte social, historique, des relations de pouvoir dans lesquels se situe l’individu et a une visée de changement social (Guba et Lincoln, 1984). Toutefois, elle ne se limite pas à la considération du sujet d’étude, mais se questionne également sur les relations de pouvoirs dans la production de la recherche. Plusieurs chercheuses féministes se sont penchées sur la conception du savoir et la production du savoir (Haraway, 1988; Harding, 1987; Hartsock, 1987; Smith, 1987). L’épistémologie féministe remet en question la conception de l’objectivité classique en science puisqu’elle ne tient pas compte des croyances qui construisent le chercheur (Harding, 1987). Pour Harding (1987), le chercheur doit se placer dans le portrait qu’il tente de dépeindre puisqu’il est lui-même construit à travers des relations sociales, des croyances et des expériences qui ont des incidences sur la recherche. Dans l’application de la recherche féministe, il s’agit de reconnaître que la production des données est influencée par la personne qui mène la recherche (Harding, 1987; Haraway, 1988). La reconnaissance de la subjectivité est même, pour Harding (1987), une façon d’augmenter l’objectivité. Cette objectivité féministe comme l’entend Haraway (1987) est un savoir situé. Les théories du point de vue (standpoint theory) expriment qu’une personne faisant partie d’un groupe opprimé détient un avantage pour comprendre les réalités d’opprimé (Espínola, 2012). Il s’agit du privilège épistémique. À l’origine, les théories du point de vue, bien qu’adoptant différentes postures, mettent de l’avant que les femmes jouissent de cet avantage dans la recherche parce que vivant elles-mêmes des oppressions.

Ainsi, ces notions guident les pratiques en recherche. Cependant les méthodes à utiliser font l’objet de débats et elles varient selon les études. Le travail d’O’Shaughnessy et Krogman (2012) met de l’avant que la méthodologie qualitative est privilégiée par la perspective féministe puisqu’elle adopte un point de vue critique par rapport aux vécus des sujets et de remise en question du savoir établi. La collecte de données par entretien est donc couramment employée. Par contre, certains chercheurs sont d’avis que l’utilisation des méthodes qualitatives peut aussi reproduire les schèmes de pouvoir dominants et que c’est davantage l’attitude et la lunette du chercheur qui sont importantes dans la façon de construire la recherche (Ackerly, 2009 ; Landman, 2006; Sprague, 2005). De plus, la recherche sur les femmes ne doit pas seulement se centrer sur les rapports de domination vécus relativement au genre, mais aussi sur les rapports de race, classe, orientation sexuelle, condition physique, etc. (Beckman, 2014 ; Taylor 1998). Cela constitue d’ailleurs la principale critique adressée à l’endroit des pratiques féministes en méthodologie (Sprague, 2005). Elle doit être en mesure de redonner du pouvoir aux femmes que ce soit dans le processus de la recherche ou par la diffusion des résultats (Corbeil & Marchand, 2006; Crenshaw, 1991; Taylor, 1998). Les principes et méthodes varient donc dans la production de savoir et ne font pas nécessairement l’objet de consensus. Celles-ci se font pour et avec les femmes dans le but d’avoir une compréhension de leur situation et de créer des leviers d’action pour le changement social de leurs conditions. Les stratégies utilisées dans cette recherche pour favoriser la diminution des rapports de pouvoir entre les militantes* et l’étudiante-chercheuse ont débuté par la prise en compte de notre point de vue par rapport à notre objet d’étude et aux sujets. Prendre en considération ses propres perspectives en tant qu’individu producteur de savoir permettra de comprendre nos influences sur le développement du processus de recherche.

Tout d’abord, je me perçois en tant que jeune femme, blanche, militante et féministe. Le début de mon parcours militant s’est amorcé avec la grève étudiante de 2012 alors que j’étais cégépienne. Cette époque a profondément marqué mes questionnements de l’univers social dans lequel nous nous situons, mais également sur le fonctionnement de l’État et de ses organes de contrôle. Ayant la fibre féministe, ces évènements m’ont permis de mieux saisir les rapports de pouvoir perpétuant des injustices sociales pour les femmes. Ma compréhension théorique du féminisme s’est alors développée au courant des années qui ont suivi. Ces expériences ont considérablement influencé mes intérêts de recherche. Me posant, au tout début de mon parcours

à la maîtrise, des questions quant aux interactions entre la police et les manifestants dus à mon vécu du printemps 2012, ce sont mes sensibilités féministes qui m’ont permis de mieux identifier le vide empirique entourant l’expérience des femmes dans ce champ d’études.

Ce vécu, en tant que militante étudiante en 2012 et en tant que femme, ont aussi construit le rapport entre les participantes* à la recherche et moi-même. La majorité d’entre elles* ayant également participé à cette mobilisation, j’avais une connaissance et une compréhension de leur réalité, mais avec une distance. N’ayant moi-même été qu’une fois témoin d’interaction conflictuelle avec la police lors d’une manifestation, j’avais une implication différente que celle de ces femmes*. Ce vécu partagé a facilité le contact avec celles*-ci puisque je pouvais aisément comprendre leurs références quant à leur mobilisation, mais aussi au fait d’être une femme. En misant sur le partage et l’échange, de même qu’en maintenant une attitude d’ouverture et de non-jugement, nous avons posé les bases des rapports égalitaires. Dans l’objectif d’atteindre ces rapports, nous avons également proposé aux participantes* d’avoir accès aux matériels produits (bande audio de leurs entrevues). Ma perspective, émergeant de mes expériences personnelles et en lien avec le vécu des militantes*, a eu des effets considérables sur le déroulement de ma recherche.