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Effets de l’intervention policière en gestion de foule

3. La gestion policière des foules

3.2. Effets de l’intervention policière en gestion de foule

Les champs d’études de la gestion policière des foules et de la répression des mouvements sociaux ont amené un questionnement plus large que la compréhension des mécanismes menant au contrôle social de l’action collective. Les effets que le contact avec les forces de l’ordre induisent sur les militants et militantes ont été ainsi considérablement étudiés par la recherche dans ce domaine. Les effets de la répression sur les mouvements et les individus qui les composent seront analysés dans l’objectif d’apporter une compréhension complète du vécu des femmes militantes dans leur rapport à la police.

La recherche entre la répression policière des mouvements sociaux et les effets sur la mobilisation a permis de mettre en lumière quatre types de relation entre les acteurs. Dans sa première théorisation de la répression, Tilly (1978) avait émis que la répression et la mobilisation entraient en relation selon deux modèles de corrélation : la répression mène vers une décroissance de la mobilisation ; la mobilisation mène vers une plus grande répression. Toutefois, dans sa recherche de 2005, le chercheur ajouta deux relations pour élargir sa conception de la corrélation répression-mobilisation et ainsi tenir compte des éléments occultés dans sa version antérieure : la répression fait croître la mobilisation; la mobilisation fait décroître la répression (Tilly, 2005)4. Ainsi, pour les personnes militantes ou les

organisations militantes, la croissance de la mobilisation se représente par la pérennisation de la

4 Se référer au modèle en annexe 1 pour mieux comprendre les mécanismes et processus derrières les relations. Figure I.

mobilisation, pouvant mener jusqu’à la radicalisation et la prise des armes (Combes & Fillieule, 2011). La radicalisation de la pratique militante s’observe par des changements de répertoire d’action par les groupes militants et les individus et est liée à divers mécanismes, notamment par la mobilisation émotionnelle où les émotions deviennent un moteur à la radicalisation5 (Combes & Fillieule, 2011). À l’inverse, d’autres recherches présentes plutôt que la répression policière tue la mobilisation et fait décroître l’engagement militant. Combes & Fillieule (2011) rapportent que les tenants des théories sur la mobilisation des ressources sont plutôt d’avis que la répression policière augmente les coûts et les risques reliés à l’action protestataire et que cela est dissuasif pour les militantes et militants qui voient un moins grand avantage à l’action6. Comme il a été vu, la police tend à catégoriser les groupes et individus lorsqu’il en vient à l’intervention policière auprès des foules, utilisant sur les groupes considérés comme dangereux des stratégies plus répressives comme des techniques militarisées ou bien de neutralisation préventive. Il est donc nécessaire de tenter de saisir si ces effets sont différenciés selon les individus militants et les organisations de mouvement social qui sont ciblés pour approfondir les répercussions sur les femmes. La stigmatisation et la catégorisation des groupes et individus par les agents de contrôle social ont des effets particuliers pour ceux qui la vivent comme vus précédemment avec l’étude de Rafail. Celle-ci montre que les groupes aux idéologies radicales sont davantage touchés par la surveillance policière (2014). Toutefois, l’étude de Rafail se concentre précisément sur les idéologies sans considérer d’autres caractéristiques des groupes telles que la race, le genre ou la classe. Ainsi, les analyses effectuées demeurent principalement unidimensionnelles où seule l’idéologie politique des acteurs sociaux est prise en considération alors que certaines études mettent de l’avant l’importance de l’effet des caractéristiques multiples des individus ciblés. Par exemple, l’étude de Wood (2007) sur la diffusion nationale et transnationale des tactiques de protestations de Seattle (tactiques de Seattle), suite aux manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1999, a montré que les organisations militantes moins privilégiées sur le plan monétaire et des organisations de

5 Pour plus de lectures sur le sujet, voir Goodwin, J. et Jasper, M (2003) qui discutent de la place des émotions dans

la question de la mobilisation. J. Goodwin, M. Jasper (2003) Rethinking Social Movements. Structure, Meaning

and Emotions, Lanham, Rowman & Littlefield Publishers.

6 Pour plus de lecture sur le sujet voir McAdam, D., & Wiltfang, G. (1991) « The Costs and Risks of Social

militants et militantes racialisées ont été limitées à cause de facteurs identitaires. Ceci est aussi lié à la répression policière vécue par ces groupes. En rapportant le témoignage d’un militant altermondialiste racisé, Wood (2007) explique que les impacts des arrestations policières subies par les militants ne prenaient pas la même importance auprès des militants racisés puisqu’une fois en détention, il est plus facile pour les militants blancs de classe moyenne, étudiants, de sortir de détention qu’une personne noire (Wood, 2007). Lorsqu’on prend les exemples des émeutes à Londres, en 2011 (Briggs, 2012), ou les émeutes de Ferguson en 2014 (El-Enany, 2015), les individus participants aux émeutes ont été perçus comme des criminels, dénués de toute identité politique, ce qui a amené une réponse militarisée de la police et la judiciarisation de ces individus (Briggs, 2012; El-Enany, 2015). Plus encore, les personnes réprimées étaient principalement des personnes racisées ou de classes sociales inférieures.

D’ailleurs, lorsque la répression policière et étatique a contribué à la radicalisation des mouvements, qui ont passé à la clandestinité et à la lutte armée, cela a eu pour effet d’apporter une réorganisation du travail militant (Combes & Fillieule, 2011). Or, cette réorganisation a causé des impacts sur la division sexuelle des tâches militantes et a renforcé les rapports sociaux de sexe. Comme Combes et Fillieule (2011) l’ont illustré, la lutte armée et le passage à la clandestinité comme réponse à la répression ramènent des rôles traditionnellement occupés par les hommes puisqu’ils sont liés à la force physique et à la violence, ce qui exclut les femmes de ces lieux de pouvoir. De manière plus subtile, les auteurs rapportent par leur revue de la littérature que ces réponses à la répression peuvent amener les femmes à être renforcées dans les positions stratégiques qu’elles occupent, puisque les femmes occupent des rôles de création et de maintien des réseaux militants qui sont importants et moins visés par les outils de contrôle (Fillieule, 2009). De plus, si l’on poursuit dans la lignée de Dupuis-Déri (2009) et Filteau (2009) qui ont mis en lumière que les femmes militantes pouvaient vivre de la répression à caractère sexuel, il est possible de faire l’hypothèse que cela aura eu des conséquences importantes sur leur mobilisation, mais aussi au niveau psychologique. La démobilisation suite aux interventions policières est effectivement répertoriée dans la littérature (Combes et Fillieule, 2011). Ainsi, il est possible de constater que des vulnérabilités sont créées notamment au niveau de l’identité politique, mais aussi du genre, de la race, de la classe, etc.

4. Cadre théorique : interactionnisme, féminisme et