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5. CADRAGE THÉORIQUE

5.2. L A NOTION DE COMPÉTENCE : BRÈVE PERSPECTIVE HISTORIQUE

5.2.1. C OMMENT DÉFINIR LA COMPÉTENCE ?

La plupart des auteurs qui font référence sur ce point s’accordent pour souligner que la notion de compétence fait débat et qu’il est difficile de trouver une définition univoque malgré le fait que ce terme soit largement utilisé et débattu. En effet, force est de constater que le concept de compétence reste polymorphe et, comme le souligne Jacques Tardif (2017), qu’il n’est pas toujours utilisé avec la même acception. Pour cette raison, définir la notion de compétence n’est pas simple car le concept est polysémique avec de fortes implications sociales. Ce dernier aspect fait que la définition de compétence est « instable » car elle relève de représentations sociales (Gilbert, 2016). Ce flou sémantique amène le risque que la définition « devienne un mot-valise, ou selon la savoureuse métaphore d’Albert Jacquard un « mot-éponge ».

Comme l’éponge absorbe peu à peu les substances qu’elle rencontre, le mot compétence s’enrichit de tous les sens attribués par ceux qui l’emploient (Gilbert &

Parlier, 1992, p. 14). La notion de compétence est souvent mise en tension avec d’autres concepts tels que connaissance, expérience, savoir-faire etc. soit pour les remplacer, soit pour les discriminer. Pour des auteurs comme Dolz et Ollagnier,

« Cette notion interroge la pertinence et la légitimité des savoirs conceptuels élaborés, les concordances/discordances des phénomènes que ces savoirs identifient et expliquent, et la méthode même par laquelle ces savoirs sont construits. Enfin, elle questionne l’influence que le contexte socio-économique et les contraintes des systèmes institutionnels de formation exercent sur l’élaboration de ces savoirs. » (Dolz & Ollagnier, 2002a, p. 8)

Donc, parler de compétences, signifie se confronter à des idées contradictoires, mais aussi à « un concept étendard dans la mesure où il réalise, autour de lui, le consensus de groupes de pression traditionnellement en opposition » (Crahay, 2006, p. 98). A ce sujet il n’est pas rare de considérer la compétence comme un cumul de savoirs avec une liste pléthorique d’activités. Le Boterf (2015) relève qu’encore trop souvent nous considérons la compétence comme une ressource mais de manière décontextualisée.

Une compétence s’organise et s’entraine en action et elle est influencée par son contexte et vice-versa. Une compétence renvoie donc à la capacité du sujet de produire une réflexion et une action donc d’avoir une cognition en situation. En d’autres termes, la notion de compétence reste opaque car elle est instable et constamment mouvante. « La compétence est trop souvent entendue comme une « application » de savoirs théoriques ou pratiques, ou comme un ensemble d’aptitudes ou de traits de personnalité (rigueur, esprit d’initiative, ténacité…) » (Le Boterf, 2015, p. 59).

Être compétent, signifie faire preuve d’une série de savoirs (savoir, faire, savoir-être) en situation. Donc ces savoirs se développent, se co-construisent et se transforment constamment. La compétence est donc difficile à concevoir comme élément isolée et décontextualisé. Divers auteurs de référence du champ, (Allal, 2002;

Bronckart & Dolz, 2002; Bulea Bronckart & Bronckart, 2016; Dolz & Ollagnier, 2002a;

Le Boterf, 2013a, 2015; Perrenoud, 2002, 2008; Rey, 2010), illustrent bien que la compétence est un processus qui s’articule avec d’autres composantes cognitive, expérientielles mais toujours dans une logique sociale.

Pastré quant à lui parle d’une « notion à plusieurs facettes dont on a du mal à saisir l’unité ». (Pastré, 2011, p. 65). De son côté, Philippe Perrenoud (2008), met en garde contre trois fausses pistes qui entravent la compréhension de la notion. La première fausse piste est celle de comparer la compétence à la maitrise d’objectifs, la deuxième est celle d’opposer compétence et performance et la troisième est celle de considérer

« la compétence comme une faculté générique, comme une potentialité de tout esprit humain. » (Perrenoud, 2008, p. 25) A noter aussi que le concept de compétence assume une coloration différente s’il est utilisé dans le domaine de l’éducation ou du travail.

« L’émergence de la notion de compétence en éducation est le signe de changements épistémologiques. Elle renvoie à la construction interne, au pouvoir et au vouloir dont dispose l’individu de développer ce qui lui appartient en propre comme « acteur » « différent » et « autonome. […] Dans le domaine du travail, la compétence caractérise les dimensions potentielles ou effectives des travailleurs pour agir efficacement en fonction des exigences des entreprises. Avec la notion

de compétence on définit le savoirs d’expérience nécessaire aux actes de travail permettant au sujet de résoudre les problèmes qui surgissent dans la vie professionnelle.» (Dolz & Ollagnier, 2002a, p. 8).

La compétence a affaire, pour reprendre Rey (2014) à la capacité d’effectuer correctement une tâche de manière consciente indépendamment du hasard. Cette considération montre que les compétences sont des « acquis, des apprentissages construits » (Perrenoud, 2008, p. 25) donc des ressources qui sont mobilisables et maniables de manière réflexive par le sujet pour solutionner le problème posé.

Toutefois, même si la définition varie en fonction des auteurs, nous constatons dans la revue de la littérature qu’une certaine unanimité se fait autour de quelques aspects constitutifs de la compétence. A la suite de ces constats pour cette étude j’ai donc gardé, comme définition de compétence, les quatre aspects suivants. Le premier est que la compétence est constitué de connaissances qui sont des représentations de la réalité (Perrenoud, 2008). Ces connaissances font partie des ressources cognitives de la personne. Ces connaissances, souligne Philippe Perrenoud, peuvent être

« déclaratives décrivant la réalité sous forme de faits, lois, constantes ou régularités […] procédurales décrivant la procédure à suivre pour obtenir tel ou tel résultat : les connaissances méthodologiques en sont une sous-espèce […]

conditionnelles [qui] précisent les conditions de validité des conditions procédurales. » (Perrenoud, 2008, p. 9)

Le second aspect est la capacité à mobiliser ces ressources en situation de manière pertinente et à bon escient selon des schèmes.

« Dans sa conception piagétienne, le schème comme structure invariante d’une opération ou d’une action, ne condamne pas à une répétition identique. Il permet au contraire, au prix d’accommodations mineures, de faire face à une variété de situations de même structure. C’est en quelque sorte une trame, dont nous nous écartons pour tenir compte de la singularité de chaque situation. » (Perrenoud, 2008, p. 29)

La mobilisation des schèmes doit être entrainée de sorte à devenir « « une seconde nature » […] un habitus » (Perrenoud, 2008, p. 34). Ces schèmes s’adaptent, se développent et s’organisent en situation et ils s’appliquent à des familles (ou classes) de situations (Rey, 2014). Une compétence doit permettre de faire face à plusieurs situations similaires mais pas semblables. « Une famille de situations s’ébauche empiriquement, pragmatiquement. Cet ensemble n’est pas fermé il s’enrichit au gré des péripéties de l’existence. » (Perrenoud, 2008, p. 38).

En effet, une compétence n’est pas définie une fois pour toute mais elle s’organise et se structure avec le temps. D’ailleurs, ce troisième aspect qui est le temps est très important dans le processus car une compétence se développe dans un effort pratique (Altet, 2012, p. 49). In fine une compétence est certes « une combinatoire où chaque élément se modifie en fonction des caractéristiques de ceux auxquels il s’associe. »

(2015, p. 59) mais elle est « orientée vers une finalité. » (Allal, 2002, p. 79). Le fait d’avoir une finalité est le quatrième aspect constitutif d’une compétence.

La notion de compétence garde une dimension complexe et systémique qui s’organise dans une dynamique « de la mobilisation et de la combinaison de ressources » (Tardif, 2017, p. 19) qui s’organisent en contexte pour pouvoir répondre de manière adaptée à un but ou pour faire face à une nécessité inédite dans une logique réflexive. Cette définition de compétence implique d’une part qu’elle se développe sur une temporalité longue avec des processus récursifs de va-et-vient entre des moments d’action et des moments de réflexion. C’est cette tension qui permet à l’étudiant de se construire une pratique réflexive nécessaire pour surmonter des obstacles et pour atteindre un but.

Mais d’autre part, la possibilité de combiner des ressources (Tardif, 2017) dans un contexte constamment nouveau est pratiquement infinie. De ce fait la notion de compétence comme d’ailleurs la pratique, n’est pas statique et ceci pose problème pour organiser les cursus et les dispositifs d’enseignement. Pour les formateurs de terrain, cette tension est en partie réduite et médiatisée par l’utilisation du référentiel qui lui nomme, définit et stabilise les compétences nécessaires à la pratique du métier.