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L’ ALTERNANCE INTÉGRATIVE : UNE PREMIÈRE DÉFINITION

5. CADRAGE THÉORIQUE

5.3. L’ ALTERNANCE INTÉGRATIVE : UNE PREMIÈRE DÉFINITION

Le référentiel de la HES-SO s’inscrit dans un dispositif de formation en alternance spécifique aux travailleurs sociaux qui se développe sur six semestres et qui rémunère les étudiants durant les deux semestres de stage dans les institutions. Depuis plus de vingt ans, les formations en alternance sont citées lors des débats sur la professionnalisation des métiers et souvent utilisées comme le dispositif idéal pour la formation des adultes. En effet, quand on parle de formation en alternance on fait généralement référence à un type de formation qui s’organise en deux temps : des moments de conceptualisation qui se déroulent dans les instituts de formation en alternance avec des moments où l’étudiant est confronté à la réalité de la pratique.

Dans le cadre de la formation HES des travailleurs sociaux cette alternance assume un caractère encore plus particulier par le fait que l’étudiant dispose d’une indemnité versée par l’institution. Cette rémunération a une influence sur la manière dont l’étudiant investit ses tâches de travail et celles de formation car il est perçu par les collègues comme salarié et comme apprenant. Cette double identité de l’étudiant est subtile et difficile à négocier entre les tuteurs et les formateurs de l’école impliqués dans sa formation. La littérature décrit des dispositifs d’alternance qui s’inscrivent dans un statut de salarié comme par exemple le système dual, l’apprentissage et le système coopératif et d’autres dispositifs où l’alternance se développe dans un contexte scolaire, universitaire ou de formation continue. Cette variété des dispositifs montre bien que l’alternance n’est pas un produit unique mais bien un processus qui doit être interrogé dans son contexte. Pour cette raison divers auteurs (Boudjaoui & Gagnon, 2014; Maubant, 2007a; Perrenoud, 2001) parlent de l’alternance comme d’un concept dynamique qui doit être constamment interrogé et difficile à appliquer. Aussi,

« l’alternance peut être posée comme une question cherchant à mettre en œuvre cette recherche d’articulation et de synergie entre le temps de l’apprentissage et celui de l’action. » (Maubant, 2007b, p. 54).

La formation en alternance est dans une certaine mesure une idée plutôt qu’un programme défini une fois pour toutes. En effet, depuis toujours l’homme apprend par son action et par le travail. « Penser l’alternance, c’est alors concevoir différentes manières de produire du savoir en lien avec l’expérience vécue en milieu professionnel » (Boudjaoui & Gagnon, 2014, p. 3). Cette formation peut être vécue

« de manière synchrone au sein de dispositifs, mais également de manière asynchrone à l’échelle du parcours professionnel d’un sujet fait de continuité, de ruptures, de bifurcations, d’oscillations. Dans cette optique, la réflexion sur l’alternance asynchrone se rapproche de l’idée de formation tout au long de la vie. » (Boudjaoui &

Gagnon, 2014, p. 3)

Avec cette première définition de l’alternance, nous constatons de toute évidence qu’elle est plus qu’un dispositif à deux temps. Et comme le disent Boudjaoui et Gagnon

« L’alternance ne serait-elle pas finalement une propriété fondamentale de différentes situations d’apprentissage mises en tension par le sujet ? » (Boudjaoui & Gagnon, 2014, p. 3).

L’alternance est donc un processus complexe et dynamique qui naît et se développe dans un triptyque : étudiant, école, milieu de formation et qui vise l’émergence et l’intégration de savoirs (compétences) qui sont coproduits par le sujet dans son contexte. Pour qu’elle soit intégrative, la formation en alternance doit permettre à l’étudiant de faire des expériences variées qui alimentent et consolident ses connaissances dans un mouvement circulaire. Jobert dans son éditorial L’alternance un fait total dit :

« L’alternance est une modalité d’aménagement des rapports entre la connaissance et l’action. Au cœur de ce rapport, se trouve la question de l’expérience, à la fois comme savoir mais aussi comme ressource. En effet, l’expérience ne peut se constituer que dans l’action, mais dans le même temps, c’est aussi grâce à cette expérience que l’action efficace est possible. Dans un mouvement d’alternance, l’expérience se trouve aux deux pôles : l’action pour produire l’expérience et l’expérience pour produire l’action. » (Jobert, 2012, p. 5) A partir de ces divers constats, il est évident qu’une définition trop restrictive et univoque de l’alternance intégrative est sujette à caution. Néanmoins, pour la présente étude, je me suis appuyé sur une conception de l’alternance qui essaye de dépasser une vision trop exclusive du dispositif de formation qui alterne de manière cyclique des lieux (l’entreprise et l’école) et des savoirs (théorie et pratique) pour aller vers une définition plus systémique et hétérogène.

Aussi, l’alternance intégrative est considérée ici comme un processus de formation holistique qui s’inscrit dans plusieurs temporalités et qui s’organise de manière hétérogène et dynamique pour permettre l’acquisition d’« apprentissages professionnels intégrés, complets et pertinents, et [qui] s’accompagnent d’effets tels que la construction et l’épanouissement identitaire des apprentis » (Durand, 2012, p.

31). L’alternance intégrative est alors un type de formation qui combine une épistémologie du savoir et une épistémologie de l’action (Durand, 2012) et qui

considère l’« activité humaine comme une totalité insécable, faisant expérience, intégrant savoir et action, étant situé ou distribuée entre l’acteur et son environnement et présentant toujours comme productive (un engagement industrieux au monde) et constructive (de transformation d’elle-même). (Durand, 2012, p. 36).

5.3.1. Les enjeux de l’alternance intégrative en travail social

L’alternance intégrative est un processus complexe qui s’appuie sur l’idée que l’action et plus particulièrement le fait d’agir en contexte est indispensable au développement des savoirs professionnels. Toutefois, l’activité est un objet instable car elle se forme et se transforme de manière constante et elle ne suit pas toujours les transformations espérées. Aussi pour que ce processus de formation soit source de transformations majorantes (Durand, 2012) il me semble utile d’illustrer certains enjeux et certaines dynamiques qui peuvent parfois se révéler être des freins pour le développement et la professionnalisation des étudiants qui s’y engagent.

Le premier aspect qui émerge durant une formation en alternance est la difficulté pour les étudiants à trouver une certaine cohérence entre le discours tenu par les instituts de formation et celui dispensé par les tuteurs en entreprise. En effet, l’efficacité de ce dispositif réside dans un continuum cohérent et complémentaire qui permet à l’étudiant de faire des expériences et les articuler avec les notions acquises sur les bancs de l’école. Ce va-et-vient doit être étayé par le discours et la synthèse des experts sur l’action que l’étudiant a menée. Il n’est pas rare de constater que le discours de l’école ne colle pas avec celui des terrains. Souvent, un décalage se produit entre des positions très (trop) dogmatiques tenues par les écoles et d’autres très réductionniste et simplificatrices tenues par les tuteurs qui ne permettent pas à l’étudiant de lier la théorie à sa pratique.

Un deuxième enjeu fait son apparition : « la problématique de l’apprentissage orienté vers l’agir vs l’analyse de cet agir » (Vanhulle et al., 2007, p. 8). En effet, pour que l’alternance soit intégrative il est nécessaire que l’étudiant soit mis dans une posture de production (Vanhulle et al., 2007) et de formation. Ce mouvement qui consiste à pouvoir être dans le feu de l’action et à lire son action doit être associé à des moments de recul, de symbolisation et de synthèse typiques d’un processus de formation. Ce double mouvement est difficile à mettre en œuvre car l’étudiant est souvent considéré comme un collègue supplémentaire donc comme une personne qui doit produire voire compenser les manques institutionnels si nécessaires. Cette survalorisation de l’agir productif pour l’institution supplante et occulte le nécessaire aspect métacognitif de synthèse qui permet l’intégration des savoirs et le développement des compétences.

Parfois cet aspect n’est pas oublié mais délégué (ou consciemment cantonné) aux seuls moments de retour à l’école. Ceci est dommageable pour la cohérence d’ensemble et aboutit souvent à la mise en œuvre d’un dispositif alternant de type juxtapositif. Ce type d’alternance, qui séquence le temps et les lieux en les mettant

souvent en concurrence est peu profitable au développement de compétences qui dépassent la simple dichotomie théorie-pratique.

A la suite de ce qui précède, un autre enjeu des dispositifs en alternance est la difficulté à proposer des dispositifs qui développent des connaissances techniques et des savoirs et qui en même temps permettent l’individuation du sujet. Pour ce faire l’étudiant doit bénéficier d’une organisation transparente et coordonnée (Fourdrignier, 2012) entre les divers lieux de formation. En effet, c’est la cohérence des programmes (attentes, valeurs, moyens …) et la transparence des relations entre sites de formation qui permettent à l’ensemble du système de créer un climat de sécurité pour que l’étudiant puisse disposer d’une certaine liberté de pratique pour faire ses expériences qui dans un second temps seront reprises et discutés avec les professionnels. Pour créer une alternance intégrative, l’étudiant doit donc disposer d’un certain capital de confiance du système pour qu’il puisse s’engager dans un processus d’essai et d’erreur indispensable au développement de son esprit critique. C’est donc par une pratique à deux temps qui intègre des moments d’erreur et des moments de secondarisation avec les tuteurs et les enseignants que l’étudiant peut développer une identité et une posture réflexive.

Un autre enjeu significatif d’une formation en alternance est la gestion de la tension inévitable entre deux temporalités : une temporalité nécessaire au développement et à l’intégration des apprentissages et une temporalité institutionnelle dictée par le dispositif. La première est une temporalité subjective et mouvante constituée de boucles rétroactives entre des phases de progression et d’assimilation et qui ne peut pas être définie à l’avance. La seconde est rigide et n’est pas centrée sur l’apprenant.

Ce décalage temporel est un élément qui, cumulé aux autres contraintes comme l’aspect productif et formatif du dispositif (Vanhulle et al., 2007), constitue certainement un des freins majeurs à l’acquisition de certaines compétences attendues par une formation en d’alternance en travail social. En effet, le fait de devoir calibrer l’acquisition de compétences très subjectives, comme par exemple celle d’avoir une posture relationnelle adéquate, demandent que le calibrage du processus d’acquisition se fasse dans un espace-temps individualisé souvent étranger aux impératifs de la structure.

La gestion de cet espace-temps individualisé propice aux apprentissages est souvent déléguée aux tuteurs. C’est à eux qu’incombe la tâche d’évaluer comment organiser ces deux temporalités pour qu’elles soient propices à l’apprentissage. Cette délégation de calibrage des divers espace-temps de formation n’est pas toujours évidente pour les praticiens formateurs car

« Le tuteur est avant tout un professionnel qui doit assurer sa charge de travail.

Il veille ensuite, à engager l’apprenti dans le procès de production en distribuant les tâches à sa portée. Il n’y a guère d’espace-temps spécifique à la réalisation d’une intervention tutorale, toujours inscrite dans le cours du travail et adressée indifféremment à l’apprenti et au producteur » (Kunégel, 2007, p. 210).

Malgré ces points d’alerte il est évident que pour former des professionnels à une pratique complexe comme le travail social les dispositifs en alternance restent incontournables car ils permettent d’exercer des techniques et des manières de faire avec la tension et la mouvance du terrain. Cette tension « qualifié d’interpsychique en référence aux théories socioculturelles inspirées de Vygotski » (Billett, 2009, p. 39) oblige l’étudiant à modifier sans cesse ses connaissances et sa manière de s’impliquer (de se positionner) dans l’action et à apprendre par le travail (Billett, 2009).

5.3.2. Le praticien formateur relais de l’alternance

Pour conclure ce cadrage théorique il est important de souligner le rôle que joue le praticien formateur (le tuteur) dans l’accompagnement d’une formation en alternance.

Si la formation en alternance s’articule sommairement sur deux lieux, avec une temporalité décalée et avec l’implication de plusieurs acteurs d’importance (relativement) égale, il faut signaler que l’accompagnement des tuteurs de terrain, la guidance comme l’appelle Billett (2009) est essentielle dans l’acquisition des compétences et n’est pas à sous-estimer.

« Un des deux principes fondamentaux des modalités de participation au travail est le suivant : la façon dont l’environnement professionnel invite les individus et leur offre la possibilité de participer à des activités et interactions détermine la nature et la qualité des apprentissages qu’ils peuvent construire dans et par le travail. Cette « affordance » comprend d’abord la possibilité d’être accompagné par des collègues expérimentés, condition nécessaire pour l’acquisition de connaissances difficilement accessibles par la seule découverte personnelle (Billett, 2002). Un tel « encadrement et guidage » [guidance] s’avère particulièrement important dans des cas où les savoirs professionnels ne reposent pas seulement sur une pratique matériellement attestée mais sur des éléments de conceptualisation invisibles aux yeux des novices. » (Billett, 2009, p. 45)

Ceci est le cas pour la pratique du travail social s’appuyant sur des manières de faire mouvantes et matériellement peu attestées.

Aussi, les étudiants qui se forment au travail social doivent pouvoir s’appuyer sur des praticiens formateurs qui les étayent et les guident dans la découverte des ficelles du métier. Cet encadrement par une personne experte est d’autant plus crucial lors que les étudiants doivent faire preuve d’agentivité (Billett, 2009) dans des champs complexes comme celui de la maladie mentale, de l’handicap, de la précarité et de la déviance etc..

Pour ces raisons le praticien formateur est un relais important de l’alternance car c’est par son implication (ou non) dans le processus de formation et par sa médiation que certaines acquisitions peuvent avoir lieu ou non.

« les tuteurs représentent une « composante vitale », notamment en raison de la diversité et de la complexité de leurs interventions (Koerner, 1992). Ils sont à la fois observateurs (Rikard, 1990), conseillers (Abell, Dillon, Hopkins, Mclnery et O'Brien, 1995 ; Williams, 1993), collaborateurs (Saunders, Pettinger et Tomlinson, 1995), confidents (Clifford et Green, 1996), modèles d'enseignement (Williams, 1993), organisateurs (Rikard, 1990), et évaluateurs (Rikard, 1990 ; Williams, 1993). Pour satisfaire cette multiplicité de fonctions ils doivent posséder une palette élargie de compétences telles la confiance, le respect, l'ouverture d'esprit et une capacité d'écoute (Anderson et Shannon, 1988 ; Clifford et Green, 1996) dépassant le simple cadre d'une expertise professionnelle d'enseignant. » (Chaliès & Durand, 2000, p. 148)

Pour assurer le bon fonctionnement du dispositif les tuteurs ont à assumer une palette importante de rôles qui dépassent souvent la fonction d’enseignant. Le fait de soutenir les processus d’acquisition, d’expliciter les aspects opaques du travail et de l’organiser font du praticien formateur un acteur indispensable pour la participation et l’implication des étudiants.

« Ainsi donc, le rôle prépondérant accordé à la participation, à l’engagement des travailleurs dans un large éventail de tâches et à l’accompagnement par les collègues expérimentés permet de souligner l’importance des ressources mises à disposition par les environnements de travail. De ces « affordances » dépendent à la fois la nature et la qualité des apprentissages effectués sur la place de travail » (Billett, 2009, p. 46).

Dans une logique d’alternance intégrative, ces ressources et ces « affordances » (Billett, 2009) mises en œuvre par les environnements de travail, dont les praticiens formateurs en sont l’incarnation et les garants, sont incontournables pour permettre l’acquisition des compétences nécessaires à la pratique du travail social. Pour équiper les professionnels de terrain avec ces compétences indispensables à l’accompagnement des étudiants en travail social, la HES-SO demande à que toute personne qui encadre un étudiant HES dispose d’un certificat de praticien formateur6. Malheureusement, le programme de ce CAS7 ne prévoit pas de cours spécifiques sur l’utilisation du référentiel de compétences de la HES-SO. Cet aspect et certes travaillé en creux lors des divers modules mais reste un point aveugle de cette formation. Donc les modalités d’utilisation concrètes du référentiel de formation restent à l’apanage d’une interprétation subjective de chaque praticien formateur.

6http://www.cas-pf-hes-vd.ch/

7Certificate of Advanced Studies