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Les Ogonis et la naissance d’un mouvement socioculturel mouvement socioculturel

développemental d’un État « riche »

2. Un moment fondateur : la crise des Ogonis

2.1. La contestation du complexe pétrolier pétrolier

2.1.1. Les Ogonis et la naissance d’un mouvement socioculturel mouvement socioculturel

Dans le Delta du Niger, les éléments du complexe pétrolier sont présents. La configuration du pouvoir représente une alliance entre les entreprises pétrolières avec l’élite au pouvoir. Cette alliance, en faisant la promotion de ses propres intérêts, les défend au mépris de la population ordinaire434. D’après Frynas (2001) la dépendance presque exclusive de l’État au pétrole, le conduit à privilégier les intérêts des compagnies pétrolières au détriment des communautés locales :

“[…], the interests of the oil companies came to play a much greater role in government policy than those of the farming and fishing communities in the Niger Delta and elsewhere. In this context, it is perhaps not surprising that the development of the oil industry took precedence over the interests of the local people”435.

Depuis les années 1990, la lutte pour le contrôle de ressources dans le Delta du Nigéria se développe à partir de la combinaison des forces qui constituent le complexe pétrolier.

2.1.1. Les Ogonis et la naissance d’un

mouvement socioculturel

La domination des intérêts des compagnies pétrolières multinationales ainsi que ceux de l’élite au pouvoir a suscité, à partir des années 1960, des mobilisations sociales dans le Delta du Niger. En 1966, une tentative de sécession de la région est menée par Isaac Adaka Boro436. La République Populaire du Delta a duré uniquement douze jours avant que son meneur ne soit arrêté par le gouvernement fédéral. Toutefois, cette insurrection a établi un précédent dans la région. Dans les années 1970 et 1980, des communautés locales commencent à se mobiliser contre cette alliance hégémonique entre l’État et les compagnies pétrolières qui allait à

433 WATTS, Michael, “Resource Curse? Governmentality, Oil and …2004.

434 Voir TURNER, Terisa, "Multinational Corporations and the Instability … 1976, pp. 63-79; EVANS, Peter, Dependent

Development: The Alliance of …. 1979.

435 FRYNAS, Jêdrzej George, “Corporate and State Responses….2001, p. 30.

436 NWAJIAKU, Kathryn, “Le mémoire et l’oubli. Isaac Boro et les tendances du nationalisme Ijaw contemporaine”,

l’encontre de leurs intérêts. Entre 1990 et 1993, plusieurs communautés (Umuechem en 1990, Ogbia en 1992, Igbide en 1992, Diebu en 1992, Izon Youth Vanguard (Burutu et Bomadi) en 1992; Uzere en 1992 et Irri en 1993437) du Delta du Niger se sont soulevées contre l’État et Shell.

Dans ce contexte, les Ogonis se sont constitués en mouvement social, le Movement for the Survival of the Ogoni People (MOSOP), créé en 1990. Les Ogonis appartiennent aux groupes ethniques minoritaires du Delta du Niger (voir figure 3 ci-dessous).

Figure 3 : carte du pays Ogoni

Source : http://www.unep.org/nigeria/.

Historiquement, ils appartiennent à six royaumes, ayant chacun leur identité propre : Babbe, Eleme, Gokanna, Ken Khana, Nyo Khana et Tai. Ils parlent quatre langues : Khana, Gokana, Tai et Eleme438. Elles sont distinctes même s’il y a des liens linguistiques entre elles. Cependant, ces ressemblances langagières n’ont pas suscité une conscience collective unique avant la fin des années 1940. Par

437 ROWELL, Andrew, Shell-Shocked: The Environmental and Social Costs of Living with Shell in Nigeria , Amsterdam: Greenpeace, 1994.

438 UNREPRESENTED NATIONS AND PEOPLES ORGANIZATION (UNPO), Ogoni Profile, 2008. Disponible en ligne sur: http://www.unpo.org/members/7901. Consulté le 07/07/2011.

exemple, des Elemes ont nié tout lien avec les Ogonis depuis longtemps. Ce n’est qu’en 1947, quand un système fédéral du gouvernement composé de trois régions (l’Est, l’Ouest et le Nord) a été créé, que les Elemes ont fusionné avec le reste des Ogonis pour former une région administrative, l’Ogoni Native Authority (ONA)439. Ainsi, la formation d’une conscience Ogoni est due en partie à une contiguïté territoriale.

Les Ogonis se sont constitués en groupe ethnique en réponse à leur marginalisation politique et économique dans un pays dominé politiquement par les ethnies plus nombreuses440. L’Ogoni State Representative Assembly (OSRA) a été fondé en 1950 pour défendre les intérêts d’Ogoni. Depuis les années 1950, les Ogoni ont réclamé des bourses d’études, des infrastructures sociales, des nominations au sein d’organismes, de conseils et de commissions du gouvernement. Toutefois, ils sont restés divisés sur la question de la transformation de l’ONA en un conseil du gouvernement local. En 1962, l’Ogoni Division Union (ODU) a succédé à l’OSRA. L’éclatement de la guerre civile du Biafra en 1967, et notamment la crainte d’une domination Igbo441, a donné l’impulsion nécessaire pour que les Ogonis revendiquent la création d’un État fédéré. Ce dernier, l’État fédéré de Rivers qui comprend plusieurs ethnies minoritaires dont les Ogonis, a été créé en 1967.

Dans les années 1980 et 1990, plusieurs organisations d’élites ont succédé à l’ODU, dont l’Ogoni Klub et le Kagote Club. Ces organisations, comme l’OSRA, constituaient des dispositifs de patronage. Ils aidaient à placer leurs membres dans la fonction publique et à leur donner des contrats dans l’industrie pét rolière. Le MOSOP a été formé en 1990 à partir de ces groupes et d’autres organisations Ogoni442. Toutefois, les divisions entre les Ogonis ont perduré. Par exemple, au

439 ISUMONAH, V. Adefemi, “The Making of the Ogoni Ethnic Group”, Journal of the International African Institute, Vol. 74, No. 3, 2004, pp. 433 – 453.

440 ISUMONAH, V. Adefemi, “The Making of the Ogoni ... 2004.

441 WATTS, Michael, “Violent Environments: Petroleum Conflict and the Political Ecology of Rule in the Niger Delta, Nigeria”, in PEET, Richard, WATTS, Michael, Liberation Ecologies: Environment, Development, Social Movements , 2nd Edition, London/New York: Routeledge, 1996, p. 263.

442 National Youth Council of Ogoni People (NYCOP), Federation of Ogoni Women’s Association (FOWA), Ogoni

Central Union (OCU), Council of Ogoni Professionals (COP), Council of Ogoni Traditional Rulers Association

(COTRA), Ogoni Teachers Union (OTU), National Union of Ogoni Students (NUOS), Council of Ogoni Churches and

début, les Elemes ont refusé de faire partie du MOSOP car ils ne voulaient pas perdre les bénéfices qu’ils tiraient de l’industrie pétrolière. Deux raffineries de pétrole, une industrie pétrochimique, une entreprise d’engrais et des turbines à gaz étaient localisées dans leur sous-région. Ils se sont associées aux Ogonis car ils étaient empêtrés dans un différend foncier avec les Okrikas, un autre groupe ethnique443.

Les gains qui résultent de la réunification des Ogonis au sein du même État fédéré ont été minés par la création d’autres États fédérés. Plus encore, la réorganisation de l’État et des gouvernements locaux (entre 1976 et 1991) a conduit à un réexamen des bénéfices que les Ogonis ont retirés de leur gouvernement uni. Ils ont évalué la valeur de leur représentation politique, le niveau de dévelop pement de leurs infrastructures et la proportion des fonds nationaux qui leur était allouée au regard de leurs contributions aux revenus nationaux444. Le bilan effectué a suscité des sentiments d’aliénation et de marginalisation chez les Ogoni . À leurs yeux, il existait une forme de prolongement de la colonisation britannique sur leur territoire ; elle était cette fois le fait des ethnies majoritaires et d es entreprises multinationales. Ce phénomène déclencha une mobilisation ethnique contre l’État nigérian.

En s’appuyant sur le consensus autour des idées de la marginalisation et de la privation ainsi que sur une histoire collective des symboles et de l’authenticité ethnique445, l’écrivain Ken Saro Wiwa et d’autres dirigeants Ogonis ont conçu le MOSOP en 1990446. Ils ont utilisé comme symboles, des mythes d’auto-émancipation et des mémoires collectives de souffrance pour rassembler les

443 ISUMONAH, V. Adefemi, “The Making of the Ogoni… 2004. Les conflits entre les Elemes et les Okrikas ont continue jusqu’en avril 2013 quand le gouverneur de l’État de Rivers, Chibuike Rotimi Amaechi, a négocié un accord de paix entre les deux parties.

444 OSAGHAE, Eghosa E., “The Ogoni Uprising: Oil Politics, Minority Agitation and the Future of the Nigerian State”,

African Affairs, Vol. 94, No. 376, 1995, pp. 325 – 344.

445 ISUMONAH, V. Adefemi, “The Making of the Ogoni… 2004. Voir aussi MOVEMENT FOR THE SURVIVAL OF THE OGONI PEOPLE, Ogoni Bill of Rights, Port Harcourt Nigeria: Saros International Publishers, 1992.

446 Le MOSOP est une confédération, regroupant plusieurs organisations Ogoni dont le National Youth Council of Ogoni (NYCOP), la Federation of Ogoni Women Association (FOWA), l’Ogoni Council of Churches (OCC), le Council of

Ogoni Traditional Rulers (COTRA), le Council of Ogoni Professionals (COP).Les divisions entre ces organisations n’ont

Ogonis. Le cas échéant, ils ont utilisé la force447. Les jeunes ont aussi largement contribué au travail sur le terrain pour gagner les communautés locales à la « cause Ogonie »448.

La cause Ogonie se structure principalement autour de revendications politique (l’auto-détermination), économique (le contrôle des ressources), socioculturelle (le développement de leur langue et leur culture et la liberté de la religion) et écologique (la protection de leur environnement). D’après ces objectifs, sa cause était manifestement une lutte contre l’État et les entreprises pétrolières. Toutefois, des membres des élites Ogonies avaient pour objectif de s’en servir comme tremplin pour leurs carrières politiques. Son président, Garrick Leton, et son vice-président, George Kobani, ont utilisé leur position pour inciter les Ogonis à voter pour le parti politique, la Social Democratic Party, auquel ils appartenaient449. De même, les jeunes, les femmes et les catégories défavorisées de la population, avaient pour objectif de restructurer la configuration des structures traditionnelles du pouvoir. Leur lutte était aussi une résistance contre une gérontocratie. Celle-ci tirait d’énormes profits de l’industrie pétrolière tandis que le reste de la population Ogoni s’appauvrissait davantage. Par conséquent, seulement trois voix sur vingt -sept ont été accordées aux chefs traditionnels au sein du conseil du MOSOP450.

En raison des contributions de l’industrie pétrolière à l’économie locale, les communautés d’Elemes ne ressentaient pas la même marginalisation que les autres collectivités Ogoni. Les Elemes avaient plutôt besoin de s’associer avec les autres Ogonis pour se défendre contre leurs voisines appartenaient à d’autres ethnies. La lutte des Ogonis peut donc être étudiée à plusieurs niveaux d’analyse. Elle comporte plusieurs volets. Le plus sensible est cette lutte contre le gouvernement et les compagnies pétrolières mais ce n’est pas le seul.

447 ISUMONAH, V. Adefemi, “The Making of the Ogoni …2004. 448 OBI, Cyril I., “The Changing Forms of Identity Politics ….2001, p. 75. 449 ISUMONAH, V. Adefemi, “The Making of the Ogoni…2004. 450 Ibid.

Les Ogonis n’étaient pas la première ethnie minoritaire à se constituer en mouvement social. Le MOSOP n’était pas le premier mouvement social contre l’État et les entreprises pétrolières multinationales dans la région du Delta du Niger. Il n’était pas le seul à se mobiliser dans les années 1990. D’autres mouvements sociaux du même genre ont aussi été formés à cette époque. Parmi eux on compte le Movement for the Survival of the Izon (Ijaw) Ethnic Nationality in the Niger Delta (octobre 1992), le Movement for the Reparation to Ogbia (novembre 1992) et la Council for Ikwerre Nationality (1993). De même, plusieurs communautés dont Igbide, Irri, Uzere, Umuechem, Obagi, Brass, Nembe, et Rumuobiokani ont combattu les compagnies pétrolières à partir de 1992451. Cependant, le MOSOP gagna le premier une reconnaissance sur la scène internationale. Pour ce faire, les Ogonis ont misé sur un discours autour de la protection de l’environnement et des droits humains452.

2.1.2. Un mouvement de contestation