• Aucun résultat trouvé

développemental d’un État « riche »

1.5. Le rôle central de l’industrie pétrolière

L’industrie pétrolière nigériane est dominée par des compagnies pétrolières multinationales. Ces dernières fournissent les investissements, la main d’œuvre et le matériel pour son développement, ainsi contribuant à l’économie nationale379. Toutefois, elles sont perçues plus généralement comme des agents de sous-développement, plutôt que comme des acteurs de développement380. Elles sont souvent considérées comme les représentants du système capitaliste mondial, reproduisant des relations économiques fondées sur l’exploitation381. Cependant, en mettant l’accent sur leur statut d’agents économiques des pays développés, le rôle de l’élite du pouvoir dans la perpétuation de leur domination est minimisé. L’importance politique de ces entreprises est aussi ignorée, pourtant,

Corporations, it should be noted, possess many of the attributes of sovereig n states. They have large resources at their disposal, they command the loyalty of large numbers of employees to whom corporate identity is often more important than national identity, they have their own spheres of influence as a result of the division of world markets among themselves, and they engage in diplomacy and espionage…- activities which have traditionally been viewed as the exclusive domain of governments. Furthermore, they are a part of the complex network of international politics; of interaction between their countries of origin and the host countries in which they operate; of the dependency relationships between the powerful post-industrialized nations and the less-developed segment of the world; and of the webs of interdependence among the post-industrialized countries themselves382.

L’histoire de l’industrie pétrolière au Nigéria remonte à 1908 lorsqu’une entreprise allemande, la Nigerian Bitument Corporation, a commencé à prospecter. En 1937

379 PEARSON, Scott R., Petroleum and the Nigerian Economy…1970.

380 D’après les théories du développement et de la modernisation, les pays du sud en voie de développement suivent une trajectoire précise. Ces pays évoluent d’une société traditionnelle vers une société moderne en franchissant plusieurs étapes successives. ROSTOW, Walt W., The Stages of Economic Growth: A Non-Communist Manifesto, Cambridge/NewYork/Melbourne: Cambridge University Press, 1960 . Voir DIBUA, Jeremiah I., Modernization and the

Crisis of Development in Africa: The Nigerian Experience, Hampshire/Burlington: Ashgate, 2006.

381 Voir OMOWEH, Daniel A., Shell Petroleum Development Company, The State and Underdevelopment of Nigeria’s

Niger Delta : A Study in Environmental Degradation, New Jersey/Asmara (Eritera) : Africa World Press, 2005.

382 OSTERBERG, David, AJAMI, Fouad, “The Multinational Corporation: Expanding the F rontiers of World Politics”,

le consortium anglo-néerlandais, Shell D’Arcy383 (ci-après dénommée Shell), obtint des droits exclusifs de concession pour rechercher les gisements de pétrole sur tout le territoire nigérian384. Ses recherches ont été interrompues par la Seconde Guerre Mondiale385 et reprirent en 1946 seulement. Elle a été rejointe par British Petroleum créant ainsi Shell-BP.

En 1956, Shell découvrit des hydrocarbures en quantités commerciales à Oloibiri (situé maintenant dans l’État fédéré de Bayelsa). Elle démarra la production commerciale en 1958. L’année suivante, les droits d’exclusivité accordés à Shell ont été révoqués et d’autres compagnies pétrolières multinationales386 entrèrent au Nigéria. En 1961, Shell entra en concurrence pour des licences d’exploration pétrolière en mer. Cependant, l’entrée de ces nouvelles compagnies n’a pas remis en cause la position dominante de Shell dans l’industrie387. Ceci est en partie dû, à l’avance prise par la multinationale : durant une vingtaine d’années de présence durant lesquelles, elle a su se réserver les plus abondants champs pétrolifères.

La position de Shell a été consolidée par l’augmentation du nive au de production pétrolière. L’entreprise, participant davantage aux revenus du gouvernement, gagna ainsi de l’influence. D’un niveau de production de 20000 barils par jour en 1960, la production du pétrole brut a atteint deux millions de barils par jour en 1973388. Au fil des années, le niveau de production a fluctué mais en 2011 la production était de 2,5 millions de barils par jour. Exactement au même moment,

383 Shell D’Arcy est le précurseur de Royal Dutch Shell/ Shell BP. Elle a été renommé Shell-BP (British Petroleum) en 1956. Elle est devenue Shell Petroleum Development Corporation (SPDC) en 1979 après le gouvernement a nationalisé

British Petroleuem. Au fil des années d’autres entreprises de Shell ont été créés au Nigéria : Shell Production Exploration Production Company (SNEPCO) en 1993 ; Shell Nigeria Gas (SNG) Company en 1998 ; et Shell Nigeria Oil Products (SNOP) en 2000. Shell est également actionnaire de Nigerian Liquefied Natural Gas (NLNG).

384 C’est en conformité avec la Mineral Oil Ordinance de 1914 selon laquelle « No lease or license shall be granted

except to a British subject or …a British company registered in Great Britain or in a British colony , » Cité dans

EBOHON S. I., « State and Rentier Capitalism in Nigeria: The Political Economy of Hydrocarbon Nationalism and Dependence Reproduction, » Journal of Third World Studies, Vol. 30, No. 1, 2013, p. 209.

385 Entre 1939 et 1945.

386 Celles-ci comprennent: Mobil, Gulf, Agip, Stat rap (qui s’appelle maintenant Elf), Tenneco et Amoseas (maintenant Texaco/Chevron). Depuis 1999, des concessions pétrolières ont été attribuées à des entreprises pétrolières provenant des pays non occidentaux (la Chine, la Corée, l’Inde, l’Indonésie). Mais les compagnies occidentales dominent toujours cette industrie au Nigéria.

387 FRYNAS, Jêdrzej George Frynas, BECK, Matthias P., MELLAHI, Kamel, “Maintaining Corporate Dominance after Decolonization: The ‘First Mover Ad vantage’ of Shell BP in Nigeria”, Review of African Political Economy, Vol. 27, No. 85, 2000, pp. 407 – 425.

388 FRYNAS, Jêdrzej. G., Oil in Nigeria: Conflict and Litigation between Oil Companies and Village Communities , LIT, VErlag, Hamburg, Germany, 2000, p. 16.

les réserves nigérianes avérées de pétrole sont estimées à plus de 37 milliards de barils389.

En outre, le Nigéria possède les plus grandes réserves de gaz naturel en Afrique, se trouvant à la neuvième place mondiale. Elles sont estimées à 180 billions de pieds cubes en 2011390. En 2011 toujours, les hydrocarbures comptent pour plus de 95 pour cent des exportations et pour plus de 75 pour cent des revenus du gouvernement391. Shell, Chevron Texaco, Exxon Mobil, Total, Agip et ENI se chargent de la quasi-totalité de la production nigériane en accédant à environ 96 pour cent des réserves pétrolières du pays392. Ces entreprises opèrent en partenariat avec le gouvernement nigérian et l’élite dirigeante, exerçant sur eux une influence considérable. Parmi les entreprises citées, Shell tient toujours une place prépondérante puisqu’elle compte pour plus de 40 pour cent des revenus du gouvernement nigérian393.

La participation du gouvernement à l’industrie pétrolière est passé e par trois différentes phases. Nous allons maintenant les résumer. Au départ, c’est-à-dire entre 1960 et 1970, l’intérêt du gouvernement nigérian était limité à la perception des redevances et d’autres taxes ainsi qu’à l’élaboration des lois réglementant cette industrie. Pendant la guerre civile de Biafra le pétrole est devenu une ressource stratégique. Les sécessionnistes sont parvenus à sécuriser le contrôle sur les revenus pétroliers pendant un moment. Allant à l’encontre de la volonté du gouvernement, Shell a approvisionné les sécessionnistes en pétrole394.

L’après-guerre marque l’entrée dans la deuxième phase. Le gouvernement a pris des mesures pour renforcer sa mainmise sur le secteur pétrolier. En 1971 le Nigéria rejoignait l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) devenant son onzième membre. Le gouvernement commence à renforcer son contrôle sur

389 ORGANIZATION OF THE PETROLEUM EXPORTING COUNTRIES (OPEC), Annual Statistical Bulletin, 2013. 390 Mais le Nigéria n’est que le 25ème producteur de gaz naturel au monde.

391 OPEC, Annual Statistical…2013.

392 Tandis que des entreprises nouvelles venues comme Statoil-BP, Exxon, Du Pont, Conoco et Abacan ont une petite participation.

393 OPEC, Annual Statistical…2013.

l’industrie pétrolière, conformément à la politique de nationalisation de l’OPEP. Dans la même année, le gouvernement établit la Nigerian National Oil Corporation (NNOC) pour règlementer et nationaliser l’industrie pétrolière. La NNOC acquiert alors quelques participations dans les compagnies pétrolières multinationales. D’abord d’un montant de 35 pour cent dans toutes les entreprises, ce pourcentage s’élève aujourd’hui à 60 pour cent.

La troisième phase a commencé en 1990 avec le décret No. 23 Marginal Fields Decree (MFD). Il vise à augmenter la participation des Nigérians dans l’industrie pétrolière. Le MFD introduit la notion des « gisements marginaux » tout en négligeant de la définir. Cette négligence offre la possibilité aux compagnies pétrolières de prétendre ne pas en avoir, ce que Shell ne manqua pas de faire395. En outre, Frynas (2000, pp. 420 – 421), soutient que la réticence du gouvernement pour faire appliquer le décret indique qu’il ne souhaite pas s’aliéner le soutien des entreprises multinationales pétrolières. Malgré tout, le MFD a desservi les intérêts de l’élite au pouvoir, en accentuant le poids des élites nigérianes dans ce secteur. Parmi celles-ci, il se trouve des Nigérians figurant dans le classement des personnalités les plus riches de la revue d’affaires américaine Forbes en 2012396. Dix sur onze d’entre eux possèdent des intérêts dans le pétrole et le gaz397, acquis, pour la plupart, grâce au décret MFD.

La structure de la propriété dans l’industrie pétrolière témoigne de la réelle dépendance de l’État nigérian vis-à-vis des compagnies multinationales. En 1977, la NNOC et le Ministère des Ressources Pétrolières ont fusionné pour former la Nigerian National Petroleum Company (NNPC). Les fonctions de la NNPC touchent à l’exploration, la production, le transport, le raffinage, la transformation,

395 FRYNAS, Jêdrzej George Frynas, BECK, Matthias P., MELLAHI, Kamel, “Maintaining Corporate Domina nce after Decolonization…2000, pp. 420 – 421.

396 Voir annexe 7.

397 L’investissement dans le pétrole est révélateur de l’importance ou de la puissance d’un homme ou d’une femme d’affaire ou politicien au Nigéria. Il est aussi le signe de relations politiques incontestables avec les gens exerçant le pouvoir car le gouvernement seul est en mesure d’attribuer les lots pétroliers. Aliko Dangote, Mike Adenuga, Abdulsamad Rabiu, Folorunsho Alakija, Theophilus Danjuma, Oba Otudeko, Mohammed Indimi, O.B. Lulu Briggs, Sani Bello, Hakeem Belo-Osagie sont les individus puissants et célèbres ayant tous les intérêts dans les hydorcarbures. Seul Jim Ovia n’a pas de liens connus avec l’industrie pétrolière. Voir FORBES, http://www.forbes.com/profile/ . Novembre 2012.

la commercialisation, la recherche et la réglementation. La structure de propriété la plus courante était alors une co-entreprise398 entre la NNPC et les entreprises multinationales, encadrée par un accord d’exploitation commune399. Les coûts et les revenus étaient partagés entre les partenaires en proportion de leurs investissements (voir figure 1). En 2006, la NNPC possédait, en moyenne, 60 pour cent de la participation dans les accords d’exploitation commune.

Figure 1 : la proportion de propriété des six projets coentreprises

Source: NEITI 2012, p. 6, NNPC 2011.

Toutefois, en raison de l’incapacité de la NNPC à respecter ses obligations financières, dans les années 1990 une nouvelle structure de propriété émergea. Il s’agit du contrat de partage de production pour l’exploration d’éventuels nouveaux champs400. Il consiste en un arrangement : la concession pétrolière appartient à la NNPC qui engage un contractant (une entreprise multinationale) pour

398 « Joint venture » en anglais. Environ 70 pour cent de la production nationale est par le biais des accords de co -entreprise et 25 pour cent par le biais de contrat de partage de production. GBOYEGA, Alex, SØREIDE, Tina, LE, Tuan Minh, SHUKLA, G.P., “Political Economy of the Petroleum Sector in Nigeria”, Policy Research Working Paper No.

5779, Africa Region, Public Sector Reform and Capacity Building Unit, The World Bank, 2011, p. 28.

399 « Participation agreement » et aussi « Joint Operating Agreement ».

400 « Production Sharing Contract » en anglais. Les operateurs de PSC sont: Addax Petroleum Development Nigeria

Limited, Addax Petroleum Exploration Nigeria Limited, Esso Exploration and Production Limited, Nigerian Agip Exploration, Shell Nigeria Exploration and Pro duction Company Limited, Star Deepwater Petroleum Limited, Sterling Oil Exploration and Energy Production Co. Ltd, Statoil Nigeria Limited, et Total Upstream Nigeria Limited. NEITI, Financial Audit: An Independent Report Assessing and Reconciling Financial Flows within Nigeria’s Oil and Gas Industry – 2009 to 2011, Abuja: Nigeria Extractive Industries Transparency Initiative, 2012, p. 38.

l’exploration, l’exploitation et la production du pétrole brut. Les deux parties partagent le pétrole produit dans des proportions prédéterminées. S i la multinationale ne découvre pas de pétrole, elle assume seule tous les coûts d’exploration. Cette forme d’arrangement contractuel est utilisée pou r exploiter les zones côtières. La plus récente structure de propriété est le contrat de service401. Dans ce type de contrat, le contractant (c’est-à-dire l’entreprise pétrolière) est rémunéré pour les services qu’il fournit et est le premier à bénéficier du pétrole brut produit.

La prolifération de plusieurs types de contrat met en évidence deux aspects importants de l’industrie pétrolière au Nigéria. D’un côté, le gouvernement manque toujours de financement et d’expertise technique dans ce domaine. De l’autre côté, il reste dépendant des entreprises pétrolières multinationales pour la quasi-totalité de ses revenus. Il est particulièrement dépendant de Shell qui compte pour presque la moitié de ces revenus et, par conséquent, exerce une influence indue.

La position de l’État nigérian vis-à-vis de l’industrie pétrolière est ambivalente. Il est propriétaire et gardien des ressources pétrolières. En même temps il appartient à l’industrie pétrolière en tant que partenaire des entreprises pétrolières multinationales402. Cependant, il n’est pas en mesure de réellement contrôler cette industrie. Il reste dépendant des compagnies pétrolières multinationales en matière de financement et d’expertise technologique.

C’est en raison de cette dépendance que la politique de l’indigénisation n’a pas pu aboutir à une nationalisation de l’industrie pétrolière. Les compagnies multinationales ont réussi à négocier des dérogations grâce à cette expertise technique403. Elles se sont également associées à des élites compradores qui leurs

401 « Service Contract Operator » en anglais. Il y avait Agip Energy & Natural Resources Ltd en 2011. NEITI, Financial

Audit: An Independent Report Assessing and…, 2012, p. 39.

402 En conformité avec la politique de nationalisation de l’OPEP, le gouvernement nigérian a acquis une participation de 33 pour cent des actions de Nigerian Agip Oil Company (NAOC) en 1971. Il a aussi acquis 35 pour cent en Elf, Shell-BP,

Gulf, Mobil et Ashland. En 1979, Shell est devenue Shell Petroleum Development Corporation (SPDC) après la

nationalisation par le gouvernement nigérian des parts de British Petroleum (BP). 403 BIERSTEKER, Thomas J., « The Illusion of State Power…1980, pp.. 215 – 216.

fournissent un accès à l’État404. Les différentes réformes ont donc permis à la puissance publique nigériane et à l’élite au pouvoir, de détenir un meilleur accès aux recettes pétrolières. Elles ont aussi préservé la possibilité pour les compagnies pétrolières multinationales de travailler avec peu de réglementation :

“The corruption and ultimately hollowing-out of the state was reinforced by a

flawed ‘cohabitation’ between state (especially military) elites and international oil firms. This enabled Nigeria’s military rulers and their acolytes to accumulate wealth and power. And it allowed oil multinationals to extract oil with little effective government regulation or community vo ice in their operations or in the distribution of oil surpluses ”405.

Pour les fonctionnaires nigérians, les opérations de Shell et des autres compagnies pétrolières, constituent une source importante de richesse406. Elles ne doivent pas être limitées à cause des intérêts particuliers. D’après Frynas (2000), la nationalisation de cette industrie conduirait à une réduction de la production pétrolière et diminuerait de façon grave les recettes407. Pour l’empêcher, il n’y a pas eu d’affermissement du contrôle par l’État bien qu’une expansion de l’intervention étatique dans ce secteur soit intervenue :

“While Nigeria has gone through all the motions of a reassertion of state power, it has not made very much progress in its efforts to obtain control over the major economic actors operating in its economy. Second, it should be quite apparent that the sharing of equity is a long way from the sharing of control in joint ventures with transnational corporations”408.

Frynas (1998) soutient que Shell, par exemple, joue un rôle important dans la manipulation des politiques et des structures de l’État en sa faveur. À titre indicatif, il n’est pas innocent que des anciens dirigeants de Shell deviennent des hauts fonctionnaires du gouvernement et inversement. Parmi eux : Ernest Shonekan, l’ancien chef d’État, fut un administrateur dans cette entreprise entre

404 Ibid, p. 217.

405 IBEANU, Okey, LUCKHAM, Robin, “Nigeria: Political Violence, Governance and Corporate Responsibility … 2007, p. 43.

406 Entre 1993 et 1997, plus de trois milliards ont été détournés. FRYNAS, Jêdrzej George Frynas, BECK, Matthias P., MELLAHI, Kamel, “Maintaining Corporate Dominance after Decolonization …2000 p. 416.

407 Ibid, p. 418.

1986 et 1992. Rufus Ada-George, l’ancien gouverneur de l’État fédéré de Rivers était comptable chez Shell entre 1970 et 1979. Cette multinationale a aussi eu recours aux services d’avocat de l’ancien procureur général de l’État fédéré de Rivers, O.C.J Okocha409. Plus récemment, Diezani K. Allison-Madueke le ministre de ressources pétrolières410 (ancien ministre des transports et ministre des mines et de la sidérurgie) a travaillé pour Shell entre 1992 et 2007.

Il existe donc des relations d’interdépendance entre l’élite au pouvoir et les compagnies pétrolières. D’un côté, l’élite au pouvoir dépend de ces firmes pour assurer sa subsistance. De l’autre, les entreprises pétrolières dépendent de l’élite au pouvoir pour maintenir leur accès aux contrats et leur position dominante dans l’économie nationale. D’après Turner (1971) les hommes d’affaires locaux, les fonctionnaires et les compagnies pétrolières forment un triangle. Pour illustrer cet argument, elle utilise l’exemple d’un homme d’affaires étranger qui vient au Nigéria pour entamer son activité économique. Il embauche un Nigérian pour servir d’intermédiaire entre lui et l’État. Lorsqu’il signe un contrat, il remercie le fonctionnaire à travers son intermédiaire, c’est-à-dire qu’il a recours à son associé nigérian pour octroyer des gratifications au fonctionnaire d’État qui a traité le dossier.

Cette exemple reste valide en remplaçant l’homme d’affaire étranger, par une compagnie pétrolière multinationale. Celle-ci est dépendante des membres de l’élite au pouvoir qui intervient en son nom auprès de l’État. Ces agents, ainsi que les individus au pouvoir, vivent de l’industrie pétrolière. Les firmes ne sont pas seulement les détentrices de ressources financières et technologiques. Elles représentent aussi une source importante des revenus pour l’élite au pouvoir (dont les intermédiaires nigérians)411. Par conséquent, l’industrie pétrolière constitue un enjeu, un champ de bataille, pour ceux qui souhaitent accéder à des revenus.

409 FRYNAS, Jêdrzej George, « Political Instability and Business: Focus on Shell in Nigeria », Third World Quarterly, Vol. 19, No. 3, 1998, pp. 457 – 478. Voir aussi DETHERIDGE, Alan, PEPPLE, Noble, “A Response to Frynas”, Third

World Quarterly, Vol. 19, No. 3, 1998, pp. 479 – 486; et FRYNAS, Jêdrzej George, “Shell in Nigeria: A Further

Contribution”, Third World Quarterly, Vol. 21, No. 1, 2000, pp. 157 – 164. 410 Depuis 2010.

Les compagnies multinationales ne sont pas toutefois des acteurs désintéressés. Elles exercent aussi une influence politique significative dans le pays. Par exemple Turner (1976) démontre que les compagnies pétrolières multinationales ont également profité des divergences entre les membres d’élite au pouvoir pour suivre leurs intérêts propres. Les conflits entre dirigeants politiques et les fonctionnaires pendant les années du boom pétrolier ont conduit à des pertes de revenus412. Les firmes pétrolières multinationales ont été impliquées dans ces conflits, et ont pu en profiter pour augmenter leur rentabilité413. Elles ont également été impliquées dans les contrats opaques qui ont contribué au détournement des fonds publics414. En d’autres termes, elles contribuent aussi aux défaillances de l’État.

Le modèle triangulaire de Turner fonctionne différemment de celui d’Evans415. D’après Evans (1979) il y aurait un modèle de triple alliance entre les compagnies multinationales, les capitalistes locaux et l’État (brésilien, dans l’exemple développé par Evans). Cette alliance facilite les relations de dépendance entre ses membres. Elles vont conduire à l’intégration du pays en développement au système capitaliste mondial. Cette insertion entraînera l’industrialisation du pays concerné. Jusqu’à présent, cela a été peu le cas au Nigéria. Au cours de la dernière décennie il existe bien des indications de ce type de développement, surtout dans le secteur des services. Cependant, force est de constater que cette évolution est inexistante dans le cas de l’industrie pétrolière. Dans cette dernière, les capitaux locaux sont liés à l’État et assistent les firmes pour avoir accès aux contrats. Ils jouent le rôle