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responsabilisation des entreprises

3. La RSE au Nigéria : une notion au contenu varié

3.3. Les éléments constitutifs de la RSE

3.3.6. La RSE en tant qu’outil stratégique stratégique

La revendication de la prise en compte des parties prenantes (en plus des actionnaires et des employés et des attentes sociales) ne signifie pas que les entreprises méconnaissent une conception utilitariste de la RSE. En bref, les firmes utilisent toujours un calcul coûts/avantages pour mener leurs pratiques et opérations relevant en ce domaine. L’engagement dans la RSE se déroule dans un optique conséquentialiste : la valeur de cet engagement est déterminée par son issue. L’appropriation des revendications des parties prenantes y compris salar iales ou sociétales, n’occulte pas la dimension utilitaire.

La RSE est avant tout une réponse à des problèmes socio-économiques mais elle demeure aussi un moyen d’atteindre les propres objectifs de l’entreprise. Ce phénomène est reconnu par Capron et Quairel-Lanoizelée (2004). Ils soutiennent que la réponse des firmes aux contraintes institutionnelles n’est pas une démarche unilatérale entièrement réactive ou influençable. Selon eux, cette réponse correspond à trois grands types de comportements : la conformité totale ou partielle, l’évitement et la manipulation740. Dans cette optique, l’engagement dans la RSE découle d’une intention rationaliste ou manipulatrice plutôt qu’altruiste.

739 Entretien avec MUTIU SUNMONU dans TRUCONTACT, “Creating Shared Value in ….2012, p. 83.

740 CAPRON, Michel, QUAIREL-LANOIZELEE, Françoise, Mythes et réalités de l’entreprise responsable…2004, pp. 105 – 106.

Certaines entreprises reconnaissent explicitement qu’elles peuvent trouver leur compte ou des avantages compétitifs en s’engageant à la RSE741. Des compagnies telles que Chemical and Allied Products, Nigerian Breweries, PZ Cussons et Unilever ont souligné les liens stratégiques entre la performance financière et la performance sociale. Pourtant, il n’y a pas de preuve irréfutable qu’il existe toujours des liens positifs entre la performance sociale et la performance financière des entreprises s’engageant dans cette voie742.

Certaines se fondent sur des raisons utilitaires pour justifier leurs engagements dans la RSE auprès leurs gestionnaires et actionnaires. Dans le cas contraire, ces derniers ne voient aucun intérêt d’une telle démarche. Pour illustrer cet élément, les banques « vertes » adoptent des politiques environnementales concernant l’usage de papier, les réductions de voyage d’affaires et la coupure des groupes électrogènes à certaines heures743. Toutes ces initiatives, vantées comme relevant de la RSE, diminuent considérablement les coûts de fonctionnement de fonctionnement. L’engagement RSE des banques vertes revient à faire d’une pierre deux coups, en diminuant les coûts opérationnels tout en se présentant comme des acteurs éco-responsables.

741 Aussi connu comme la théorie instrumentale des parties prenantes. Voir ALLOUCHE, José, LAROCHE, Patrice, “A meta-analytical investigation of the relationship between corporate social and financial performance,” Revue française de

gestion des ressources humaines, 57, 2005, pp. 18-41; ORLITZKY, Marc, SCHMIDT, Frank L., RYNES, Sara L.,

“Corporate Social and Financial Performance: A Meta-Analysis,” Organization Studies, Vol. 24, No. 33, 2003, pp. 403 – 441; WADDOCK, Sandra A., GRAVES, Samuel B., “The Corporate Social Performance – Financial Performance Link,”

Strategic Management Journal, Vol. 18, No. 4, 1997, pp. 303 – 319; PRESTON, Lee E., O’BANNON, Douglas P., « The

Corporate Social-Financial Performance : A Typology and Analysis, » Business and Society, Vol. 36, No. 4, 1997, pp. 419 – 429; DONALDSON, Thomas, PRESTON, Lee E., “The Stakeholder Theor y of the Corporation: Concepts…1995; COCHRAN, Philip L, WOOD, Robert A., “Corporate Social Responsibility and Financial Performance,” The Academy of

Management Journal, Vol. 27, No. 1, 1984, pp. 42 – 56.

742 AUPPERLE, Kenneth E., CARROLL Archie B., HATFIELD, John D., “An Empirical Examination of the Relationship between Corporate Social Responsibility and Profitability”, Academy of Management Journal, Vol 28, No. 2, 1985, pp. 446 – 463. Pour McWilliams et Siegal (2001) il n’existe aucun lien signicatif entre la RSE et la performance financière d’une entreprise. McWILLIAMS, Abagail, SIEGEL, Donald, « Corporate Social Responsibility: A Theory of the Firm…2001; FRANKENTAL, Peter, “Corporate Social Responsibility – a PR Invention?”, Corporate Communications:

An International Journal, Vol. 6, No. 1, 2001, pp. 18 – 23.

743 Pour les études empiriques sur la relation positive entre l’engagement dans la RSE et la rentabilité des banques nigérianes voir IYIOLA, Akindele R., “Corporate Social Responsibility: An Organisational Tool for Survival in Nigeria”, African Journal for the Psychological Study of Social Issues , Vol. 19, No. 2, 2011, pp. 10 – 15; OLAYINKA, Marte Uadiale, TEMITOPE, Olamide F., “Corporate Socia l Responsibility and Financial Performance in Developing Economies – The Nigerian Experience”, New Orleans: New Orleans International Academic Conference, 2011, pp. 815 – 824.

Autre exemple : des compagnies considèrent la mercatique d’entreprise744 comme appartenant au champ de la RSE. Ces firmes déclarent s’y engager lorsqu’elles interviennent dans le parrainage d’événements, le mécénat et les jeux concours par tirage au sort. Ce genre d’activités vise plus ou moins à promou voir les établissements concernés. Cela permet aux marques de se différencier. S’exprimant sur l’importance de la visibilité de l’engagement dans la RSE, Wale Goodluck745, le directeur des services corporatifs de l’entreprise de télécommunications MTN Nigeria déclare que :

“For any corporation, it is very important to do good and to be seen to be

doing good....it is something that has a significant amount of brand infusion…It means that if you are doing CSR properly, one day it will inform somebody making a buying decision. If you’ve provided school furniture for instance to people in secondary schools, now if that person has sat on a chair or furniture branded by MTN, it is very unlikely that when that person goes to university and wants to buy a SIM card…these things are going to inform buying decisions”746.

En outre, les contributions sociales des entreprises, notamment les projets des infrastructures, apparaissent quelquefois en même temps des solutions à des lacunes auxquelles elles-mêmes sont confrontées. Par exemple, en 2003 United Bank for Africa (UBA), Omega Bank, Nigerian Society of Engineers, et Institute of Estate Surveyors and Values ont financé la réhabilitation d’une route, l’Engineering Close, à Victoria Island (Lagos) où leurs bureaux sont situés. De même, en 2007 Zenith Bank a réhabilité une rue, Ajose Adeogun Street aussi à Victoria Island où se trouve son siège social. Ces infrastructures sont importantes non seulement pour les communautés voisines, mais aussi pour le bon déroulement des affaires des firmes concernées.

La fonction utilitaire de la RSE explique aussi en partie pourquoi des formes d’engagement RSE visibles et médiatiques augmentant le capital social de l’entreprise sont privilégiées. Une raison de la préférence en faveur de

744 “Corporate Marketing” en anglais. 745 “Corporate Services Executive”.

l’engagement dans l’investissement social est l’instrumentalisation de sa nature publique. L’objectif instrumental recherché est d’améliorer la notoriété des entités commerciales. De tels projets de développement sont particulièrement visibles et faciles à médiatiser. Les compagnies peuvent faire alors connaitre leurs engagements dans l’investissement social à travers leurs déclarations publiques, leurs sites web, les journaux, la presse locale, la radio et la télévision. Le public peut les voir, parfois même les utiliser et les toucher, par exemple en prenant les casquettes, les maillots et les cahiers distribués aux passants et siglés au nom de la firme.

En revanche, les entreprises minimisent leurs engagements dans les autres aspects de la RSE. Ceux qui ne sont pas très visibles ou ne peuvent pas faire objet d’une médiatisation sont délaissés. Des aspects de la RSE comme un bon environnement de travail et de meilleures pratiques éthiques (telles que le respect des obligations fiscales et la conformité avec les meilleures pratiques et normes internationales ), constituent des formes d’engagement guère perceptibles pour l'opinion publique. Par conséquent, elles sont sacrifiées.

Les entreprises profitent de la publication de leur engagement dans la RSE pour soigner leur image publique ou leur réputation, mais aussi pour gagner ou conserver une légitimité sociale auprès de la société et de leurs salariés747. C’est particulièrement essentiel pour les entreprises dans les industries controversées comme le tabac. Pendant les rencontres avec des employées des entreprises pétrolières et de tabac, ils parlent souvent du bien-être que leurs entreprises procurent à la société. Par exemple, durant un de nos entretiens sur le terrain, un médecin travaillant pour une multinationale pétrolière a parlé des campagnes de sensibilisation sur le VIH-SIDA dont il était le coordonnateur. Chaque fois que nous revenions sur les questions des impacts négatifs éventuels de son employeur sur la société, il insistait de manière plus rigoureuse encore sur les bienfaits sociaux que son employeur apporte748. L’un des avantages escomptés est

747 PORTNEY, Paul R., “The (Not So) New Corporate Social Responsibility: An Empirical Perspective”, Review of

Environmental Economic and Policy, Vol. 2, No. 2, 2008, pp. 261 – 275.

l’obtention de la légitimation sociale ou le permis social d’exploitation (ou « licence to operate »). Il se traduit par des avantages pour les entreprises sous la forme d’une production ininterrompue et d’un gain en réputation.

Cependant, l’usage de l’engagement dans RSE pour acquérir le permis social d’exploitation comporte un risque. Il s’agit du danger de l’enracinement de comportements irresponsables de ces entreprises. Elles risquent d’ignorer ou de continuer à essayer d’acheter leur sortie des externalités négatives749. Les employés, étant convaincu du bon vouloir de leur employeur, peuvent contribuer à l’enracinement des politiques et pratiques irresponsables sur le plan social, économique, environnemental et éthique. Les communautés bénéficiaires des projets de RSE peuvent ignorer ces externalités sociales et environnementales aux effets indésirables à long terme tant qu’elles jugent être bien indemnisés à court terme.

Néanmoins, les entreprises comptent sur la bonne volonté à long terme des communautés qui ont bénéficié des projets de RSE. C’est pour cette raison qu’elles continuent à s’engager socialement. S’exprimant au sujet des rendements escomptés du rôle développemental joué par les banques, le directeur général de la banque Guaranty Trust Bank, Segun Agbaje a dit :

“So, even from a selfish perspective, we give back to the community in

different forms and we believe that if anything were to go wrong, this community will come back to help us”750.

Dans la même perspective, l’ancienne PDG de la MTN Foundation, Amina Oyagbola, a déclaré qu’elle préférait voir son entreprise tirer des bénéfices de ses activités de RSE. Dans cette optique, les contributions de MTN dans le secteur de l’éducation sont censées apporter un double avantage. Dans l’immédiat, la fourniture de l’éducation parait un geste bienveillant et citoyen de la part de la firme. Elle est perçue comme une contribution instantanée de la compagnie au

749 Les externalités négatives sont les répercussions extérieures à l’entreprise et donc sociétales comme la pollution de l’environnement.

bien-être socio-économique actuel. À l’avenir, les bénéficiaires peuvent constituer un marché potentiel et une main d’œuvre formée et qualifiée pour la compagnie751.

Cette section a donné un aperçu de la RSE au Nigéria. Outre ses particularités, elle peut aussi être comprise à partir des responsabilités insuffisamment prises en considération par les entreprises. Ce sont ces responsabilités qui seront examinées dans la prochaine section.