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M ODÈLE DE M ÉDA

Dans le document Travail et justice du care (Page 79-82)

Dominique Méda propose, dans son livre Le temps des femmes publié en 2001, un modèle de partage du cout et du temps liés à la prise en charge des enfants qu’elle nomme « deux apporteurs de revenu/deux pourvoyeurs de soins ». Son but est de faire en sorte que les deux parents puissent occuper un emploi salarié tout en prenant en charge une partie des soins aux jeunes enfants. Voyons maintenant un peu plus en détail cette proposition de partage des responsabilités, qui va de pair avec une prise en charge collective partielle et une modification des normes du travail.

3.2.1DÉSPÉCIALISATION DES RÔLES

Pour que les hommes et les femmes puissent également participer aux activités parentales, citoyennes et économiques, il faut repenser l’organisation sociale autour d’une déspécialisation des rôles (Méda, 2008 [2001] : 131). La prise en charge déséquilibrée des tâches ménagères et parentales par les femmes provient de la norme culturelle selon laquelle ce sont elles qui ont la responsabilité principale du travail de care, notamment celui aux jeunes enfants38. Il importe donc de remettre cette norme en question, et alors deux solutions, non exclusives, sont possibles : soit on délègue les soins à l’extérieur du ménage, soit on les partage mieux entre les parents. Méda mise sur une combinaison des deux, puisqu’elle croit qu’il faut encourager l’implication des hommes dans le travail de care, tout en développant des modes de garde d’enfants de grande qualité offerts par des personnes compétentes et bien rémunérées.

En effet, il s’agit de rendre effectif un véritable droit à la garde des enfants. Elle suit les arguments d’Espring-Andersen selon qui développer des services de garde publics est un investissement et non pas une dépense (Ibid. : 90). De tels services de qualité donnent aux

38 Méda mentionne une enquête française réalisée en 1999 (Méda, 2008 [2001] : 51) qui montre que les

hommes seuls consacrent plus de temps aux tâches domestiques (47 % de leur temps) que les hommes en couple sans enfants (28 % de leur temps), donc la spécialisation des rôles affectant aussi les couples sans enfants.

enfants des opportunités égales et permettent une mobilité sociale pour les plus défavorisés : « leur caractère universel, leur relative accessibilité financière, leur fort taux d’encadrement, leur visée sociale et pédagogique en font un remarquable instrument non seulement au service de l’emploi des parents, mais aussi et surtout au service du développement des jeunes enfants et de l’égalité des chances » (Ibid. : 132).

L’investissement des pères est le seul qui soit comparable à celui des mères du point de vue du bien-être des enfants et des parents. En effet, plusieurs recherches montrent qu’une délégation totale du care à l’extérieur de la famille a des conséquences sur la santé et le développement cognitif des enfants, et qu’au contraire les congés parentaux rémunérés ont un effet positif sur eux (Ibid. : 129). À cet égard, les congés parentaux qui réservent une portion aux pères sont à privilégier39. Il faut aussi considérer que les parents souhaitent passer du temps avec leurs enfants, notamment pour assurer eux-mêmes une partie de l’éducation et transmettre une partie de leurs valeurs.

Méda croit qu’il est important de distinguer la nature particulière de certaines de ces tâches domestiques qui sont essentiellement relationnelles et non pas seulement relatives à la production de biens et de services (Ibid. : 98). Ainsi, il y a un risque à considérer tout le travail domestique comme identique au travail salarié et chercher à le déléguer entièrement à l’extérieur de la sphère privée40. « Il me semble préférable de mieux rémunérer et mieux organiser le travail à l’extérieur pour le rendre compatible avec les tâches d’entretien et de soin que de donner une contrepartie monétaire à des activités dont il est souhaitable qu’une partie reste absolument sans équivalant monétaire » (Ibid. : 101)41.

39 Au Québec en ce moment, la portion du congé parental réservée aux pères est de 5 semaines. Le Conseil

du statut de la femme demande qu’il soit augmenté à 8 semaines (Charron 2015). En France, le congé de paternité est d’une durée de 15 jours et est entièrement facultatif. L’Inspection générale des affaires sociale plaide pour un congé de paternité obligatoire de 8 semaines (Gresy et coll., 2011 : 229).

40 Plusieurs autrices.eurs relèvent les dangers de la marchandisation et de la professionnalisation du travail

de soin (Jenson 2001, Held 2005, Pattaroni 2005, Zelizer 2005, Martin 2008, Hochschild 2013).

41 D’ailleurs, nombreuses autrices s’opposent à la rémunération des tâches domestiques, entre autres parce

qu’elle participerait au cantonnement des femmes dans leur rôle traditionnel et laisserait intactes les inégalités de sexes (Jenson 2004, 2011, Fraser 2012b [2010]). D’autres croient qu’il faut néanmoins un support public minimal (Folbre, 1995 : 85).

3.2.2VERS UNE SOCIÉTÉ BIACTIVE

Méda affirme que l’emploi des femmes est le seul moyen de garantir l’égalité de genre, mais aussi de financer la protection sociale et de leur permettre d’avoir le nombre d’enfants qu’elles veulent. Elle énumère les avantages du travail des femmes :

S’il est un gage d’autonomie et d’indépendance financière d’autant plus indispensable que les ruptures d’union sont désormais fréquentes, l’emploi des femmes constitue également, notamment pour les familles les moins aisées ou les plus fragiles (mères de famille monoparentale notamment), le meilleur rempart contre la chute dans la pauvreté, mais aussi une source de financement de la protection sociale précieuse (notamment en prévision des besoins de financement à venir) et, enfin, outre une exigence minimale de justice, un juste retour – individuel et collectif – sur l’investissement en capital humain que fournissent désormais les filles (dont on sait qu’elles réussissent désormais aussi bien que les garçons à de nombreux stades du cursus scolaire et universitaire) (Ibid. : 127).

L’activité des femmes est donc souhaitable économiquement à la fois pour les femmes elles-mêmes, mais aussi du point de vue de la société qui gagne à mieux développer son potentiel productif. De plus, Méda reprend l’argument démographique, entre autres développé par Espring-Andersen, à savoir qu’il faut faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et familiale pour que les femmes aient plus d’enfants. En effet, des études ont montré que si les femmes doivent choisir entre travail et maternité, certaines renoncent à avoir des enfants, tandis qu’elles en ont davantage dans les pays qui facilitent l’articulation entre travail et famille.

3.2.3CHANGER LES NORMES DE TRAVAIL EN FONCTION DES IMPÉRATIFS DE LA VIE

FAMILIALE

Les institutions n’ont pas encore été repensées et réorganisées autour de la nouvelle norme sociale du travail des femmes. Elles sont héritières du modèle « Monsieur Gagnepain et Madame Aufoyer », ce qui empêche la conciliation entre le travail et la famille. Pour permettre l’implication égale des hommes et des femmes dans les tâches domestiques, notamment celle des pères de jeunes enfants, il faut réorganiser le travail. Il faut revoir la norme de travail à temps complet, car travailler quarante d’heures par semaine est incompatible avec la possibilité de prendre soin de jeunes enfants (Ibid. : 131).

Il aurait fallu adopter des principes de concordance des temps, à tous les niveaux – nationaux, régionaux et locaux -, transférant la charge de coordination à des dispositifs collectifs et libérant ainsi les femmes de cette charge. Plus concrètement, il aurait fallu repenser a priori les dispositifs pour organiser la compatibilité des temps des hommes, des femmes et des enfants, en développant des politiques publiques, notamment locales, visant à ajuster a priori les différents horaires et faisant de cette articulation préalable des temps un objet central de négociations entre entreprises, pouvoirs locaux, élus et citoyens (Ibid. : 73)42.

Méda cite des études de l’OCDE, notamment celle menée par Laurence Jaumotte (2003), qui indiquent des mesures qui auraient une incidence sur l’augmentation du taux d’activité des femmes : « investir dans le système d’accueil des jeunes Français les sommes qui y sont consacrées par les pays qui mettent les moyens les plus élevées (le Danemark, soit 2 % du PIB); appliquer aux seconds apporteurs de revenu un traitement fiscal identique à celui des personnes seules (donc, passer à un système d’imposition séparé) » (Ibid. : 129).

La proposition de Méda met donc en lumière que l’articulation du travail et de la famille ne doit plus être envisagée comme un défi individuel, mais plutôt comme un enjeu collectif.

Dans le document Travail et justice du care (Page 79-82)