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D E QUOI UN BON MODÈLE DOIT IL TENIR COMPTE ?

Dans le document Travail et justice du care (Page 76-79)

Les éthiques du care sont intéressantes pour réfléchir à la prise en charge familiale et collective des enfants. En effet, il est ici question de la dimension à la fois privée et politique du soin, comme l’a problématisé Tronto à travers la politisation du care. En plus des quatre phases du bon care de Tronto, seront aussi présentés les éléments de justice sociale qui me semblent incontournables.

3.1.1LE BON CARE SELON TRONTO

Je reviens ici sur les quatre phases du care déjà brièvement abordées, qui permettent de clarifier la conception du bon care selon Tronto. La première phase du care consiste à se soucier des autres (to care about), c’est-à-dire constater un besoin et évaluer la possibilité d’y répondre. Ce souci, façonné culturellement, est à situer au niveau individuel, mais aussi collectif, comme lorsqu’une société est attentive à celles et ceux qui ont des besoins à combler. Tronto prévient qu’un danger guette cette première phase, fléau qu’elle nomme

l’indifférence des privilégiés (Tronto, 2009 [1993] : 166), qui consiste en la possibilité

d’ignorer certaines formes d’épreuves auxquelles les privilégiés ne sont pas confrontés. Par exemple, si l’on propose des réaménagements institutionnels pour répondre aux besoins des travailleuses de la classe moyenne, mais sans tenir compte des besoins des femmes monoparentales qui vivent des situations de grande précarité. Pourtant, une société de care doit chercher à répondre aux besoins de tous.tes, et particulièrement des personnes les plus vulnérables. Concernant la problématique de la prise en charge des enfants, un bon care implique d’identifier les besoins des enfants, mais aussi de tous.tes celles et ceux qui en prennent soin.

Ensuite, il faut prendre en charge (to take care), soit assumer une responsabilité par rapport aux besoins identifiés chez l’autre, dans ce cas, les enfants. Cette phase implique l’organisation des soins et donc les décisions politiques concernant la configuration des institutions.

Dans un troisième temps, le prendre soin (care giving) implique un travail matériel et exige presque toujours un contact direct avec les enfants dont on prend soin. Le travail concret du care peut être délégué à d’autres, dans le privé et le public, et ainsi révèle les rapports de pouvoir entre hommes et femmes, entre personnes blanches et personnes racisées, entre riches et pauvres.

La quatrième phase ne doit jamais être négligée, celle de la réception du soin (care

receiving), puisque l’on doit tenir compte de la personne qui a reçu le soin, entre autres de

sa satisfaction. Concernant les soins aux enfants, il est sans doute pertinent de se référer aux études sur les pratiques qui favorisent leur bon développement. Il y a consensus sur l’idée que le rôle protecteur des liens sociaux primaires parentaux est fondamental et non totalement substituable, tout au plus les institutions publiques le complètent et le rendent

soutenable (Martin, 2008 : 32). Par ailleurs, des services de garde de qualité ont un effet

positif. Il est démontré qu’au Québec le développement des enfants en milieu défavorisé est amélioré par la fréquentation d’un centre de la petite enfance (CPE)34.

Ce schéma d’un bon care, qui demeure un idéal rarement atteint, permet d’amorcer une réflexion sur les bonnes conditions pour faciliter la réussite du care. Il sera donc utile pour évaluer si le modèle de Méda permet un bon care.

3.1.2ÉGALITÉ ET JUSTICE SOCIALE

Comme critère d’évaluation, précisons d’emblée que l’égalité entre les hommes et les femmes ne peut être atteinte en participant à d’autres formes de subordination ou d’exploitation. Nous avons déjà vu que la délégation du care à des subalternes ne valorise pas l’égalité et la justice sociale. Une autre forme d’exploitation à proscrire doit s’ajouter, comme l’ont mis en lumière les éthiques du care, à savoir une participation à la destruction de l’environnement. Nombreuses théoriciennes du care considèrent que le souci de l’autre

34 Une étude montréalaise a démontré que les enfants vivant dans des familles défavorisées qui fréquentent

exclusivement un centre de la petite enfance (CPE) sont 3,3 fois moins susceptibles d’être vulnérables dans au moins un domaine de leur développement que les enfants n’ayant pas fréquenté de service éducatif en bas âge. Toujours parmi les familles défavorisées, les enfants qui fréquentent exclusivement un CPE sont 2,5 fois moins susceptibles d’être vulnérables que leurs pairs qui présentent un autre profil de fréquentation de services de garde éducatifs (par exemple un milieu familial) (Laurin et coll., 2015).

doit inclure le souci de l’environnement35. La crise écologique est un enjeu incontournable de notre siècle, penser le travail et la justice sans en tenir compte pose un problème de cohérence.

Toute société a des règles et des institutions qui déterminent qui doit assumer le cout monétaire de la prise en charge des enfants et qui doit affecter les tâches concrètes liées à cette prise en charge36. Ce partage des couts est justifié parce que les enfants doivent être considérés comme bien collectif (Folbre, 1994b). Certaines autrices n’hésitent pas à soutenir que le développement des enfants est une responsabilité collective : « Tous les membres de la société ont la responsabilité morale de contribuer au développement des capacités des enfants » (England et Folbre, 1999). Par contre, les enfants génèrent des couts, en argent et en temps37. Scheiwe propose de considérer la répartition des couts et des bénéfices de la prise en charge des enfants comme un problème de bien collectif (tel que développé par Olson en 1965) : alors que les enfants sont une richesse pour toute la collectivité, certains peuvent s’approprier les effets externes des biens collectifs sans en payer le prix. Les enfants sont source de bénéfices économiques pour l’ensemble de la société : « ils forment les futures générations de contributeurs en matière d’impôt et de protection sociale, la future force de travail et les futurs dispensateurs de soins. Ils sont donc une ressource pour la création de biens communs dans l’avenir » (Scheiwe, 2000 : 26). La solution selon Scheiwe est donc de créer des institutions qui distribuent les couts

35 La définition de care que propose Tronto est claire sur ce point, en rappel : « une activité générique qui

comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie » (Tronto, 2009 [1993] : 143). Allant dans le même sens, Folbre théorise le travail de care en incluant le travail de protection et de valorisation de l’environnement, puisque selon elle tout travail motivé par le désir d’aider les autres en est un de care (Folbre, 1995 : 75). Catherine Larrère, éthicienne de l’environnement, voit le potentiel des éthiques du care à renouveler le discours sur le souci de l’environnement (Larrère, 2010).

36 Voir l’annexe 3 pour une reproduction du schéma de Scheiwe sur la distribution des couts de la prise en

charge des enfants (Scheiwe, 2000 : 27).

37 Les couts du travail gratuit de care pour celui ou celle qui l’exécute peuvent se calculer en termes de couts

d’opportunité. Voici quelques exemples de couts d’opportunité pour les parents : « Les revenus auxquels ils renoncent en interrompant leur carrière ou en limitant leur temps de travail, la perte qui s’ensuit en termes de capital humain, le niveau inférieur de leurs salaires lors de leurs retours sur le marché du travail, l’impact négatif des périodes qu’ils consacrent aux enfants sur leurs droits aux prestations sociales et, à long terme, sur le montant de leurs retraites, ainsi que, en cas de divorce, les risques plus élevés pour celui ou celle qui a investi le plus de son temps dans l’éducation des enfants » (Scheiwe, 2000 : 25). En raison de la division sexuelle du travail, les couts d’opportunités frappent davantage les mères.

et les bénéfices pour empêcher la possibilité du free-riding. Il semble en effet que la prise en charge des enfants doive être en partie collective dans une perspective de justice sociale.

Dans le document Travail et justice du care (Page 76-79)