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chAPiTRe 4 LIENS ENTRE URBANISATION ET INDUSTRIALISATION

4.4 OBSTACLES

Si l’intensification des économies d’agglomération va de pair avec l’essor des villes, on observe aussi l’accélération des déséconomies d’agglomération, dépassant bientôt les économies, au détriment de la compétitivité urbaine.

En Afrique, la vitesse de l’urbanisation, la mauvaise planification, la faiblesse des institutions chargées de guider la croissance urbaine et les faibles revenus de nombreuses villes et citadins concourent à l’émergence prématurée de déséconomies préjudiciables à l’industrie et aux chaînes de valeur industrielles.

Un certain nombre d’insuffisances indique que de nombreuses villes africaines sont excessivement onéreuses comparées aux villes de pays ayant un niveau de développement similaire ou bien supérieur.

Une analyse comparative transversale des indices du coût de la vie urbaine menée par la Banque mondiale dans 62 pays montre que les villes africaines sont 31 % plus chères que celles de pays de niveaux comparables (Nakamura et al 2016). Selon le classement du coût de la vie de la société de conseil Mercer, Luanda, Kinshasa et N’Djamena figurent parmi les 10 villes les plus chères au monde (tableau 4.5) 19.

FORME URBAINE

La disposition spatiale des villes ou « forme urbaine » joue un rôle majeur dans le fonctionnement économique. Les liens entre l’urbanisation et le développement reposent sur la nature de la forme urbaine, qu’elle soit compacte et connexe, ou étendue et déconnectée (BAD, OCDE et PNUD, 2016; Turok, 2014). De nombreuses études lient empiriquement la densité urbaine à la productivité (Abel, Dey et Gabe, 2012). La faible densité augmente les distances qui séparent les acteurs économiques.

La tendance à l’urbanisation s’est accompagnée de

« dédensification » et la hausse du coût des infrastructures et des transports va de pair avec la perte de densité (UN-Habitat, 2014a).

La densité des villes des pays en développement est plus importante que celle des pays développés, malgré une chute globale de 2 % par an enregistrée entre 1990 et 2000 (Angel et al. 2010). Les pays en développement connaissent une expansion urbaine plus rapide et, en Afrique, la croissance démographique ne représente que 43 % de l’expansion des terrains aménagés (Seto et al.

2011). À l’échelle mondiale, la motorisation accrue, la polarisation des investissements vers les infrastructures routières, l’augmentation des revenus et de l’accession à la propriété privée et les politiques subventionnant les infrastructures résidentielles périurbaines comptent parmi les facteurs contribuant à la « dédensification » urbaine.

Il est essentiel de parvenir à une forme urbaine diverse et intégrée. Les aménagements à usages multiples décuplent les avantages de la densité, rassemblant les populations pour faciliter les interactions (ONU-Habitat, 2014a). Les villes les plus dynamiques sont caractérisées par une grande mixité et diversité, comme l’a soutenu avec vigueur Jacobs (1961). La planification et le zonage excessifs peuvent imposer une séparation artificielle des aménagements du territoire dans la géographie économique d’une ville. Les villes sont frappées de plus en plus par la ségrégation sociale, réduisant la connectivité et sapant les interactions au cœur des économies d’agglomération. De nouvelles expansions formelles voient le jour sous la forme d’ensembles résidentiels fermés, allongeant les temps de déplacement et créant des barrières dans le tissu urbain. La sécurité est la justification souvent invoquée, mais cette ségrégation contribue aussi à miner la cohésion sociale (Landman et Schönteich, 2002).

Les implantations sauvages sont tout aussi problématiques, et selon certains analystes, les bidonvilles constituent la plus grande menace pour le bien-être urbain (ONU-Habitat, 2010b), car ils privent une génération d’un accès à l’éducation et à la santé (Henderson, 2010). Ils sont généralement perçus comme des pièges de la pauvreté, mais ils peuvent aussi servir la mobilité économique dans un environnement institutionnel et spatial propice (Turok, 2015). Il faudrait donc intentionnellement établir

Si l’intensification des économies d’agglomération va de pair avec l’essor des villes, on observe aussi l’accélération des déséconomies d’agglomération, dépassant bientôt les économies, au détriment de la compétitivité urbaine.

La disposition spatiale des villes ou

« forme urbaine » joue un rôle majeur

dans le fonctionnement économique.

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un lien à la fois physique et social avec l’économie formelle urbaine. Il est donc crucial de surmonter les obstacles à l’emploi découlant de la ségrégation et de la faible mobilité, notamment pour les jeunes Africains en milieu urbain, et ainsi libérer le potentiel du dividende démographique (ONU-Habitat, 2014b).

La mobilité des populations sous-tend également la productivité urbaine. Les temps importants de déplacement et les contraintes de mobilité entraînent des coûts considérables et amenuisent les perspectives d’emploi, notamment pour les populations pauvres des grandes villes africaines. À Nairobi (Kenya), à Pretoria (Afrique du Sud) et à Dar es-Salaam (Tanzanie), les habitants dépensent jusqu’à 30 % de leur salaire quotidien pour payer la navette en taxi collectif, en moto, en autobus ou autres moyens de transport combinés. Selon les enquêtes administrées à Nairobi, à Lagos (Nigéria) et en Afrique du Sud, les ménages à faible revenu consacrent entre 15 et 54 % de leur revenu aux frais de déplacement (ONU-Habitat, 2013). Dans les villes sud-africaines, le trajet moyen en autocar est de 74 minutes dans chaque sens (Statistiques nationales – Afrique du Sud, 2014).

Le concept de « mauvais appariement spatial » a été décrit par Kain en 1968. Il décrit l’éloignement géographique des quartiers où résident les groupes à faible revenu par rapport au marché du travail, contribuant ainsi aux forts taux de chômage. Testée en Afrique du Sud, cette idée montre que la distance au centre-ville joue un rôle important dans les niveaux élevés de chômage frappant les populations noires dans plusieurs zones métropolitaines (Naudé, 2008). Les investissements dans de meilleures options multimodales permettront d’assurer une mobilité urbaine respectueuse de l’environnement sans entraver les processus conjoints d’urbanisation et d’industrialisation et d’éviter de futurs coûts considérables pour remédier aux effets négatifs sur l’environnement (encadré 4.6).

La réalisation des bénéficies du partage et de la mise en commun de la main-d’œuvre ne sera possible qu’à travers un véritable accès aux lieux de travail. À Hong Kong (Chine), les parcs industriels doivent mettre en place une navette (Metro Vancouver, 2012), contrairement à Johannesburg (Afrique du Sud), où faute de bus de nuit, certaines industries ne peuvent pas assurer une troisième période de travail. Lors d’une table ronde sur les parcs industriels sud-africains organisée en novembre 2011 par le Centre sud-africain pour le développement et l’entreprise, les conférenciers ont évoqué à maintes reprises l’accès au travail comme un enjeu (Altbeker, McKeown et Bernstein, 2012). Les liaisons de transport peuvent également favoriser les liens en amont avec les entreprises informelles (CEA, 2011).

Dans les pays à urbanisation rapide, la mobilité est également menacée par la difficulté à planifier (et à maintenir) un réseau de rues bien reliées avant toute implantation non planifiée, qui prend souvent la forme d’ensembles résidentiels à faible revenu, d’ensembles résidentiels à fort revenu à accès restreint ou de la juxtaposition des deux. L’absence de planification urbaine, aussi bien pour l’expansion formelle qu’informelle, posera à terme des problèmes majeurs de connectivité et de mobilité au détriment des économies d’agglomération.

Bien que l’ONU-Habitat (2014c) recommande qu’au moins 30 à 40 % du territoire urbain soit consacré aux rues, la plupart des villes africaines en comporte une proportion bien moindre, notamment dans les périphéries à urbanisation rapide, atteignant à peine les 6 % à Bangui (République centrafricaine); 11,1 % à Accra

ENcADRé 4.6 VERS UNE URBANISATION PLUS PROPRE

L’Afrique doit veiller à ce que l’industrialisation ne signifie pas dégradation de la qualité de l’air (CEA, 2016) et à ne pas reproduire l’exemple chinois où la pollution atmosphérique a engendré des coûts de santé et de journées de travail perdues représentant environ 3,5 % du PIB (Banque mondiale, 2007). Les transports expliquent une part importante des émissions dans le monde, mais dans les villes africaines, la marche représente en moyenne 30 à 35 % des déplacements, voire plus de 60 % dans certaines villes telles que Douala (Cameroun) et Dakar (Sénégal). Mode de déplacement fréquent chez les femmes, la marche, mais également le vélo et le transport informel sont souvent menacés par la circulation automobile, la pollution et l’inconfort (ONU-Habitat, 2013). Avec la hausse des revenus, l’incapacité d’améliorer les moyens de transport non motorisés ainsi que le confort et la sécurité du transport informel conduiront à une transition massive vers les véhicules à occupant unique, avec les coûts économiques, sociaux et environnementaux associés.

L’absence de planification urbaine posera à terme des problèmes majeurs de

connectivité et de mobilité au détriment

des économies d’agglomération.

RAPPORT ECONOMIQUE SUR L’AFRIQUE

(Ghana) et 12,3 % à Ouagadougou (Burkina Faso) (ONU-Habitat, 2013), ville de la figure 4.13 où le contraste entre le tissu urbain planifié et bien connecté et les zones non planifiées et peu connectées est saisissant.

Tenir compte de l’aménagement des rues et des terrains industriels dans les prévisions de croissance permet de réaliser des économies substantielles. Les coûts de l’obtention ou de la protection de terrains urbains dans des zones d’expansion urbaine sont certes élevés, mais il est extrêmement couteux d’imposer des rues ou des parcelles à usage industriel sur un aménagement existant, ce qui implique souvent des procédures juridiques longues ou le recours à des expulsions sans procédure légale. Il est clairement préférable d’éviter ces problèmes grâce à une planification prospective.

INFRASTRUcTURES URBAINES

Les déficits d’infrastructures sont largement reconnus comme l’un des plus grands obstacles à l’essor industriel en Afrique. Malgré le contrôle des recettes, les pays africains affichent des déficits supérieurs à ceux que l’on observe dans d’autres parties du monde en développement (Yepes, Pierce et Foster, 2009). Les entreprises doivent donc supporter des coûts indirects considérables, comme le souligne une remarque sur les

entreprises kenyanes: « selon certaines estimations, la productivité au sol des usines kenyanes est proche de celle de la Chine. Mais une fois les coûts indirects comptabilisés, les entreprises kenyanes perdent 40 % de leur avantage en termes de productivité » (Iarossi, 2009, p. 87)20. L’accès aux infrastructures et aux services publics est crucial pour permettre aux entreprises informelles de renforcer leur productivité, mais il demeure un défi de taille à relever.

L’approvisionnement électrique est souvent le principal besoin invoqué pour augmenter la productivité industrielle. Les capacités de production électrique en Afrique et l’accès des ménages à l’électricité ne sont qu’à la moitié des niveaux observés en Asie du Sud (Yepes, Pierce et Foster, 2009). Les entreprises africaines perdent près de 13 % du temps de travail en raison de pannes électriques. L’électricité représente 10 % des coûts de vente, dont 6 % pour les coupures de courant (Iarossi, 2009). L’achat de groupes électrogènes reste un coût supplémentaire, en particulier pour les micro et petites entreprises. Les résultats d’autres études, menées par FIgURE 4.13 grille urbaine à Ouagadougou (Burkina Faso)

Source : Image satellite Google.

Les déficits d’infrastructures sont largement reconnus comme l’un des plus grands

obstacles à l’essor industriel en Afrique.

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exemple en Inde, confirment l’importance de la qualité et, dans une moindre mesure, du prix de l’électricité pour la performance de l’industrie manufacturière (Lall et Mengistae, 2005). Le coût de l’électricité est l’un des principaux facteurs où l’Afrique est désavantagée par rapport à d’autres régions. En 2010, le tarif moyen effectif de l’électricité en Afrique s’élevait à 0,14 dollar des États-Unis par kilowattheure contre 0,04 dollar en Asie du Sud et 0,07 dollar en Asie de l’Est, limitant ainsi la compétitivité des entreprises africaines (Banque africaine de développement, 2013).

Le transport de marchandises illustre également une autre composante de ces problématiques. La faiblesse des infrastructures, des marchés du crédit et de l’environnement réglementaire entraine une perte de 13 % des ventes, soit 11 % de plus qu’en Asie de l’Est et 7-8 % de plus que dans d’autres régions, mais des disparités existent entre les entreprises et entre les pays. Les entreprises d’Asie de l’Est, d’Amérique latine et d’Asie du Sud économisent respectivement 70 % et 50 % des coûts associés au transport intérieur des exportations et des importations par rapport à l’Afrique (Iarossi, 2009). Les coûts élevés de transport, les retards et autres aléas contraignent les entreprises africaines à conserver un volume important de stocks et alourdissant ainsi les coûts. Les infrastructures de transport des marchandises ont des répercussions importantes sur les villes. Les embouteillages et les retards entraînent des coûts supplémentaires pour l’expédition par camion et l’extension de la capacité routière n’est qu’une solution temporaire. Des mesures innovantes, telles que les voies réservées aux camions, n’ont pas été testées en Afrique.

MARcHéS FONcIERS ET IMMOBILIERS

Le fonctionnement des marchés fonciers urbains joue un rôle déterminant dans une économie urbaine performante. En effet, il sous-tend l’aménagement de l’espace urbain et il est fondamental à la fois pour les recettes privées et publiques. Les villes africaines opèrent selon une diversité de systèmes de droits fonciers, allant de la propriété coutumière et collective à la propriété de l’État avec des droits de bail en passant par le droit de

pleine propriété. Dans tout système, le marché foncier devrait permettre la mobilité résidentielle et la mobilité des entreprises sans imposer de charges excessives, tout en protégeant les ménages à faible revenu, les entreprises informelles et les femmes.

La bonne santé des marchés fonciers et immobiliers facilite le regroupement des acteurs économiques selon des dispositions économiques performantes dans l’espace urbain. Les différentes entreprises ont leurs propres préférences de localisation selon l’intensité des intrants et la nature de la production. Pour choisir le meilleur emplacement, elles évaluent leurs préférences en matière d’accès à la terre, de main-d’œuvre (qualifiée ou non qualifiée), d’intrants provenant d’autres entreprises, d’accès aux marchés (y compris les liaisons de transport vers d’autres villes ou pays) et d’accès aux connaissances et aux installations. Un marché foncier flexible permet aux ménages et aux entreprises de s’adapter aux mutations de l’environnement économique et favorise ainsi l’innovation et la compétitivité.

L’efficacité des marchés immobiliers n’implique pas nécessairement un système reposant entièrement sur le « laissez faire », mais repose également sur la participation essentielle des pouvoirs publics. L’idée même d’un marché immobilier urbain libre existant sans intervention gouvernementale est erronée dans la mesure où les gouvernements participent à l’implantation des infrastructures, des services publics et des espaces ouverts. Même si le cadre institutionnel à l’appui du marché de l’immobilier doit encourager les transactions soumises à des conditions de concurrence normale, l’intervention gouvernementale est également nécessaire pour atteindre les objectifs suivants:

ҋ Limiter la spéculation susceptible de fausser les prix et de compromettre l’utilisation efficace de l’espace.

ҋ Fournir des terrains constructibles et

entretenus propices au logement et à l’emploi sur des emplacements à l’appui des moyens de connexion et de la croissance urbaine.

ҋ Éviter l’aménagement urbain dans des zones à haut risque ou sensibles sur le plan environnemental.

ҋ Veiller à instaurer le cadre foncier et institutionnel

L’absence de registres fonciers adaptés en Afrique a des répercussions profondes, notamment parce qu’elle rend impossible l’utilisation de recette publiques foncières telles que la taxe foncière, l’emphytéose ou l’impôt sur la plus-value.

Le fonctionnement des marchés fonciers

urbains joue un rôle déterminant dans une

économie urbaine performante. En effet,

il sous-tend l’aménagement de l’espace

urbain et il est fondamental à la fois

pour les recettes privées et publiques.

RAPPORT ECONOMIQUE SUR L’AFRIQUE

nécessaire pour offrir des logements adéquats aux ménages à faible revenu et lutter contre les déplacements causés par les forces du marché.

ҋ Mettre en place un zonage et une protection des terrains bien situés pour les industries incompatibles avec d’autres utilisations ou nécessitant de grandes parcelles.

L’absence de registres fonciers adaptés en Afrique a des répercussions profondes, notamment parce qu’elle rend impossible l’utilisation de recettes publiques foncières

telles que la taxe foncière, l’emphytéose ou l’impôt sur la plus-value. Selon certains, la valorisation foncière est l’instrument le plus efficace au niveau économique (présentant le moins de distorsions) et le plus important pour les administrations décentralisées (Walters et Gauntner, 2016). Elle est largement sous-exploitée sur le continent africain, notamment en raison de la piètre qualité des registres fonciers et des défis de gouvernance (Monkam et Moore, 2015).