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IV. Discussion

IV.4 Obstacles au dépistage de la syphilis

La majorité des MG interrogés pour le compte de notre étude (60%) ne voit pas d'obstacle au dépistage de la syphilis en médecine de ville. Cependant, il nous semble important de nous arrêter sur les éléments qui gênent les praticiens pour réaliser plus souvent ce dépistage et sur les différentes solutions que nous pouvons proposer pour leur faciliter la tâche.

IV.4.1 Obstacles

a- Rareté du diagnostic

Pour 29 médecins de notre échantillon, dont 22 médecins installés en banlieue, le fait que le diagnostic de syphilis en ville soit rare constitue le premier obstacle pour la dépister plus souvent.

Pourtant, on l'a vu, la prévalence de la syphilis ne cesse d'augmenter depuis les années 2000, atteignant les 1014 nouveaux cas au cours de l'année 2013 [1] [8] [9].

Mais il est vrai que la majorité des dépistages « positifs » de syphilis sont réalisés dans les CDAG selon les données transmises à l'InVS par le groupe ResIST, ce qui peut expliquer le fait que les médecins de ville ne ressentent pas directement cette augmentation du nombre de cas [8].

b- Temps passé en consultation

Les consultations qui visent à faire passer un message de prévention sont des consultations longues, ce qui n’est pas toujours compatible avec l’emploi du temps des MG libéraux d’aujourd’hui. C'est d'autant plus vrai quand il s'agit d'une pathologie méconnue du grand public, telle que la syphilis. En effet, il faut à la fois expliquer aux patients la pathologie, ses modes de transmission, les techniques de dépistage, les traitements, écouter le patient quand on l'interroge sur ses pratiques sexuelles et ses antécédents, et répondre à toutes les questions éventuelles.

Ce qui semble être le plus délicat pour les MG quand on aborde la prévention des IST, c'est d'aborder franchement la sexualité du patient.

Plusieurs études ont mis en évidence le fait que, parler de sexualité avec les patients peut être gênant pour certains médecins, alors même que la majorité des patients considèrent qu’il est normal d’aborder ce sujet, d’autant plus qu’il est très important pour le médecin de connaître les pratiques sexuelles à risque du patient pour l’informer et le prendre en charge de la meilleure façon possible [51] [52] [53].

Le médecin généraliste, au même titre d’ailleurs que le gynécologue, l’infectiologue ou l’urologue, entre autres, devrait donc interroger les patients sans ressentir de gêne sur le nombre de partenaires sexuels au cours de l’année écoulée, sur ses relations hétéro et/ou homosexuelles, sur le recours ou non à la prostitution, sur les situations dans lesquelles il utilise ou non les préservatifs (fellation notamment), etc.

Une revue systématique d'études qualitatives anglaises a montré que les médecins n’étaient pas assez proactifs pour aborder la sexualité de leurs patients : par manque de temps, de ressources ou par manque de formation, mais aussi par gêne personnelle, par peur d'offenser les patients, et par manque de sensibilisation sur ce sujet. Cette difficulté est encore plus importante lorsque les patients sont du sexe opposé à celui du MG, ou alors s'ils appartiennent à une autre tranche d'âge que celle du médecin, s'il s'agit de personnes handicapés, de personnes non hétérosexuelles ou de patients noirs ou appartenant à des minorités ethniques [52].

D'après une étude suisse menée à Lausanne, 90 % des patients souhaiteraient que leur médecin leur pose des questions sur leur histoire sexuelle afin de recevoir des conseils de préventions même si 15 % des patients se sentiraient gênés de devoir en parler. Seulement 40 % des personnes interrogées déclarent avoir eu une discussion sur leur vie sexuelle avec leur médecin traitant [53].

On retiendra que les personnes les plus à risque d'IST sont en majorité des patients (HSH, personnes jeunes, migrants, etc.) avec qui il est difficile pour les MG d’aborder le domaine de la sexualité en consultation.

c- Méconnaissance

Certains MG de notre panel ne dépistent sans doute pas la syphilis car ils ne sauraient pas interpréter le résultat des sérologies ni quel traitement utiliser.

Il serait intéressant pour les MG de se référer à un correspondant infectiologue en cas de difficulté de prise en charge diagnostique ou thérapeutique, mais 58 % des médecins de notre échantillon n'ont pas de correspondant infectiologue régulier.

Ajoutons que l'arrêt de la commercialisation par les laboratoires Sanofi de l'Extencilline® en janvier 2014, traitement de référence connu de tous les médecins, a véritablement compliqué la prise en charge de cette infection [26].

d- Coût

La réalisation d'un prélèvement sanguin avec réalisation du TPHA et du VDRL est facturée 10,53 € dans un laboratoire de ville.

Selon les études coût-efficacité, dépister la syphilis à chaque fois qu’un patient présente un tableau clinique évocateur d’une IST ne serait pas rentable étant donné la prévalence relativement faible de cette pathologie au niveau national, mais en revanche le dépistage est intéressant si on s'en tient à un dépistage annuel en cas de prises de risque sexuel récurrentes, ou si on a des signes cliniques évocateurs de la maladie, comme le préconise la HAS [32].

En cas de prise de risque sexuel ponctuelle, on propose de ne réaliser le dépistage que si l’interrogatoire retrouve des facteurs de risques tels que :

un antécédent d'IST chez le partenaire,

patient HSH,

personnes en situations de prostitution,

migrants,

pratiques sexuelles à risques : pénétration vaginale/anale sans préservatifs,

IV.4.2 Solutions préconisées

a- Améliorer la formation des médecins

Les MG de notre étude qui participent à des groupes de pairs posent plus facilement à leur patient la question du genre du partenaire (ils recherchent ainsi la notion de rapports sexuels à risque entre hommes). Les échanges qui ont lieu dans les groupes de pairs permettent sans doute aux MG d'exprimer à leurs confrères les difficultés qu’ils ressentent pour aborder la sexualité avec leurs patients et de partager leurs expériences pour s’améliorer dans ce domaine.

La formation des médecins à cette problématique est cruciale, et un cours magistral ne nous semble pas idéal pour apprendre aux étudiants comment aborder le domaine des pratiques sexuelles avec leurs patients, on préférera plutôt mettre en place des ateliers avec des mises en situations de type « jeu de rôle », soit au cours d'enseignements dirigés à l'Université, soit dans les stages hospitaliers pour les externes et les internes en Médecine, soit dans les groupes de pairs, soit au cours des enseignements post-universitaires (EPU) et des séances de Formation Médicale Continue (FMC) pour les médecins installés.

Lors de ces ateliers, on rappellera quels sont les groupes les plus à risques en matière d'IST (HSH, prostitué(e)s, migrants) et les pratiques sexuelles à risque (absence de préservatifs, fellations non protégées, partenaires multiples, etc.).

L'article 59 de la loi HPST de juillet 2009 a instauré l'obligation de Développement Professionnel Continue (DPC) pour les professionnels de santé, et, depuis 2012 l'Organisme Gestionnaire du DPC permet aux praticiens d'être indemnisés lorsqu'ils participent à des formations, ceci afin de favoriser l'accès à la formation continue des professionnels de santé [54].

Un médecin qui se sent bien formé et qui se sent à l'aise au cours de la consultation pourra mettre plus facilement les patients en confiance et ceux-ci parleront plus librement de leur histoire sexuelle.

Si un patient se sent tout de même gêné par ce sujet, c'est au médecin de rassurer le patient et de lui expliquer en quoi les questions sur ses pratiques sexuelles sont utiles, qu'il s'agit de l’informer au mieux, et que nous sommes tenu au secret médical.

b- Faciliter le lien Ville- Hôpital

La pratique de la médecine générale requiert des connaissances dans de très nombreux domaines mais il est impossible pour les MG de se tenir informés de toutes les nouveautés, il est donc important pour les praticiens d'avoir des correspondants spécialistes qui soient disponibles pour répondre à leurs interrogations.

Les réseaux Ville-Hôpital sont un bon moyen pour les médecins généralistes de rencontrer des spécialistes lors de formations, de staffs, d’EPU - et vice et versa.

De nombreux réseaux Ville-Hôpital ont été créés pour prendre en charge les patients atteints de pathologies complexes nécessitant des prises en charges pluridisciplinaires, telle que l’infection à VIH, puis ils ont élargi ensuite leur domaine d’intervention aux IST. C’est le cas, par exemple, du Comité de Lutte contre les IST du Réseau Ville-Hôpital Val-de-Seine situé dans le 92 au sein duquel travaille l'auteur de ce travail [55].

Adhérer et participer aux activités d’un tel réseau, permet aux MG de ne pas se sentir isolés pour prendre en charge des patients atteints ou suspects de syphilis.

c- Consultations Anonymes et Gratuites

Plus des 2/3 des dépistages de syphilis sont réalisés actuellement dans les CDAG et les CIDDIST. On pourrait imaginer que la Sécurité Sociale crée une catégorie « dépistage IST » - sur le modèle de la catégorie « pathologie ALD » - afin que les MG soient entièrement payés par la CPAM sans avance de frais du patient et sans que le patient ait à présenter sa carte vitale ou à décliner son identité [9].

Le patient se verrait remettre une ordonnance anonymisée (avec un simple numéro de dossier pour pouvoir l'identifier, par exemple) pour se rendre au laboratoire d’analyses médicales. La mise en place d’un tel système – si c’est faisable – faciliterait sans doute la tâche des MG et améliorerait le dépistage des IST en médecine de ville.

d- Rémunérer les médecins

Des consultations payées 23 €, un grand nombre de patients à recevoir chaque jour et les charges induites par l’exercice de la Médecine en libéral poussent les MG à réaliser des consultations courtes.

Des majorations du prix de la consultation existent pour les jeunes enfants (MGE ou MNO), les personnes âgées (MPA), les patients en affection longue durée (RMT), les patients qui ont des comorbidités importantes et qui sortent d'hospitalisation (MIC ou MSH). Il serait sans doute licite de créer un codage CCAM de « Majoration Prévention» pour mieux rémunérer le temps passé par les MG pour faire de la prévention auprès de leurs patients [56].

Bien entendu, l'éducation des patients concerne de très nombreux domaines en dehors des IST : la prévention des cancers, les risques liés à l’obésité, les vaccinations, la consommation d’alcool, le tabac, etc.

Une plus grande activité de dépistage des IST pourrait également entrer dans le cadre des Rémunérations sur Objectifs de Santé Publique (ROSP) qui valorisent les efforts des MG pour faire évoluer leurs pratiques et améliorer la qualité des soins [57].

Le plan « VIH/sida et les IST 2010-2014 » insistait sur le fait que le dépistage des IST faisait partie des priorités de Santé publique et qu'il devrait trouver sa place au sein des ROSP [31].

d- Outils divers

➢ Enrichissement des guides de l'INPES

L'INPES a mis à la disposition des MG en 2011 un guide sur le dépistage du VIH et des autres IST, qui décrit les différentes IST et les moyens de dépistage [33].

L'INPES a aussi lancé en 2013 une campagne de communication qui avait pour slogan : « VIH, Chlamydia, Syphilis... la meilleure défense, c'est le préservatif ». Des affiches ont été posées dans les transports publics, elles ont été diffusées dans la presse grand public et dans la presse spécialisée à destination tout particulièrement des HSH et des migrants, dans les lieux de convivialité fréquentés par les jeunes, les HSH et les populations migrantes, ainsi que sur les sites internet fréquentés par ces mêmes groupes [58].

L'INPES pourrait mettre à la disposition des médecins un guide les informant sur les populations les plus à risque de contracter une syphilis et sur la manière d'aborder la sexualité avec ses patients, en s’inspirant de ceux qui existent déjà aux États-Unis [36].

➢ Élaboration d'un « questionnaire-type » sur la sexualité

Afin de faciliter les choses pour les médecins et pour les patients, nous proposons de soumettre à tout nouveau patient, ainsi qu’aux patients qui consultent pour une IST, un questionnaire rapide ciblé sur sa « santé sexuelle ».

Ce questionnaire-type inclurait l'âge, la nationalité, la situation matrimoniale, le nombre de grossesses, les antécédents de fausses-couches, le nombre d'IVG, le type de

contraception utilisé, l’âge au moment du 1er rapport sexuel, les antécédents d'IST

personnels et ceux du(des) partenaire(s), le nombre de partenaires sexuels dans les 12 derniers mois, les relations homo et/ou hétérosexuelles, les habitudes sexuelles : utilisation ou non du préservatif pour les rapports par voie orale ? par voie vaginale ? par voie anale ?, l’utilisation de drogues par voie injectable, les relations avec des personnes en situation de prostitution.

Muni de toutes ces informations, le MG serait à même de renseigner et d’orienter correctement tous ses patients.

➢ Optimisation des logiciels d'aide à la prescription

Certains MG de notre panel ont évoqué dans leurs réponses le fait de ne simplement pas penser à dépister la syphilis, même dans des situations où cela semble recommandé. Nous pourrions imaginer la mise en place d’alertes grâce aux logiciels de prescriptions médicales qui sont de plus en plus présents dans les cabinets de médecine libérale. Il en existe déjà pour les vaccinations, pour le diabète, la réalisation du frottis cervico-vaginal, etc.

En fonction des pratiques sexuelles notifiées par le médecin à la suite de l’interrogatoire, le logiciel pourrait alerter le médecin et le pousser à dépister telle ou telle IST – par exemple, la syphilis - si l’examen n’a pas été réalisé depuis plus d'un an et que le patient semble à risque.