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CHAPITRE 3 – DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

4.3 O RGANISATION DU TERRITOIRE ET FORME URBAINE

4.3.1 L’organisation du territoire de la nouvelle ville de Gatineau

En vertu du Plan d’urbanisme de 2005, la ville de Gatineau se caractérise par une structure urbaine multiniveaux formée d’un pôle central, le centre-ville, ainsi que d’un ensemble hiérarchisé de pôles secondaires et tertiaires composés d’un centre d’activité dans le secteur de Gatineau, de deux noyaux urbains dans les anciennes villes de Buckingham et d’Aylmer, de centres de village et de noyaux de services de proximité (Ville de Gatineau, 2005a). Au cœur de ce mode d’organisation du territoire se trouve la « mosaïque de villages urbains », un concept né de l’exercice de planification stratégique mené avec la participation du public au lendemain de la fusion municipale en 2002 dans le but d’engager les résidents des cinq ex-villes fusionnées dans un processus de construction de la nouvelle ville et de favoriser l’émergence d’un sentiment d’appartenance à celle-ci. Le Plan stratégique adopté à l’issue de ce processus s’articulait autour de quatre grandes directions dont la suivante : « Privilégier les villages urbains et les milieux de vie champêtre comme des unités de planification et d’intervention, des modèles de collectivités viables et des lieux d’appartenance uniques pour les citoyens » (Ville de Gatineau, 2013b, p. 2-16).

C’est dans le Plan d’urbanisme de 2005 que cette nouvelle unité territoriale destinée à « faire évoluer la notion d’appartenance à une nouvelle échelle qui se situe au-delà des quartiers » s’est concrétisée (Ville de Gatineau, 2005a, p. 23). Le village urbain, défini dans le Plan d’urbanisme comme un milieu de vie regroupant plusieurs quartiers d’habitation dont le découpage s’appuie sur les noyaux d’occupation humaine existants et sur l’évolution de l’urbanisation de Gatineau (ibid.), répondait à l’expression d’une volonté marquée des citoyens de reconnaître et de valoriser la spécificité de leurs milieux de vie respectifs dans la nouvelle grande ville (Ville de Gatineau, 2005b). « L’émergence de villages urbains complets,

dynamiques, identitaires et conviviaux » constitue d’ailleurs la toute première orientation du Plan d’urbanisme de 2005 (Ville de Gatineau, 2005a).

La ville de Gatineau est constituée aujourd’hui de dix-sept villages urbains et de quatre milieux de vie champêtres. Chaque village urbain possède des attributs distinctifs qui en font un milieu de vie unique. Les milieux de vie champêtres sont quant à eux situés en périphérie du périmètre d’urbanisation, mais à l’intérieur des limites municipales et « se caractérisent par une fonction résidentielle clairsemée » (Ville de Gatineau, 2013b, p. 3-33). Pour la Ville de Gatineau, ce découpage territorial s’inscrit en droite ligne avec les principes du DUD :

« En concrétisant le concept de villages urbains dans son premier plan stratégique d’abord, puis dans son plan d’urbanisme, la Ville de Gatineau s’est placée en tête de file d’une tendance internationale dominée par des principes émergents de planification durable. Puisqu’ils reposent sur l’intégration de l’ensemble des facteurs sociaux, environnementaux et économiques, les villages urbains constituent un outil idéal de développement d’initiatives municipales en matière de collectivités viables et un lieu de prise en mains de son milieu par le citoyen » (Ville de Gatineau, 2009c, p.

17).

4.3.2 L’influence durable des modèles de planification du passé sur la forme urbaine L’empreinte indélébile du Plan Gréber

Le modèle de planification urbaine ayant contribué à façonner le visage de la ville de Gatineau au fil des décennies est fortement influencé par son appartenance à la région de la capitale nationale (RCN), formée des deux municipalités voisines d’Ottawa et de Gatineau qui, rappelons-le, sont situées de part et d’autre de la rivière des Outaouais et dans des provinces distinctes. La région d’Ottawa-Gatineau est en fait la seule région métropolitaine du Canada à chevaucher deux provinces et constitue à cet égard, selon Gordon et Juneau (2011), la région la plus difficile à planifier du pays en raison du partage conflictuel des compétences entre les différents paliers gouvernementaux sur des enjeux communs, tels que l’organisation du transport et la protection de l’environnement par exemple. En tant que siège de la capitale fédérale, la région a cependant fait l’objet de plans d’aménagement majeurs dont le plus marquant est sans contredit le Plan Gréber, un vaste plan d’ensemble destiné à créer une capitale digne de ce nom qui a été adopté en 1950 et mis en œuvre au cours des deux décennies

suivantes. Le maître-d’œuvre du projet, l’architecte-urbaniste français Jacques Gréber, avait reçu la commande de préparer simultanément un plan régional d’occupation du sol pour le territoire englobant les deux côtés de la rivière, des plans d’aménagement urbain pour Ottawa et Hull, ainsi qu’un plan d’infrastructure régional et un plan d’aménagement du centre-ville (Gordon, 2001, p. 46-47). C’est donc dans la foulée de ce grand plan d’ensemble que les voies ferrées ont été remplacées par des routes, des boulevards et des autoroutes asphaltés, qu’on a développé les banlieues et regroupé les commerces dans des mails en bordure des grandes artères périphériques (Gordon, 2001; Grant, 2006). Au tournant des années 1970, à l’époque de l’ancienne ville de Hull, la construction d’édifices du gouvernement fédéral du côté québécois de la rivière et l’aménagement de nouvelles infrastructures routières pour relier les deux rives et créer une « capitale nationale interprovinciale plus bilingue » (Gordon, 2001, p.

54) a complètement transformé le cœur de la ville en le vidant d’une partie importante de sa population (Andrew, 1994).

La suburbanisation comme modèle dominant de planification urbaine

Parallèlement à la mise en œuvre du Plan Gréber, une nouvelle ère en matière de planification urbaine s’impose en Amérique du Nord sous l’influence des principes de la cité-jardin : la suburbanisation. L’arrivée massive de l’automobile favorisée par la prospérité ambiante de l’époque et le nouveau pouvoir d’achat d’une classe moyenne qui explose va en effet présider au développement à grande échelle des banlieues (Grant, 2006). Ce modèle de planification urbaine de la période d’après-guerre deviendra le paradigme dominant en matière d’aménagement à la grandeur du Canada et façonnera un paysage urbain homogène d’un bout à l’autre du pays :

« Planning and land-use regulation contributed to creating standardized landscapes.

Suburbia represented the post-war rejection of the industrial city: spacious lawns and winding streets replaced the narrow lots and grid layout of the central core. The myths of the middle-class nuclear family, homemaker mom, two cars in the driveway, and neighbourhood school […] were embodied in building practices and land-use regulations that resulted in look-alike suburban areas from coast to coast » (Grant, 2006, p. 335).

Ces pratiques d’aménagement auront, à Gatineau comme ailleurs, des conséquences désastreuses sur la vitalité des centres-villes. Comme le souligne Grant (2006) : « Abandoned buildings and growing parking lots changed the feel of downtown. The bustle of the central

city in the early 1950s had, by the late 1970s, given way to clear signs of malaise » (p. 335).

Ce phénomène de suburbanisation, en reculant sans cesse les limites de la ville, a aussi nécessité des investissements colossaux dans la construction de nouvelles routes qui vont transformer durablement la forme urbaine (Filion et Gunter, 2006; Grant, 2006; Polèse et Shearmur, 2009). Le design urbain est désormais au service de l’automobile (Grant, 2006).

Comme le faisait remarquer l’organisme Vivre en ville dans un mémoire déposé en marge des consultations publiques sur la révision du SAD : « Depuis plus de 50 ans, les collectivités québécoises se sont développées selon un modèle caractérisé par des secteurs monofonctionnels et de faibles densités, déconnectés les uns des autres et articulés autour de réseaux autoroutiers » (Vivre en ville, 2012, p. 3). La Ville de Gatineau n’a pas échappé à ces tendances et souffre elle aussi d’une problématique d’étalement urbain que certains facteurs ont pu contribuer à accentuer, comme la vaste étendue du territoire, l’absence d’un système de transport en commun assez performant pour décourager la dépendance à l’automobile et le manque d’attrait du centre-ville en tant que milieu de vie.

4.4 Quelques enjeux d’aménagement et de développement durable pour le nouveau