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CHAPITRE 5 – LE PROCESSUS PARTICIPATIF DE RÉVISION DU SCHÉMA

5.4 L ES PRINCIPAUX CONSTATS DE L ’ ENQUÊTE DE TERRAIN

5.4.1 La dynamique d’acteurs : rééquilibrage des forces et redéfinition des rôles

L’enquête de terrain a permis de distinguer cinq groupes principaux d’acteurs en fonction de leur rôle dans le processus décisionnel, des intérêts qu’ils défendent ou des objectifs qu’ils poursuivent, et de leur appartenance à un groupe ou à un territoire.

Le conseil municipal, en tant que détenteur ultime du pouvoir décisionnel, apparaît comme le premier joueur d’importance dans la révision du schéma d’aménagement, même s’il est resté en retrait pendant le processus de participation publique. En bout de ligne, c’est tout de même le conseil qui a le dernier mot, et c’est donc lui qu’il faut sensibiliser aux enjeux et convaincre, comme le soulignait un urbaniste (P-1). En fait, les quelques rares conseillers présents aux activités de consultation jouaient uniquement un rôle d’observateurs et ne sont jamais intervenus directement dans les discussions, mis à part le rôle de représentante officielle de la Ville joué par la présidente du CCU à l’étape de l’audience publique et de l’assemblée publique de consultation à la fin du processus. Ces observations rejoignent les propos de Lefebvre (2007), selon lesquels les élus préfèrent rester à distance du débat, dont ils « ne maîtrisent pas les règles », et s’en tenir à observer les dynamiques qu’il génère afin « de mesurer l’état du rapport de force dans la perspective de la décision finale, de jauger les forces en présence, les attitudes des divers protagonistes, le potentiel de contestation du projet et de mesurer ainsi le niveau de son acceptabilité sociale » (p. 210). Un élu rencontré en entrevue (E-2) déplorait pour sa part que les modalités de partipation ne permettent pas la discussion entre élus et citoyens et avouait du même souffle être tiraillé entre son rôle d’élu appelé à soutenir la position de la Ville, son rôle en tant que défenseur des intérêts de ses commettants, à l’échelle micro-locale, et son statut de « simple citoyen » désireux de s’exprimer sur certains enjeux d’intérêt plus personnel. « Moi, quand je me suis assis avec les citoyens, je me suis fait dire qu’il fallait rester en arrière et pas dire un mot. […] J’ai la responsabilité comme élu de gérer une ville et de représenter un groupe de personnes, mais à l’intérieur de tout ça, moi, j’ai jamais le droit de parler comme citoyen. » Toujours selon Lefebvre, « Les élus engagent dans le débat un rapport à la population et aux institutions qu’ils représentent. […] L’élu n’est pas un acteur ‘libre’ dans le débat » (ibid. : 217).

Les experts du Service d’urbanisme sont aussi des acteurs de premier plan en tant qu’architectes du SAD d’abord, et pour leur rôle d’intermédiaires entre le conseil municipal et la population. C’est d’ailleurs le Service d’urbanisme qui a plaidé auprès du conseil municipal pour une consultation en amont du public, afin de cerner tous les enjeux et de bien saisir les attentes et les préoccupations de la population. Ce sont aussi les urbanistes et autres experts qui représentent la Ville lors des activités de consultation et à qui on confie le rôle d’expliquer et de répondre aux questions du public. Sur ce point, un professionnel de l’aménagement affirmait que la pratique des urbanistes avait changé au fil des ans : « Je pense qu’on est passé d’un urbanisme où l’urbaniste est un spécialiste, il sait comment que ça marche, à un urbaniste qui explique, qui sensibilise et qui donne la parole à d’autres. D’ailleurs, quand tu donnes la parole, faut que tu écoutes aussi » (P-1).

La ville de Gatineau, à l’instar de la plupart des villes moyennes, a été modelée en grande partie sous l’influence des grands propriétaires fonciers et des promoteurs immobiliers, qui constituent un autre groupe d’acteurs incontournable. Bien qu’ils continuent d’exercer une influence notable auprès du conseil, ceux-ci doivent maintenant s’adapter à une nouvelle réalité face au poids grandissant du public et d’autres groupes d’intérêt dans la balance. Fait à noter, même s’ils jouissent d’un accès privilégié aux décideurs, plusieurs membres de ce groupe ont participé aux séances de consultation publique, où ils se retrouvaient en terrain hostile et contraints de défendre leur territoire. La confrontation de leur point de vue avec celui des citoyens a d’ailleurs souvent mis en lumière des visions diamétralement opposées du modèle de développement souhaité pour Gatineau. Un acteur du domaine de la construction reconnaissait d’ailleurs en entrevue les erreurs commises dans le passé par des promoteurs peu soucieux de l’environnement, ainsi que les dommages causés par un pattern de développement à la pièce, sans vision d’ensemble. « À l'époque, on y allait au gré des intérêts de l'un et de l'autre, et regardez aujourd'hui de quoi a l'air le secteur Gatineau : un ville pas de centre-ville! » (CI-1).

Le quatrième groupe d’acteurs identifié dans le processus de révision du SAD est formé des différents groupes de la société civile venus défendre des intérêts particuliers. Il est question ici, entre autres, des groupes écologistes, des associations citoyennes, des groupes de défense du patrimoine, du milieu de la santé et du milieu des affaires. Fait à noter, le processus de

participation publique a incité certains groupes à former des alliances dans le but de faire valoir des propositions communes, question de donner plus de poids à leur message. Deux réseaux d’acteurs se sont ainsi constitués en marge du processus officiel, soit une coalition formée de groupes écologistes, d’associations de gens d’affaires et de citoyens intéressés, de même qu’un regroupement informel d’associations citoyennes. Ces alliances, qui se sont manifestées à l’étape des audiences publiques, découlent selon un acteur du milieu associatif d’une prise de conscience des divers acteurs de leur intérêt à travailler ensemble à la poursuite d’objectifs communs. Comme il l’expliquait en entrevue, le regroupement des associations citoyennes est né d’un besoin d’engager le dialogue sur des préoccupations communes pour mieux se comprendre et s’entendre sur des actions conjointes :

« Les gens ont dit un moment donné ‘faut qu’on se parle’. […] Dans le secteur de Hull, les associations ne parlaient pas beaucoup à celles d’Aylmer. Nous, Hull et Aylmer, on essaye de se parler de plus en plus, ce qu’on appelle les associations à l’ouest de la rivière Gatineau. […] Alors les associations se réunissent sur une base carrément informelle. On se réunit pour voir si on est capables de travailler sur un ou deux thèmes communs, si on a une ou deux préoccupations communes par rapport à la ville de Gatineau » (SV-1).

La coalition des groupes à vocation écologique, qui s’est quant à elle formée spécifiquement dans le cadre du processus de révision du schéma, a enjoint la Ville de prendre exemple sur cette initiative et d’organiser des rencontres réunissant différents groupes d’intérêt autour d’une même table pour favoriser les échanges et la détermination d’objectifs communs.

Finalement, les citoyens, considérés ici comme un seul groupe d’acteurs, forment un ensemble hétérogène dont les préoccupations et les attentes peuvent varier grandement en fonction de nombreux facteurs, dont le secteur de résidence, comme on le verra plus loin. Il convient de souligner également la grande variabilité du degré d’expertise des citoyens en matière d’aménagement et d’urbanisme et de leur niveau d’expérience comme participants à des consultations publiques. Comme le soulignent Combe et al. (2012), « le statut de ‘citoyen individuel’ cache souvent une expérience antérieure, voire actuelle, à portée collective par laquelle l’individu a été formé aux problématiques de l’aménagement et de l’urbanisme. Il ne s’agit donc pas toujours de citoyens non avertis » (p. 163).

L’enquête de terrain a également mis en lumière les acteurs en apparence absents du processus, tels que la CCN, la Ville d’Ottawa et les MRC voisines. Quelques participants aux différentes activités de consultation ont en effet souligné l’absence d’information sur la façon dont le schéma révisé s’arrimera aux plans et orientations de la Ville d’Ottawa et de la région métropolitaine, ainsi que l’importance d’amorcer le dialogue avec la MRC des Collines pour favoriser la cohérence dans les orientations d’avenir. Le représentant du secteur de la construction immobilière rencontré en entrevue faisait à ce sujet un parallèle avec le processus d’élaboration du PMAD à Montréal en faisant ressortir l’impact financier pour Gatineau du manque de dialogue avec les MRC voisines : « Connaissez-vous la grande différence avec le PMAD à Montréal? Ils ont réuni toutes les villes de la Communauté urbaine. Moi je doute que les villes en périphérie de Gatineau voudraient faire partie de cet exercice, compte tenu qu’ils profitent déjà de nos infrastructures sans que cela leur coûte rien » (CI-1). Le conseiller Maxime Pedneaud-Jobin21 partageait également ce point de vue au lendemain de la première étape des consultations publiques sur le schéma, considérant qu’il était « urgent que Gatineau

« partage avec les différentes MRC de la région son plan de développement pour l’avenir », d’autant plus que tous les scénarios de développement envisagés « auront des impacts sur nos voisins » (Bélanger, 2011).

Incidence du processus de participation publique sur le rééquilibrage des forces

La multiplication des acteurs impliqués dans les choix d’aménagement favorise un rééquilibrage du poids des acteurs les plus influents et la recherche d’une vision commune. En menant le processus de révision de son SAD en parallèle avec une démarche de participation publique qui permettait aux citoyens et acteurs de la société civile de prendre part à la réflexion en tant que parties prenantes de l’exercice, la Ville de Gatineau a peut-être remis en question pour la première fois le rôle prédominant des promoteurs immobiliers dans les choix d’aménagement de la ville. Les propos de deux professionnels de l’aménagement recueillis lors d’un entretien illustrent ce constat :

« Avant qu’on démarre le projet du schéma, il y avait beaucoup de pressions des promoteurs pour ouvrir le développement différé, développer en zones agricoles, c’était de continuer l’étalement » (P-1).

21Devenu chef du parti Action Gatineau en 2012, puis maire de Gatineau en novembre 2013.

« Les promoteurs et les développeurs, eux, étaient habitués à ce qu’on leur donne le feu vert facilement sur les projets, et là il fallait leur expliquer qu’en fonction du potentiel de développement existant on n’allait pas ouvrir de nouvelles zones. Ils ont essayé de nous convaincre qu’on faisait fausse route […] Les zones différées dans le schéma actuel, qui sont maintenant des aires d’expansion, ces zones-là on ne voulait rien savoir, nous dans l’équipe, d’ouvrir ça au développement. On était très convaincus […], mais autant les promoteurs que la direction, que le conseil municipal, ils nous ont amenés à faire notre bout de chemin et à faire des compromis. On a dit d’accord, mais les compromis vont être faits de cette manière, donc on a posé nos conditions. Je pense que ça a été un des grands changements dans le SAD dans nos façons de faire » (P-2).

À l’inverse, la participation active du public au processus d’élaboration du nouveau SAD a permis de valoriser le rôle des citoyens. Comme le faisait remarquer un acteur de la société civile rencontré en entrevue, « Le citoyen, c’est le meilleur partenaire que tu peux pas avoir » (SV-1). À son avis, l’implication de la société civile dans le processus a largement contribué à l’élaboration d’une vision commune en incitant plusieurs groupes d’intérêt et associations citoyennes à travailler conjointement pour briser le cloisonnement, discuter pour mieux se comprendre et tenter d’arriver à des propositions concrètes à présenter à la Ville. Un autre citoyen abondait dans le même sens tout en insistant sur le leadership en matière de planification attendu de la Ville, à qui il revient de faire la part des choses entre les besoins et préoccupations exprimés par les citoyens et les solutions à mettre de l’avant. « Les gens sont des experts de leurs besoins, mais pas nécessairement des solutions », précisait-il (SV-3).