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CHAPITRE 5 – LE PROCESSUS PARTICIPATIF DE RÉVISION DU SCHÉMA

5.4 L ES PRINCIPAUX CONSTATS DE L ’ ENQUÊTE DE TERRAIN

5.4.5 L’adhésion du public et son appropriation du projet

Il ressort des entretiens effectués avec quelques élus et professionnels du Service d’urbanisme que la décision d’entreprendre la révision du SAD avec une large participation citoyenne était motivée par le souci d’aller chercher l’adhésion du public, « l’acceptabilité sociale » à l’égard des choix d’aménagement inscrits dans le nouveau schéma. Comme le confirme un élu :

« s’il y a vraiment un processus ou une décision qui méritait d’avoir le support des citoyens, c’était bien la révision du schéma d’aménagement. […] On savait qu’on portait ce projet-là pour plusieurs, plusieurs années. Autant que les gens puissent sentir qu’ils se sont approprié notre projet, qu’ils ont participé au projet, autant l’acceptabilité sociale après est beaucoup plus facile à obtenir. Donc en se déplaçant, en touchant au plus grand nombre de citoyens différents possible, c’est vraiment ça qu’on allait chercher » (E-1).

Pour le Service d’urbanisme, il était primordial que le processus participatif lui-même soit irréprochable pour que la population se sente partie prenante de l’exercice. « On se fait souvent lancer des pierres dans les consultations, souvent on a des propositions et les gens réagissent.

Les consultations servent à ça. Dans ce cas-là, il n’y avait pas de propositions. Ce n’était pas

‘êtes-vous d’accord, en désaccord?’, mais plutôt ‘comment voyez-vous les choses?’ […] On ne voulait pas […] un débat sur le processus » (P-1).

Les commentaires recueillis auprès des citoyens rencontrés en entrevue et entendus à l’occasion de diverses séances de consultation indiquent d’ailleurs un degré de satisfaction assez élevé à l’égard du processus et des résultats, quoique bon nombre de participants auraient souhaité un schéma plus audacieux. « C’est un exercice très valable qui a demandé un investissement très considérable » (SV-1), dira un citoyen. « On a vraiment vu qu’ils ont fait un grand effort pour aller chercher les gens » (SV-3), selon un autre.

Pour les professionnels du Service d’urbanisme, l’appropriation du projet se mesure à la capacité du processus de susciter l’intérêt des gens pour les questions d’aménagement et à la poursuite du dialogue après l’adoption du schéma révisé. Un urbaniste se réjouit de constater que « le fait d’avoir amené beaucoup de gens à se parler de ces choses-là, c’est en train de faire

des petits23 » et de favoriser une éducation et une sensibilisation accrue des citoyens aux enjeux d’aménagement qui enrichira le processus décisionnel. « Il y a un dialogue citoyen qui se fait très bien sans la Ville. Mais les décisions se prennent à la Ville et la Ville va prendre de meilleures décisions si les gens sont bien informés des enjeux, puis vont s’adresser à la Ville et la Ville va écouter sérieusement et les prendre en considération. C’est sain que ça se produise » (P-1).

De l’avis d’un professionnel en la matière (P-5), la participation publique a le pouvoir d’engendrer une démarche d’appropriation du projet par les citoyens lorsque ceux-ci ont le sentiment d’être reconnus comme experts de leur milieu et de contribuer concrètement à l’élaboration du projet, au lieu de « se faire organiser ». Les enjeux négligés et les lacunes du projet qui ont été soulevés par des membres du public, ainsi que la participation soutenue observée à toutes les phases du processus de participation publique témoignent d’un certain degré d’appropriation citoyenne de la démarche. Un citoyen rencontré en entrevue expliquait notamment comment son désaccord avec une proposition du premier projet de schéma l’avait incité à pousser sa réflexion sur une autre option et à soumettre son idée :

« Quand j’ai participé aux consultations, c’est une idée que j’avais depuis très longtemps. […] Mon idée a mûri, je pense, en réaction contre l’idée de construction d’un pôle commercial au nord d’Aylmer. […] Ça a lancé ma réflexion sur le meilleur emplacement d’un pôle […]. Là je me suis dit, s’il y a un pôle au centre d’Aylmer, il faut avoir une façon de se rendre là sans voiture, ce qui m’a amené à la proposition du tramway » (SV-3).

La présentation du premier projet de schéma a également donné lieu à une forte mobilisation du milieu culturel et patrimonial en réaction à la « faiblesse » (P-3) du schéma sur cet aspect, de même qu’à des récriminations de la part du milieu social « parce que le schéma était tellement stické sur le développement durable qu’on ne parlait pas beaucoup des milieux défavorisés » (P-3), de préciser un intervenant du Service d’urbanisme. Les coalitions de groupes écologistes et d’associations citoyennes formées en vue de s’entendre sur des positions communes à défendre à l’étape de l’audience publique apparaissent également comme des signes tangibles d’appropriation du processus par la société civile. Un autre professionnel du

23Commentaire formulé en référence à une rencontre initiée par un regroupement de citoyens d’Aylmer pour discuter de l’idée de tramway proposée par un citoyen.

Service d’urbanisme confirme d’ailleurs l’implication soutenue des principaux organismes à vocation écologique24 dans le processus : « Ils nous ont surtout accompagnés, parce qu’on s’était rencontré avant l’étape des audiences. Ils sont venus nous rencontrer pour nous faire part de leurs propositions. Nous, on les a écoutés et on a intégré majoritairement leurs propositions » (P-2).

La crédibilité des consultations publiques : un lien de confiance à rétablir

Nonobstant ces nombreuses manifestations d’adhésion et d’appropriation du processus par la population, il convient de souligner la méfiance et le scepticisme exprimés par plusieurs participants dans le cadre de l’audience publique et de la dernière assemblée publique de consultation. Comme le soulignait un intervenant, la méfiance des citoyens à l’égard de la Ville est nourrie par « les erreurs du passé ». « La Ville a perdu la confiance des gens. Y'a un paquet de gens qui veulent pu rien savoir des consultations. Y'en a qui me l'ont dit : ‘On s'est fait conter des menteries, je veux même pu y aller... On le sait, c'est organisé d'avance’ » (SV-2). Cette perte de confiance vient teinter l’opinion d’un citoyen (SV-4) à l’égard du schéma d’aménagement révisé, dont il peut reconnaître certains éléments positifs tout en restant convaincu que la Ville apportera des modifications en cours de route (dérogations mineures, changements de la réglementation) qui viendront dénaturer les choix exprimés dans le document original. Sa méfiance prend racine dans des projets menés antérieurement par la Ville et qui, à son avis, n’ont pas été réalisés selon les vœux exprimés et les ententes préétablies.

« On a menti à la population » (SV-4), soutient cette personne.

Un professionnel de la participation publique (P-4) souligne à ce sujet que les tentatives d’instrumentalisation de la consultation25 vécues par les citoyens dans le passé ont pour effet d’entretenir chez eux une certaine méfiance à l’égard de n’importe quel processus de consultation, et que c’est « un défi pour ceux qui ont à mener la consultation » de rétablir le lien de confiance.

« Tout ça pour dire que […] ça prend quand même une vigilance de la part de ceux qui font de la consultation pour que le rapport et les recommandations qui découlent du

24 Vivre en ville, Équiterre et le CREDDO

25À noter que les exemples d’instrumentalisation fournis par cet expert de la participation publique pour illustrer son propos ne concernaient pas la Ville de Gatineau.

processus continuent à aider à la prise de décision, à influencer la prise de décision.

‘Éclairer la prise de décision’, c'est les mots qu'on utilise » (P-4).

Ce défi est d’ailleurs amplifié par le traitement médiatique du processus, qui tend à nourrir la méfiance des citoyens envers la Ville. Dans un éditorial paru dans le quotidien local au tout début de l’étape des rencontres de discussion sur les scénarios, le journaliste discrédite d’emblée le processus :

« Je ne suis pas un grand fan de ce type de consultations à la gomme balloune. Dans le fond, c’est pas mal tout décidé d’avance. Il suffit de lire les scénarios pour s’en convaincre. […] Je vous gage ma chemise que l’on va choisir un amalgame des scénarios deux et trois. Ils ont été développés à partir de sept grandes orientations du conseil et, soi-disant, réalisées à partir des consultations publiques » (Bergeron, 2012b).

Pour l’équipe du Service d’urbanisme, ces propos ne sont pas fondés sur un travail journalistique rigoureux et soulèvent manifestement une grande frustration.

« M. Bergeron, il critique mais il n’est jamais là. Il lit les documents, parfait, ok. [Mais]

il n’est jamais venu nous parler, on ne l’a jamais vu. […] Les bons coups sont toujours passés sous silence. On préfère broder une histoire à partir de quelques commentaires de 3 ou 4 conseillers. […] Moi quand j’entends des commentaires de même, ça me décourage, ça me démotive » (P-2).

Dans un article tout de même plus nuancé malgré un titre on ne peut plus clair sur les doutes soulevés par la crédibilité du processus (Consultations à la Ville de Gatineau. Déjà décidé d’avance?), un autre journaliste du même quotidien évoque la possibilité que les consultations organisées dans le cadre du processus de révision du schéma soient des « consultations bidons ». Cet article, qui relève certaines lacunes importantes constatées lors de consultations publiques passées, cherche à démontrer le « manque d’indépendance » des consultations publiques par rapport au pouvoir excécutif à Gatineau et le manque de transparence du processus de décision. Un chercheur de l’UQO26 cité dans cet article reconnaît que la Ville de Gatineau figure parmi les villes les plus avancées en matière de participation publique au Québec après Montréal et Québec, mais se montre tout de même très critique à l’endroit du processus :

26 Il s’agit du professeur Mario Gauthier, spécialiste en participation publique et aménagement du territoire.

« Très souvent, la Ville de Gatineau se sert des consultations pour vendre ses projets à la population et refuse toute véritable remise en question. […] Sous le couvert d’une consultation sur le modèle du BAPE (s’informer, s’exprimer), ils ont pris un autre modèle, le DAD (décider, annoncer, défendre), qui consiste à persuader les gens que le projet est bon » (Duquette, 2013).

Il n’est pas dénué d’intérêt de noter que cet article est paru le jour même où devait avoir lieu l’assemblée publique de consultation sur le deuxième projet de schéma, et qui constituait la toute dernière étape du processus de participation publique.