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CHAPITRE 3 – DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

4.4.2 Gestion de la croissance, lutte à l’étalement urbain et densification résidentielle

La population de l’actuelle ville de Gatineau a presque doublé en quarante ans, passant de 149 000 personnes en 1971 à près de 262 000 personnes en 2011, un accroissement qui s’explique en bonne partie par l’abordabilité du logement comparativement au marché ontarien et la proximité d’Ottawa. Dans la même période, des changements sociaux, tels que la diminution du nombre d’enfants, la hausse des séparations et des divorces ainsi que la hausse du nombre de personnes seules, ont fait bondir la demande en logements, de sorte qu’il a fallu construire près de 77 200 nouveaux logements pour répondre aux besoins. Malgré tout, la densité résidentielle globale est restée à peu près inchangée (23 logements à l’hectare en 71 contre 24 en 2011), au détriment de milliers d’hectares de terres agricoles en friche sacrifiées à l’étalement urbain (Ville de Gatineau, 2011c). Soulignons qu’en 2001, Gatineau affichait la plus faible densité d’occupation du territoire parmi les cinq plus grandes villes du Québec (Ville de Gatineau, 2006).

Dans son bilan de la mise en œuvre du dernier schéma d’aménagement et de développement, adopté en 2000, la Ville de Gatineau reconnaît qu’en dépit d’une croissance démographique soutenue, le centre-ville et les noyaux urbains d’Aylmer et de Buckingham ont accueilli très

14 Propos du regretté professeur Serge Gagnon de l’UQO, décédé prématurément en décembre 2011.

peu de nouveaux résidents. « Même si le pourcentage relatif de maisons unifamiliales isolées a progressivement diminué, la croissance de Gatineau s’est généralement poursuivie avec un développement de type banlieue sur de grands espaces de la périphérie » (Ville de Gatineau, 2013b, p. 1-10). Il convient de rappeler à ce sujet que le territoire de Gatineau est constitué à près de 40 % de terres agricoles peu exploitées qui sont soumises à une pression constante pour répondre à la forte croissance démographique et résidentielle. Ces terres, qui sont surtout concentrées au nord de l’autoroute 50 et dans les secteurs d’Aylmer et de Masson-Angers, représentent en effet une intéressante banque potentielle de terrains construisibles pour certains acteurs du développement, qui pensent que « ces terres ne servent à rien et ne serviront jamais à rien » et devraient donc être utilisées pour étendre le développement. Un intervenant du secteur de la construction ne voit pas pourquoi il faudrait protéger le territoire agricole à Gatineau. « Il faut évoluer avec notre époque et on n’est pas des producteurs de bœufs ici », dira-t-il lors d’une séance de consultation. De l’avis d’un conseiller municipal d’Aylmer, la densification constitue « l’enjeu principal » du processus de révision du SAD. « Il faut protéger le périmètre urbain, et aussi le périmètre agricole. Il y a beaucoup de gens qui ont l’œil sur ces terres », dira-t-il (Boursier, 2011b).

De nombreuses voix se font d’ailleurs entendre au sein de la société civile pour dénoncer l’emprise des promoteurs sur le développement résidentiel à Gatineau. « Présentement, ce sont eux qui décident à la Ville. […] La seule institution qui peut discipliner les constructeurs et arrêter l’étalement urbain, c’est la Ville », dira le chercheur de l’UQO (Boursier, 2011a). Le feu vert donné par la Ville à certains projets de développement très controversés alimente la méfiance des citoyens à l’égard de la volonté de l’administration municipale « d’imposer des limites aux promoteurs afin de garder le contrôle de son développement » (Duquette, 2012), comme elle prétend vouloir le faire avec son nouveau schéma d’aménagement. Fait intéressant, plusieurs élus expriment aussi des doutes quant à la capacité de la Ville d’imposer sa vision aux promoteurs. Les propos du chef d’Action Gatineau résument les craintes exprimées par d’autres conseillers : « Les 40 dernières années nous ont démontré que c’est plus facile de construire des maisons dans un champ que le long du Rapibus ou de redévelopper de vieux quartiers » (ibid.).

Selon les projections démographiques utilisées par la Ville de Gatineau pour la révision de son schéma d’aménagement et de développement15, Gatineau devrait connaître une croissance démographique de près de 30 % d’ici 2051, ce qui représente 78 000 nouveaux résidents et l’ajout de 47 000 ménages supplémentaires (Ville de Gatineau, 2013b). Ces projections démographiques, si elles sont jugées trop prudentes par les acteurs du secteur de la construction immobilière, suscitent en revanche l’inquiétude d’une partie de la population, qui a le sentiment que la Ville cherche à stimuler la croissance résidentielle – « une croissance décidée, encouragée, calculée » aux dires de certains résidents – au détriment de leur qualité de vie. Car la construction des nouveaux logements requis pour répondre à la croissance, si elle contribue à la richesse foncière de la Ville, entraîne aussi son lot d’effets négatifs, dont la destruction des milieux naturels et des coûts élevés en infrastructures. Comme l’exprimait un citoyen d’Aylmer à la suite de la rencontre de discussion sur les scénarios d’aménagement tenue dans ce secteur :

« L’administration municipale en place parle de 78 000 nouveaux résidents d’ici les 40 ans.

Sur quoi fonde-t-elle de telles prévisions et comment justifie-t-elle son enthousiasme face à une telle croissance? Ce développement domiciliaire taxe lourdement nos infrastructures.

Comment s’attendre à ce qu’elles tiennent le coup face à un afflux massif de nouveaux résidents? » (Le Droit, 2011).

La forte croissance urbaine annoncée ouvre la porte à la densification résidentielle et à certaines répercussions sur les milieux de vie existants. À l’issue de la première ronde de consultation publique sur les enjeux d’aménagement, le message d’une majorité de citoyens était sans équivoque : dans une optique de développement durable, l’étalement urbain doit être freiné, sinon stoppé. Dans ce contexte, les citoyens voient la densification des quartiers résidentiels comme une alternative à l’étalement, à condition qu’il s’agisse d’une « densité intelligente » qui soit réalisée « dans le respect du caractère des quartiers actuels » et « de manière différenciée », c’est-à-dire surtout concentrée dans les nouveaux quartiers (Ville de Gatineau, 2011e, p. 16).

« Dans les nouveaux quartiers, les participants s’accordent pour que l’on construise davantage de logements sur des terrains moins grands; pour que l’on assure une grande diversité de logements qui garantisse la mixité sociale; pour que l’on prévoie des

15 La Ville de Gatineau s’est basée sur les perspectives démographiques publiées par l’Institut de la statistique du Québec en 2009 pour établir ses projections démographiques.

commerces, des services, du transport en commun, bref que l’on assure une mixité fonctionnelle. […]Dans les quartiers existants, les participants expriment leur satisfaction et leur appréciation de leur quartier de résidence : ils ne souhaitent pas le voir évoluer ou changer, ou alors s’ils consentent à un changement, ils y posent plusieurs conditions » (ibid., p. 17).