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CHAPITRE 1 – PARTICIPATION PUBLIQUE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE :

1.1 U NE PROBLÉMATIQUE ARTICULÉE AUTOUR DU TRIPTYQUE DÉVELOPPEMENT DURABLE ,

1.1.3 L’évolution des pratiques de planification et d’aménagement du territoire face aux

Le Rapport Brundtland a bien fait ressortir le lien étroit entre développement durable, équité et recherche de l’intérêt commun, ainsi que la difficulté de s’entendre, justement, sur cet intérêt commun et d’arriver à dépasser l’opposition traditionnelle entre gagnants et perdants. Il souligne également la capacité limitée des lois à faire respecter cet intérêt commun, une fois défini, d’où l’importance de bien informer le public et de lui donner une voix dans les processus de prise de décision publique (CMED, 1988).

La question du débat public en urbanisme se pose aussi en regard des critiques dirigées contre le modèle de la planification rationnelle globale, progressivement remis en cause depuis les années d’après-guerre (Bacqué et Gauthier, 2011; Grant, 2006; Hamel, 1996, 1997; Wolfe, 2002). Selon Gauthier (2005), la participation du public, la délibération démocratique et le débat public jouent un rôle déterminant dans la réponse à la crise de la planification rationnelle en permettant notamment d’établir les référentiels communs nécessaires au développement d’une vision intégrée pour la ville articulant transport, urbanisme et environnement.

Selon Dorcey et McDaniels (2001), le processus d’évolution de la planification d’un modèle bureaucratique vers un modèle délibératif a connu trois grandes vagues marquées par des avancées et des reculs. C’est dans les années 1960, et plus particulièrement en réaction à la parution du livre Printemps silencieux de Rachel Carson (1962), que les citoyens ont commencé à se préoccuper vraiment des impacts sur l’environnement et à revendiquer un droit de parole dans les décisions relatives au développement urbain et à l’aménagement du territoire. Ce mouvement a donné lieu à un foisonnement d’initiatives qui ont permis d’expérimenter une panoplie de dispositifs de participation et ce, jusqu’au milieu des années 1970 où un certain désenchantement a fini par s’installer face aux résultats décevants obtenus par les dispositifs de participation publique. Le constat tiré de ces premières expériences est navrant : la participation publique coûte cher, prend du temps et ne réussit pas pour autant à résoudre les conflits; bref, ce n’est pas efficace. Il faudra attendre la fin des années 1980 avec la publication du Rapport Brundtland, la diffusion du concept de développement durable et le retour en force des préoccupations environnementales pour voir apparaître une pléthore de nouvelles approches de participation publique basées sur le consensus et la concertation entre les diverses parties intéressées. Or la mise en place tous azimuts de processus de participation publique sans véritable coordination aura tôt fait encore une fois d’entraîner d’autres problèmes et de révéler les lacunes du modèle. Dès le milieu des années 1990, l’enthousiasme soulevé par les initiatives de participation publique en environnement s’essoufflera une fois de plus, car les gouvernements sont désormais préoccupés davantage par l’assombrissement des perspectives économiques.

La planification collaborative

Dans le domaine de la planification urbaine, ce mouvement en faveur d’une démocratie participative coïncide avec ce qu’on a appelé le « tournant communicationnel » dans les théories de la planification, lequel a donné lieu à un nouveau modèle connu sous le nom de collaborative planning, ou planification collaborative en français. Ce nouveau paradigme s’appuie sur une reconnaissance du pluralisme croissant de la société pour proposer une méthode de planification fondée sur la communication dans le but de construire des consensus fondés sur des valeurs communes (Allmendinger, 2002; Healey, 1998, 2003, 2006; Margerum, 2002a). Ces nouvelles approches collaboratives en matière de planification constituent selon

Wheeler (2004) un tournant majeur dans les théories de la planification qui met l’accent à la fois sur la participation publique et le maintien d’une communication constante entre les responsables de la planification, les citoyens, les promoteurs, les élus et toutes les autres parties prenantes en tant que mécanisme principal d’apprentissage collectif et de concrétisation des objectifs poursuivis.

Selon Richard Margerum (2002b), la complexité et l’interdépendance des sujets controversés exigent qu’on fasse appel à une diversité d’acteurs pour en discuter; dans ce contexte, les approches collaboratives ont plus de chances de réussir car elles amènent les participants à s’entendre sur des objectifs communs. L’interaction et l’échange d’information entre les parties prenantes au processus génère de nouvelles idées qui débouchent sur des solutions créatrices.

Le développement d’une culture de gouvernance fondée sur des approches collaboratives s’appuie sur les éléments suivants d’après Healey (1998) : l’intégration des champs d’action pour tenir compte de l’interrelation entre les trois piliers du développement durable;

l’établissement d’une collaboration tant au niveau des choix stratégiques que des projets; une large participation du public et l’inclusion de toutes les parties prenantes dans un processus axé sur la valorisation des savoirs d’usage; et enfin la qualité de l’arène social pour favoriser l’échange d’information, l’apprentissage et la compréhension mutuelle, et que Healey nomme la capacité institutionnelle. Le rôle de la planification collaborative est de contribuer à bâtir cette capacité institutionnelle, qui vise à accroître le pouvoir des acteurs d’améliorer les qualités de leur milieu de vie.

Une expérience de planification collaborative menée à Vancouver a d’ailleurs connu beaucoup de succès. Comme en témoigne Grant (2009), Vancouver est devenue un modèle reconnu à l’échelle internationale pour sa forme urbaine compacte et sa viabilité. À Vancouver, les planificateurs ont aidé à construire des consensus autour de visions d’aménagement porteuses, centrées sur la revitalisation du centre-ville et la diminution de la dépendance à l’automobile, qui ont été élaborées à partir des expériences vécues au quotidien par les résidents et leurs aspirations.

Le renouvellement des pratiques d’aménagement au Québec

La participation du public au processus de planification urbaine est ainsi devenue un passage obligé et a donné lieu, au Québec et ailleurs, au déploiement d’une multitude de mécanismes d’information, de participation du public et de concertation visant à intégrer les préoccupations des citoyens et des groupes de la société civile à la prise de décision au niveau local.

L’organisation du débat entre les acteurs exige en effet la mise en place de nouvelles procédures pour encadrer les discussions et assurer la qualité, l’utilité et l’efficacité des échanges (Blondiaux, 2008a, 2008b; Blondiaux et Sintomer, 2002). Ces dispositifs participatifs sont aujourd’hui au cœur du renouvellement des pratiques d’aménagement et d’urbanisme.

Au Québec, cette obligation a d’abord été enchâssée dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), adoptée en 1979, et dont l’un des principes fondateurs est d’encourager une « participation plus active des citoyens à la prise de décision et à la gestion de l’aménagement » (MAMR, 2007, p. 22). Cette loi a donné lieu depuis à l’émergence d’une variété de dispositifs d’information, de consultation et de participation du public (Gauthier et al., 2008a; MAMR, 2005). Toutefois, selon les dispositions de la LAU, les citoyens n’ont leur mot à dire qu’en dernier recours avant l’adoption finale d’un projet, et la consultation se résume à une assemblée publique d’information gérée par les élus (Bherer, 2011). Or, les mécanismes conventionnels d’information et de consultation tels que ceux instaurés par la LAU ne répondent plus aux attentes des citoyens, qui demandent à participer plus activement et plus en amont à l’élaboration des politiques et aux choix d’aménagement. De plus en plus de villes et de municipalités vont d’ailleurs au-delà de ces dispositions minimales et déploient des efforts considérables pour encourager une plus grande concertation entre les acteurs dans la prise de décision en aménagement1. À la fin des années 2000, une réforme en profondeur du cadre de planification québécois a été lancée dans le but notamment de renforcer la participation des citoyens aux choix d’aménagement et de relier plus étroitement les pratiques d’aménagement et d’urbanisme aux principes du développement durable, mais le projet a été mis en veilleuse à la faveur d’un changement de gouvernement en 2012 (Gagnon et Gauthier, 2013).

1 Ce constat a notamment été vérifié à l’aide d’un sondage administré par le MAMROT à l’hiver 2014 en vue de la rédaction d’un Guide pour l’élaboration d’une politique d’information et de consultation publique à l’intention des municipalités.

temps, le degré d’implication des citoyens aux décisions en matière d’aménagement et de planification urbaine dépend de la mise en place de mécanismes originaux – tels que les conseils de quartier à Québec et l’Office de consultation publique à Montréal – ou de l’adoption de politiques urbaines visant à encadrer et à encourager la participation publique (telles que le Cadre de référence en matière de participation des citoyens aux affaires municipales de Gatineau ou la Politique de consultation citoyenne de Sherbrooke), et varie donc grandement d’une ville à l’autre (Gauthier et al., 2008a).

1.2 Délimitation de l’objet de recherche