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Où la pulsion sexuelle masculine est automnale :

Dans le document Le cerf, le temps et l'espace mythiques (Page 84-88)

Nous trouvons chez Mac Farland (1990) une description étiologique du comportement sexuel :

«Certaines espèces, y compris l!homme, sont sexuellement actives tout au long de l!année. C!est vrai des espèces vivant dans les régions équatoriales où les saisons sont favorables à la reproduction. Cependant ["] même chez l!homme on remarque des rythmes cycliques de production d!hormones. L!activité des testicules chez l!homme adulte est à son maximum à la fin de l!automne et accuse une chute à la fin du printemps. Ceci est valable dans l!hémisphère Nord. On constate des changements parallèles chez la femme. On note également pour ces populations humaines une intéressante corrélation entre la latitude et la natalité. L!activité gonadale étant maximale en novembre, on pourrait s!attendre à une forte natalité neuf mois plus tard ; or ce n!est pas le cas. ["] Le plus fort taux des naissances est influencé par la latitude mais également par des pratiques sociales. »256

«Les populations qui n!utilisent pas la contraception mais observent l!abstinence pendant le carême ont un nombre de conceptions élevées à Pâques, ce qui rend compte de la forte natalité en janvier. »257

La première parution de cet ouvrage date de 1981. C!est dire combien les connaissances chronobiologiques et éthologiques disponibles à l!époque des enquêtes ethnographiques précédemment citées, auraient permis d!établir des conclusions pertinentes" si la relation entre les cycles biologiques et les conduites sexuelles avait été examinée.

Alain Reinberg (1978, 1981) a montré que la variation annuelle du taux sanguin de testostérone était significative dans notre espèce et que le maximum se produisant fin septembre. Il fait observer combien l!activité sexuelle masculine est déterminée, pour des raisons adaptatives, par la photopériode :

« It is probable that human beings, like some other primates, are influenced or synchronized, at least to some extent, by photoperiod. »258

L!auteur complète son interprétation en dressant un parallèle entre le rythme annuel de la pulsion sexuelle masculine et celui des « passages à l!acte », sous formes de viols ou de crimes à l!arme blanche. Ces viols et crimes à l!arme blanche diffèrent radicalement quant à leur occurrence saisonnière épidémiologique :

« These findings strongly suggest different etiological factors for the rhythm in rape versus that for assault to inflict bodily injury. The literature of psychology and psychiatry has from time to time envisioned knives, guns and other weapons so as to inflict bodily injury are symbolic of sexual aggression by men. This assertion is without objective support. In fact the detection of an antiphase relationship of the circannual rhythms in rape and in assaults repudiates such a hypothesis.»259

L!interprétation comparative avec les autres animaux soumis à de telles variations était directement faite : il s!agit d!une réponse adaptative à l!environnement, de façon à ce que la reproduction s!accorde avec les ressources alimentaires.

Le schéma suivant est une version simplifiée du diagramme établi par Reinberg (à la latitude de Paris) :

Figure 1

Le rapprochement serait fructueux si l!homme, à l!instar des cerfs, des b#ufs, des chèvres ou des moutons, se nourrissait de végétaux. Comme la contrainte est moindre dans notre espèce qu!elle ne l!est chez les herbivores, nous ne nous étonnons guère de ne pas trouver de mention directe d!une sexualité exacerbée ou d!une augmentation de la masse testiculaire chez les hommes en automne, alors que c!est exactement ce qu!on observe chez les cerfs et les taureaux.

L!indicateur pertinent de la variation annuelle du taux sanguin de la testostérone n!est pas la masse testiculaire, mais la masse musculaire. D!autres auteurs, notamment Hettinger (1998), ont montré que la variation annuelle de la force musculaire masculine était déterminée par la testostérone. Il en découle que le

cycle annuel de variation de la force musculaire est associé indirectement à celui de la pulsion sexuelle. Nous représentons sur le schéma suivant le cycle des variations de la force, exprimée en pourcentages. Le niveau médian correspond à 50% ; le pic de 100% correspond à la valeur observée en septembre, c!est-à-dire le double de celle observée en janvier :

Figure 2

La courbe n!est pas une sinusoïde régulière où le point haut, atteint en septembre, serait compensé par un point bas situé à l!opposé sur le calendrier. La valeur la plus basse, au lieu de se produire en mars, est observée en janvier. Il en résulte un déséquilibre : le point médian de « l!onde » se situe au solstice d!été. Autrement dit, les hommes sont dans leur force normale au solstice d!été et au mieux, à l!équinoxe d!automne. Examinons ce point puisque les allégations relatives à la vigueur des chevaliers, notamment Gauvain dont la force croît du matin jusqu!à midi puis décline en soirée, sont directement remises en cause. Dans son combat contre Ségurade par exemple, il est dit que Gauvain est invincible à midi. Représentons les deux « chronothèses » pour comparer ce qu!il en est des indications horaires relevées au solstice d!hiver (à gauche) et de celles relevées au solstice d!été (à droite). Les indications horaires sont représentées en toutes lettres et les indications mensuelles dans le calendrier julien, le sont par le numéro du mois :

Ce schéma conjugue deux représentations, celle du cycle horaire exprimé en heures canoniales (sexte correspond à midi et prime au lever solaire) et celle du cycle calendaire dans la nomenclature julienne (le sixième mois est juin et le premier mois est janvier). Les heures sont de durée inégale, sauf à l!équinoxe. Si Gauvain devait combattre à Noël, il n!aurait aucune chance de résister au-delà de « none » exprimée en heures canoniales équinoxiales. A contrario, un adversaire opposé à Gauvain au jour saint Jean, n!a aucune chance de lui résister puisqu!à « vêpres » exprimées en heures canoniales équinoxiales, Gauvain dispose encore d!un reliquat de forces.

Revenons aux descriptions naturalistes : si Gauvain était étalonné selon les résultats d!Hettinger, en combattant à Noël, il serait certain de perdre contre un chevalier non « saisonnalisé », c'est-à-dire dont la force est égale tout au long de l!année. Si Gauvain combat à la saint Jean, les forces sont équilibrées puisque l!un est au point médian de son cycle annuel tandis que l!autre est censé échapper aux variations annuelles. Il en résulte que le motif selon lequel la force de Gauvain suit le cycle solaire, a été imaginé dans un calendrier archaïque où Gauvain combattait à l!équinoxe d!automne. Deux cycles réels, la photopériodicité quotidienne et la photopériodicité annuelle, sont décalés de 90° sur le cercle pour être assimilés par un motif narratif, à un autre cycle réel, la variation de testostérone masculine. La force masculine censée suivre le cycle solaire sert à signifier l!équinoxe d!automne. Le signifié de puissance est alors la force, selon l!antinomie victoire/défaite, ou le rut selon l!antinomie naissance hivernale/naissance estivale. Seules les espèces animales dont la durée de gestation est identique à la nôtre, seront comparables aux êtres humains. Citons Buffon :

« Le cerf est en état d!engendrer à l!âge de dix-huit mois, car on voit des daguets, c!est-à-dire, des cerfs nés au printemps de l!année précédente, couvrir des biches en automne, et l!on doit présumer que ces accouplements sont prolifiques. Ce qui pourroit peut-être en faire douter, c!est qu!ils n!ont encore pris alors qu!environ la moitié ou les deux tiers de leur accroissement ; que les cerfs croissent et grossissent jusqu!à l!âge de huit ans, et que leur tête va toujours en augmentant tous les ans jusqu!au même âge ; mais il faut observer que le faon qui vient de naître, se fortifie en peu de temps ; que son accroissement est prompt dans la première année, et ne se rallentit pas dans la seconde ; qu!il y a même déjà surabondance de nourriture, puisqu!il pousse des dagues, et c!est-là le signe le plus certain de la puissance

d!engendrer. Il est vrai que les animaux en général ne sont en état d!engendrer que lorsqu!ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement ; mais ceux qui ont un temps marqué pour le rut, ou pour le frai, semblent faire une exception à cette loi. [...] et dans les animaux quadrupèdes, ceux qui, comme le cerf, l!élan, le daim, le renne, le chevreuil, etc. ont un rut bien marqué, engendrent aussi plus tôt que les autres animaux. »260

Buffon va nettement plus loin dans l!explication qu!il donne, en liant la production séminale et celle du bois, à l!apport de nourriture. Pour lui la relation est proportionnelle

« Il y a tant de rapports entre la nutrition, la production du bois, le rut et la génération dans ces animaux, qu!il est nécessaire, pour en bien concevoir les effets particuliers, de se rappeler ici ce que nous avons établi de plus général et de plus certain au sujet de la génération : elle dépend en entier de la surabondance de la nourriture. Tant que l!animal croît (et c!est toujours dans le premier âge que l!accroissement est le plus prompt), la nourriture est entièrement employée à l!extension, au développement du corps ; il n!y a donc nulle surabondance, par conséquent nulle production, nulle sécrétion de liqueur séminale, et c!est par cette raison que les jeunes animaux ne sont pas en état d!engendrer : mais lorsqu!ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement, la surabondance commence à se manifester par de nouvelles productions. Dans l!homme, la barbe, le poil, le gonflement des mamelles, l!épanouissement des parties de la génération, précèdent la puberté. »

En assimilant maturation sexuelle et rut, Buffon laisse de côté la photopériode et son rôle déclencheur :

« Et ce qui prouve évidemment que la production du bois et celle de la liqueur séminale dépendent de la même cause, c!est que si vous détruisez la source de la liqueur séminale en supprimant par la castration les organes nécessaires pour cette sécrétion, vous supprimez, en même temps, la production du bois ; car si l!on fait cette opération dans le temps qu!il a mis bas sa tête, il ne s!en forme pas une nouvelle ; et si on ne la fait au contraire que dans le temps qu!il a refait sa tête, elle ne tombe plus, l!animal en un mot reste pour toute la vie dans l!état où il étoit lorsqu!il a subi la castration ; et comme il n!éprouve plus les ardeurs du rut, les signes qui l!accompagnent disparoissent aussi, il n!y a plus de venaison, plus d!enflure au cou ni à la gorge, et il devient d!un naturel plus doux et plus tranquille. Ces parties que l!on a retranchées étoient donc nécessaires, non-seulement pour faire la sécrétion de la nourriture surabondante, mais elles servoient encore à l!animer, à la pousser au dehors dans toutes les parties du corps sous la forme de la venaison, et en particulier au sommet de la tête, où elle se manifeste plus que par-tout ailleurs par la production du bois. »261

Dans le document Le cerf, le temps et l'espace mythiques (Page 84-88)