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Où la date de mue dépend de l!âge des cerfs :

Dans le document Le cerf, le temps et l'espace mythiques (Page 109-113)

Au printemps, le cerf jette son bois :

Le rythme annuel est connu de tous et ne suscite guère le besoin d!être explicité :

« [Les cerfz] gietent leurs testes. »309

« Certaines bêtes se renouvellent à un moment donné, et ôtent ce qui leur est superflu, comme les écrevisses, qui abandonnent leur vieille carapace ; et les cerfs perdent leur cornes, les couleuvres leur peau et les faucons leurs plumes. »310

Buffon est nettement plus précis que d!autres :

« Au printemps ils mettent bas, la tête se détache d!elle-même, ou par un petit effort qu!ils font en s!accrochant à quelque branche : il est rare que les deux côtés tombent précisément en même temps, et souvent il y a un jour ou deux d!intervalle entre la chute de chacun des côtés de la tête. Les vieux cerfs sont ceux qui mettent bas les premiers, vers la fin de février, ou au commencement de mars ; les cerfs de dix cors ne mettent bas que vers le milieu ou la fin de mars ; ceux de dix cors jeunement dans le mois d!avril ; les jeunes cerfs au commencement, et les daguets vers le milieu et la fin de mai ; mais il y a sur tout cela beaucoup de variétés, et l!on voit quelquefois de vieux cerfs mettre bas plus tard que d!autres qui sont plus jeunes. Au reste, la mue de la tête des cerfs avance lorsque l!hiver est doux, et retarde lorsqu!il est rude et de longue durée. Dès que les cerfs ont mis bas, ils se séparent les uns des autres. »311

La singularité du cerf tient à ce que sa corne est faite d!un os caduc et non, d!un pivot osseux pérenne couvert d!un étui corné également pérenne :

Chapitre 3. Relier

la mue du cerf à

son rajeunissement.

« Toutes les bêtes cornues ont les cornes vides à l'intérieur, excepté le cerf. »312

Les cerfs perdent l!attribut caractéristique de l!espèce et du genre sexué :

« Les mâles ont des cornes, et seuls de tous les animaux, ils les perdent tous les ans à une époque fixe du printemps.»313

« Les cerfz muent et jettent leurs testes en février et mars ["] mais s'il y en ha quelqu'un qui en ayt esté blessé ["] il ne la cuyde pas jetter si tost que les autres. »314

Au printemps, les cerfs mâles se cachent :

Le changement d!apparence des cerfs mâles détermine leur comportement à cette époque de l!année :

« [Les cerfs] perdent leurs cornes chaque année [...] Lorsqu'ils les ont perdues, ils se cachent pendant le jour, comme on l'a dit, jusqu'à ce que les cornes aient repoussé [...] Et lorsqu'ils ne souffrent plus en frottant [leurs cornes] contre les arbres, alors ils abandonnent les lieux, certains d'avoir de quoi se défendre. »315

Pline l!Ancien ne donne pas plus d!indication calendaire :

« Les mâles ont des cornes, et seuls de tous les animaux, ils les perdent tous les ans à une époque fixe du printemps. Aussi à l'approche de ce jour, gagnent-ils les repaires les plus inaccessibles ; après leur chute, ils demeurent cachés, comme s'ils étaient désarmés. »316

Elien suit de près ce qu!en disait Pline :

« Précautions des cerfs relativement à leurs bois : les cerfs, lorsqu'ils perdent leurs bois, se glissent dans des taillis pour y trouver refuge et se mettent à l'abri de leurs prédateurs. Ce comportement est normal, car, lorsqu'ils sont privés de tous moyens de défense, ils sont convaincus d'être, du même coup, privés de ce qui fait leur force. On raconte aussi qu'ils prennent garde que les rayons du soleil, ne viennent pas frapper leurs bois quand ceux-ci sont encore jeunes, qu'ils ne sont pas consolidés et qu'ils n'ont pas encore développé ce qu'on appelle des andouillers, pour éviter que ce contact n'entraîne une putréfaction de la chair. »317

« Quand les cerfz ont mué et jetté leur teste, ilz commancent a [se] retirer, et prendre leur buysson. »318

« [Les cerfz] prennent leurs buissons au plus requoy que ilz peuvent. »319

« Les bonnes gens se lèvent des l'aube du jour pour mettre le bestiail aux champs, qui est cause que les cerfz se retirent de bonne heure en leur fort. »

320

« Ilz ont perdu leurs armes et deffenses qui sont leurs testes et ne s'osent montrer ["] pour la crainte des bestes. »321

« Commançans à lors à regarder le pays le plus commode pour prendre leurs buyssons et refaire leurs testes, et lors se départent d'ensemble. »322

« Le cerf se forpaïse pour beaucoup de raisons, principalement en Avril et en May, qu'il ha la teste molle et en sang, ["] de peur de heurter et blesser sa teste aux branches. »323

Chez Elien, l!ordre de la nature relève de la temporalité, dans les deux acceptations du terme : les cycles (le retour des bois) et la flèche du temps (la putréfaction de la chair, si le développement saisonnier est contrarié par un comportement inapproprié). Le programme d!Elien consiste à compiler ce qui relève de l!intelligence des animaux, à la différence d!Aristote plus au fait des phénomènes physiques et de la causalité.

Au printemps, les cerfs s!isolent dans leur buisson :

« Comportement d'espacement : mode de comportement qui sert aux différents groupements ou individus à maintenir entre eux la distance appropriée. »324

« Quand les cerfz ont mué et jetté leur teste, ils commancent à se retirer et prendre leur buisson. ["] et devez entrendre que les jeunes cerfz ne prenent jamais de buysson qu'ilz n'aient porté la troisième teste, qui est au quatriesme an. »325

« Et s'accompaignent trois ou quatre cerfs ensemble en se retirans aux ailes des foretz. »326

Au printemps, les cerfs cherchent une nourriture riche, loin de tout dérangement :

« Quant a la venerie des cerfs et de toutes bestes rouges, l'en doit dire viander ["] et les parolles de viander furent par moi ordonnées sus les bestes qui n'ont nulles dents dessus comme cerfs, biches, chevreaux et teles bestes. »327

« Sy on lui demande comme se doyt nommer le manger du cerf, en termes de venerie, et des autres bestes a luy semblables, doyt dire qu'il se nomme viandy. »328

« [Les cerfz] vivent de peu de chose, car ilz viandent seulement de ce qu'ilz trouvent devant eux. »329

« [Les cerfz] vivent des herbes et de gainhage, de vinhes et de ronces. »330

Leur nourriture change à mesure de l!avancement de la saison :

« Tout ainsi que le soleil hausse et que les viandis croissent, ilz font mutation de gaignage. »331

« En Febvrier et Mars ilz vont aux viandis, aux chatons des saules et coudres, aux bledz vers. »332

« Il faut entendre qu'il y ha différence entre gaignages et tailles, car ce que nous appellons gaignages, sont champs et jardins où croissent toutes especes de bledz, et potages : et quand les cerfz vont là viander, nous disons qu'ilz ont esté aux gaignages. »333

« Si un cerf faisoyt sa nuict dedans les champs, le veneur doyt dire qu'il ha fait son viandy dedans les gaignages : et s'il fait sa nuict dedans les tailles, il pourra dire qu'il ha fait son viandy dedans la taille. »334

Les animaux cherchent la qualité nutritive et la quiétude, mais risque de se trouver directement en concurrence avec les paysans car le « gain est le blé », selon Duez (1664) cité par Rolland (1906) :

« Aller au gagnage se dit des bêtes fauves qui vont brouter dans les blés pendant le nuit. Le blé est ainsi appelé parce qu!il est le gain, le profit par excellence du laboureur. »335

« Et lors prennent ilz leurs buyssons ["] où il y a biaus viandiers de gahaignaiges. »336

« Ils ne laisseront leur buysson, si on ne leur fait de grans ennuytz. »337

« Le printemps leur renouvelle le sang, qui est cause de leur grand repos. »338

« En Avril et Mai ilz sont a repos en leur buyssons. »339

« Leur nourriture est différente suivant les différentes saisons ; en automne après le rut, ils cherchent les boutons des arbustes verds, les fleurs de bruyères, les feuilles de ronces, etc. en hiver, lorsqu!il neige, ils pèlent les arbres et se nourrissent d!écorces, de mousse, etc. et lorsqu!il fait un temps doux, ils vont viander dans les blés ; au commencement du printemps, ils cherchent les chattons des trembles, des marsaules, des coudriers, les fleurs et les boutons du cornouiller, etc. en été, ils ont de quoi choisir, mais ils préfèrent les seigles à tous les autres grains, et la bourgenne à tous les autres bois. »340

Au printemps, les cerfs sont méfiants :

La méfiance est devenue leur seconde nature à en croire Esope (fable n°247) :

« Un jour un faon dit au cerf: « Père, tu es plus grand et plus vite que les chiens, et tu as de plus des cornes merveilleuses pour te défendre. Pourquoi donc fuis-tu ainsi devant eux? » Le cerf répondit en riant: « C'est vrai, mon enfant, ce que tu dis là ; mais il y a une chose certaine, c'est que, lorsque j'entends l'aboiement d'un chien, aussitôt je me précipite je ne sais comment vers la fuite. » Cette fable montre qu'aucune exhortation ne rassure un c#ur naturellement lâche.»341

Cette méfiance devient le fondement de la conduite à tenir pour approcher les cerfs avant la cervaison :

« [Les cerfz] changent de buysson quand le vent tourne, pour avoir sentiment a la sortie de leur fort, de ce qui est en leurs gaignages. »342

« Les cerfz fuyent communément a val touz les ventz. »343

« Il ne cuydera pas fuyr le nez dedans [le vent], mais le coustoyrera, ou luy tournera le cul. »344

« Et doit lors commencier a chassier a buisson qui est au dessoubz du vent des autres buissons, quer qui commencerait au dessus ["] »345

« Ilz escoutent l'homme de bien loing, quand ilz sont au dessoudz du vent; mais quand ilz sont au dessus ilz n'en ont sentiment que bien peu. »346

« [Prends garde] que les bestes n'aient mie le vent de toy et soient au dessus du vent. »347

Au printemps, la tête des cerfs est en refait :

« La nouvelle tête que le cerf pousse se nomme refait, jusqu'à ce que l'animal ait touché au bois. »348

La capacité des cerfs à renouveler leur bois tiendrait à une constitution particulière : un sang plus « froid », une nature plus « humide » (au sens donné par Aristote). Cette spécificité se remarque aussi à leur sang qui ne coagulerait pas aussi facilement que celui des autres mammifères :

« Tant que l'être est vivant, le sang est chaud et liquide; et dans tous les animaux, il se coagule quand il est sorti du corps. Il n'y a d'exception que pour le cerf et le daim, et pour d'autres animaux de cette espèce. Mais pour tous les autres animaux, le sang se coagule tant qu'on n'en a pas ôté les fibres. »349

Ce sang si fluide s!accumule à extrémité du bois durant sa croissance :

« Après que les cerfz ont mué, ilz commancent dès le moys de Mars et Avril à pousser les bosses. »350

« Et viennent sur la teste boches moles, plaines de sang. »351

« Leur teste est molle et couverte de pel et de poil. »352

Durant les refaits, les cerfs sont prudents :

« Au temps d'hyver que les cerz ont la teste dure, ils suyvent les grantz fortz. Au printemps qu'ilz ont la teste molle et en sang, ilz suivent les petites tailles, et les lieux les plus faibles qu'ilz peuvent trouver, de peur de la heurter et blesser aux branches. »353

« [Les cornes] repoussent sous forme de tubercules, et ressemblent d'abord à de la peau sèche, puis elles grandissent sous forme de férules tendres, revêtues d'un duvet doux comme les têtes de roseaux. Tant que les cerfs n'ont pas leur bois, ils ne vont au pâturage que la nuit ; à mesure qu'il pousse, ils le durcissent à la chaleur du soleil, et l'essayent de temps en temps contre les arbres ; quand ils sont satisfaits de sa force, ils se montrent au grand jour [...] »354

Chaque année, l!os crânien des cerfs grandit extraordinairement :

L!os crânien manifeste une capacité de croissance printanière à l!instar de celle des arbres après la phase de « dormance » ou celle des animaux hibernants, après la léthargie hivernale :

« ["] tretous les ans, de nature La teste li chiet et ly mue Mais en trois mois est revenue Et s!est bien souvent le novelle Plus que la viell haute et plus belle Qui est une grande merveille Poy de gens scevent la parelle.

["] En trois mois, ce n!est pas grant terme Pour quoy, en mon vray propos, ferme Qu!an nulle forest n!y nulz boys Qui croisse autretant en trois mois. »355

Pour situer le phénomène dans le cycle annuel, il faut partir de la date d!achèvement des bois, à rebours de l!écoulement du temps :

« La croissance des bois débute dès la chute des précédents, à partir du pivot qui est une excroissance osseuse de la boite crânienne. Pendant le phase d!élongation qui dure de trois à quatre mois, les bois ont une structure cartilagineuse et sont recouverts par une peau d!aspect duveteux : le velours. Les vaisseaux sanguins et les nerfs se situent entre le cartilage et le velours, et la croissance s!effectue à l!extrémité des bois alors que la calcification débute au niveau des pivots. La vitesse de minéralisation n!est pas constante ["] Quand la calcification est terminée au cours de l!été, le velours se dessèche et tombe en lambeaux. Les bois ont alors la structure d!os compacts non irrigués et non innervés. »356

Dans le document Le cerf, le temps et l'espace mythiques (Page 109-113)