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Les Mille et Une nuits d’un lanceur de pierres (1982) : Les Mille et Une nuits par

Chapitre 1 : Historiographie critique des théâtres arabes et du théâtre palestinien

3.1. Les Mille et Une nuits d’un lanceur de pierres (1982) : Les Mille et Une nuits par

les orientaux.

Les Mille et Une nuits d’un lanceur de pierres est une coproduction d’El Hakawati et du

Nouveau Théâtre Populaire de la Méditerranée (CDN Languedoc-Roussillon) alors dirigé par Jérôme Savary1. Le spectacle, créé en France, met en scène la confrontation d’un « jeune palestinien innocent et d’un gouverneur militaire israélien2 » et présente l’image d’une lutte

asymétrique entre un « David palestinien et un Goliath israélien3 », inversant la représentation

du rapport de force qui avait dominé depuis la création de l’État israélien jusqu’à la Guerre des

Six-Jours (1967). Ce renversement de perspective est fréquent dans la littérature palestinienne depuis la défaite de 19674, et assez courant dans les représentations du conflit à l’international.

David et Goliath

David et Goliath est un épisode de la Bible (Premier livre de Samuel, chapitre 17, 1 – 58) cité

dans le Coran (Sourate 2, verset 251), au cours duquel David, du peuple d’Israël, abat un guerrier géant nommé Goliath à l’aide d’une fronde. Cet épisode a été popularisé et laïcisé puisque l’expression « David contre Goliath » renvoie à un combat entre deux personnes de force inégale. L’expression est partagée à l’international pour qualifier le rapport de force

entre Israël et la Palestine5. La force évocatrice de cette expression explique sa permanence

tout au long du conflit jusqu’à nos jours. Elle a d’abord été utilisée en faveur de l’état d’Israël

à sa fondation en 1948, contre l’avis des états arabes voisins, puis a été réappropriée

progressivement par le camp palestinien. La bascule opère dès la guerre des « Six jours » qui se déroule du 5 au 11 juin 1967 et oppose Israël à l'Égypte, la Syrie et la Jordanie. Israël vainc ses adversaires et prend le contrôle du Sinaï égyptien, d'une partie du plateau syrien du Golan et de la Cisjordanie, et annexe Jérusalem-est. L'argument sécuritaire utilisé par Israël pour

1 Jérôme Savary (1942-2013) est un acteur, auteur dramatique, metteur en scène et décorateur. Il a fondé le Grand Magic Circus en 1966 et a été successivement directeur du Nouveau Théâtre Populaire de Méditerranée – CDN

Languedoc-Roussillon (1982-1986), du Carrefour européen du théâtre – CDN Lyon (1986-1988), du Théâtre

National de Chaillot (1988-2000) et de l’Opéra Comique (2000-2007). André Gintzburger a été l’agent du Grand

Magic Circus à partir de 1971 sur les conseils d’Alain Crombecque. Il a très probablement œuvré à la rencontre du Grand Magic Circus et d’El Hakawati, d’autant plus lorsque Jérôme Savary s’est trouvé en poste dans une

institution donc en capacité de soutenir la troupe palestinienne.

2 Reuven Snir, op. cit., p. 153. Traduction de l’anglais par Emmanuelle Thiébot

3 Id.

4 Ibid., p. 154.

5 Voir, par exemple, les réclamations des ambassadeurs arabes en Suisse auprès du Conseiller Fédéral, se plaignant

d’une « tendance anti-arabe de l’opinion publique et de la presse suisse [allant] à l’encontre de l’esprit de neutralité suisse. […] Les sympathies de la population suisse pour le "David" israélien dans son combat contre le "Goliath"

arabe [se sont muées] en une véritable euphorie » depuis la victoire éclair israélienne. E-Dossier : La guerre des

Six Jours en 1967 – le rôle de la Suisse, Dodis - Diplomatische Dokumente der Schweiz, url :

https://www.dodis.ch/fr/dossiers-thematiques/e-dossier-les-50-ans-de-la-guerre-des-six-jours-le-role-de-la-suisse, consulté le 03/08/18.

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amorcer cette guerre de « prévention » ne tient plus avec ces conquêtes mettant en place une nouvelle logique d'occupation. Malgré la résolution 242 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 22 novembre 19671, Israël garde le contrôle de ces territoires. Cette victoire est néanmoins totalement inattendue, ce qui lui confère un caractère « miraculeux ».

Les tensions suscitées par les menaces d’un conflit à la veille de la guerre des « Six-jours » sont exprimées et diffusées dans l’espace public et médiatique français. « Le soutien à Israël

est très fort dans la société française en 1967, [et les] manifestations de solidarité dénotent une politisation des Juifs de France qui se découvrent une communauté de destin avec Israël2». Une soixantaine de volontaires français rejoint Israël via l’Ambassade dès le 5 juin

1967, craignant une nouvelle attaque fasciste sur le peuple Juif3. Israël est représenté comme

un petit pays cerné par des millions d’Arabes hostiles. Les manifestations de solidarité

prennent une tournure anti-arabe relayée dans la presse, comme le raconte Alain Gresh4 revenant notamment sur le texte de Xavier Vallat, antisémite notoire, ancien Commissaire général aux Questions juives sous Vichy, expliquant « [s]es raisons d’être sioniste »5. Pour Yvan Gastaud, cet événement « met en lumière une tension jusqu’alors latente entre deux

formes de rejets : l’antisémitisme et le racisme anti-arabe6». L’auteur établi une corrélation

entre le soutien à Israël et le racisme anti-arabe :

La Guerre des Six jours, hantée par les spectres du passé, a ue l’a o e d’u e utatio du a is e ui s’est d pla des Juifs e s les A a es sous la V e R pu li ue, alg le fait ue des a tes a tis ites soie t e o e à d plo e aujou d’hui. Depuis , l’opi io publique est divisée sur la question du Proche Orient autant que sur la perception du racisme : entre Juif et Arabe, la victime est perçue en fonction de réseaux complexes d’i ages tiss es e t e les o flits ajeu s du si le e et e Gue es o diales, guerres de décolonisation) autour des figures ambiguës du bourreau et de la victime.7

1 « [R]etrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit […] cessation de toutes

assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l'intérieur de frontières sûres et reconnues à l'abri de menaces ou d'actes de force » cité par Serge Berstein et Pierre Milza dans Histoire du XXème siècle, Tome 2 : 1945-1973 : Le monde entre guerre et paix, Paris, Hatier, 2008, p.

259.

2 Samuel Ghiles-Meilhac, « Les Juifs de France et la guerre des Six Jours : solidarité avec Israël et affirmation d'une identité politique collective », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 96, Sonia Combe, Henry Laurens

(dir.), Le Moyen-Orient, une passion française ? De la guerre des Six-jours à Septembre Noir (1967-1970), 2009/4, p. 12-15.

3 Michel Legris, « Les premiers volontaires français partiront mardi prochain pour Israël », Le Monde, 5 juin 1967.

4 Alain Gresh, Hélène Aldeguer, Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française, Paris, La Découverte,

2017, p. 34-39.

5 Alain Gresh, « Xavier Vallat, « mes raisons d’être sioniste », Nouvelles d’Orient, Blog du Monde Diplomatique,

7 novembre 2010, url : https://blog.mondediplo.net/2010-11-07-Xavier-Vallat-mes-raisons-d-etre-sioniste, consulté le 03/08/18.

6 Yvan Gastaut, « La Guerre des Six jours et la question du racisme en France », Cahiers de la Méditerranée, 71, 2005, url : http://journals.openedition.org/cdlm/930, consulté le 03/08/18.

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Pour les différentes parties du conflit, il existe bien un enjeu important à s’approprier

positivement la représentation du rapport de force entre David et Goliath. Elle a été progressivement réutilisée par le camp palestinien, notamment avec le déclenchement de la première intifada en 1987. Ce retournement a été particulièrement efficace en raison du « refus de la militarisation du soulèvement [qui a] fait l’objet d’un consensus entre les

différentes composantes de la centrale palestinienne […]1». L’image des enfants armés de

pierres est diffusée dans les médias et dans les réseaux militants.

Figure 15: Affiche. Dessin de Mould Namar : un soldat Israélien armé jusqu'aux dents est blessé à l'œil par une pierre - À

coté un enfant souriant tient un lance-pierre, 19892.

1 Jean-Pierre Filiu, Histoire de Gaza, Paris, Fayard, 2015, p. 285.

2Source : Fonds Saïd Bourizi (collection numérisée d’affiches), Campagnes militantes et citoyennes, 1980_1989,

Cote 553, Association Génériques (Paris, France). url : http://odysseo.generiques.org/ark:/naan/a011375709801b16rvh, consulté le 03/08/18.

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Dans le journal régional de France 3 Provence Alpes du 10 juin 1982, François Abou Salem présente le spectacle en ces termes (Figure 16) :

[…] C’est u tit e ui fait […] le résumé de la pièce à deux niveaux : esthétique et politique. Esth ti ue d’a o d pa e ue les Mille et une nuits ’est u ad e [ ue l’o ] travaille dans notre opti ue, ot e a gle, et o pas o e l’a u l’O ide t. Pa e ue l’O ide t a upéré les Mille et une nuits pou le oi à sa a i e. Et puis d’aut e pa t ’est le o te u, ui est u o te u o te po ai , de la alit d’aujou d’hui, e Palesti e o up e. Et ’est l’histoi e do d’u jeu e ga ço , u adoles e t de a s ui s’appelle Nasour et qui a l’ha itude de joue avec les pierres, mais qui, un jour va jeter une pierre contre le gouverneur militaire, comme vous avez peut-être entendu parler des enfants qui jettent des pierres contre les blindés militaires […]1

Figure 16: Capture d’écran2. Interview de François Abou Salem.

L’objectif est donc double : se réapproprier un récit traditionnel arabe et représenter la réalité

palestinienne, le gouverneur militaire renvoyant ici à la force occupante. Les extraits de la pièce

visibles dans le reportage permettent d’imaginer une scénographie sobre loin de l’imagerie

orientaliste (Figures 16 à 19). La scène est encadrée par les rideaux qui sont tirés. Côté jardin,

un joueur d’oud3 est installé sous un parasol rouge. À sa gauche, un élément de décor représente un cactus dont les contours sont soulignés par des néons verts fluo. Côté cour, un élément de décor de même type semble symboliser des montagnes dont les sommets sont également soulignés par des néons bleus ciel. Quatre arches sont dessinées sur le mur du fond de scène.

1 « Répétition d’une troupe palestinienne à Istres ». 1982. Reportage télévisé. Rémy Champenois (réal.). France. France Télévisions. Diffusée le 10 juin 1982 dans le cadre de l’émission Journal de Provence Méditerranée.

France 3 Provence Alpes.

2« Répétition d’une troupe palestinienne à Istres ». 1982. Reportage télévisé. Rémy Champenois (réal.). France. France Télévisions. Diffusée le 10 juin 1982 dans le cadre de l’émission Journal de Proven ce Méditerranée. France 3 Provence Alpes. Consulté sur l’INAthèque le 23/10/18. Toutes les imagettes suivantes sont tirées de ce reportage.

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Côté cour, une échelle permet de monter jusqu’à un élément de décor peu visible à l’écran, qui

semble représenter un tout petit espace clôt. On voit quatre personnages traverser la scène. Le premier est masqué et armé. Il surgit côté jardin et traverse le plateau les genoux fléchis en

faisant des bonds de guerrier d’un pied sur l’autre. Ses déplacements paraissent très ritualisés et belliqueux puisqu’il tient une arme. On ne voit pas le visage du deuxième, en robe rose, qui apparaît côté cour, penché sur une roue de vélo qu’il suit en faisant des pas-chassés en même temps qu’il la fait rouler. Le troisième surgit côté jardin, dans un ensemble qui évoque nettement l’orient puisqu’il porte un sarouel et un gilet en peau. Il traverse très lentement le

plateau en jonglant avec trois balles. On entend un cri. Un quatrième personnage – en robe rose

également – surgit côté jardin et se déplace jusqu’au centre où il exécute le même cri en

regardant le public. Son visage est blanc et ses lèvres rouges. Il repart à cour. Un autre plan, plus loin au cours de la représentation, nous permet de voir un personnage richement drapé

escalader l’échelle côté cour pour accéder à un espace dont la fonction nous demeure inconnue. La scénographie est donc légère quoique recherchée, à l’image des costumes.

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Figure 18: Capture d’écran. Reportage déjà cité. Côté cour. À l’avant-scène un élément de décor souligné en fluo (néons ?).

En fond de scène une échelle appuyée contre le mur. Personnage avec une roue de vélo qui traverse à jardin.

Figure 19: Capture d’écran. Reportage déjà cité. Fond de scène praticable (environ 2 mètres) sur lequel sont déposés des

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Figure 20: Capture d’écran. Reportage déjà cité. Personnage criant, traverse la scène de jardin à cour.

Figure 21: Capture d’écran. Reportage déjà cité. Interview du comédien Daoud Kuttab, grimé.

Outre l’interview de François Abou Salem et l’extrait de la pièce, le journaliste interroge le

comédien Daoud Kuttab1– le visage grimé, les yeux cernés de noir et les paupières ornées de

paillettes (Figure 21), qui répond en arabe au sujet des événements concomitants au Liban :

L’offe sive israélienne au Liban vise à étouffer un peuple qui lutte pour ses droits fo da e tau , à l’i d pe da e et à l’autod te i atio . Le o de e tie et les i sta es i te atio ales o e l’ONU, appuie t le peuple palesti ie da s so aspi atio à t e un peuple li e, et e ue he he Is aël, ’est touffe e peuple et lui ôte es d oits esse tiels.2

1 Daoud Kuttab (1955, Bethléem) est palestinien et dispose de la nationalité américaine. Après un court passage

par le théâtre, il est devenu journaliste. Ses propos critiques l’ont confronté à la censure israélienne et palestinienne.

Il a écrit pour de grands journaux américains et reçu un prix en 1996 – « International Press Freedom Awards » −

pour son engagement. Source : https://cpj.org/awards/1996/daoud.php, consulté le 26/06/19.

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Il est très intéressant que le comédien soit interviewé maquillé, comme si son statut d’acteur lui

permettait une plus grande liberté de parole. Le reportage se termine sur cette interview et le présentateur du journal télévisé de conclure : « une parenthèse tragique sur l’actualité ». La

publicisation du spectacle est donc aussi (ou surtout ?) l’occasion de faire surgir les

revendications palestiniennes et contribue probablement à les légitimer, les normaliser, et à faire connaître la réalité palestinienne. Car comme dans ce reportage, c’est aussi les difficiles conditions d’exercice de la troupe en Palestine qui retient l’attention de Jean-Pierre Langellier

dans Le Monde, qui ne relate que très brièvement le spectacle :

Dans la pénombre bleutée d'un palais d'Orient, la belle Shéhérazade charme le sultan sanguinaire qui trône parmi les crânes de jeunes vierges décapitées. Pour apaiser sa rage meurtrière, elle lui raconte la légende magique d'Aladin. Mais voici le gouverneur israélien qui surgit dans un fracas guerrier. Vif comme l'éclair, il vole la lampe merveilleuse, vocifère, gesticule et s'installe dans les décors où s'animait lentement la mémoire d'un peuple. Il incarne la force, l'arrogance et la modernité. "Shalom" (paix), proclame un néon multicolore et dérisoire...1

Outre ces informations, nous disposons de trop peu de matériau à ce jour pour analyser ce

spectacle qui n’a pas bénéficié d’une critique dans un quotidien national, probablement parce qu’il n’a pas tourné au-delà du CDN de Montpellier, voire du Théâtre de l’Olivier d’Istres où il

a été créé au mois de juin 19822. De plus, les événements internationaux évoqués par Daoud Kuttab prennent une tournure grave dans les mois qui suivent, avec les massacres de Sabra et Chatila au Liban. Quelques semaines plus tôt en France l’attentat de la rue des Rosiers (9 août

1982) crispe considérablement les positions et les discours autour de la question israélo-palestinienne. La conjoncture a très probablement occulté le spectacle, voire rendue inconvenante l’idée d’une tournée internationale pour la troupe qui a préféré retourner jouer à

Jérusalem3.

Toutefois à partir de ces informations, nous pouvons cerner les motifs de la compagnie et sa démarche. Sans le synopsis, le texte ou la captation du spectacle, nous pouvons nous baser

sur l’analyse de Reuven Snir selon lequel Les Mille et Une nuits d’un lanceur de pierres

développe un genre de « "star wars" moyen-oriental4 » qui, « comme dans la vraie science-fiction, fait appel à des tapis volants, des missiles, des faisceaux lasers et divers phénomènes

1 Jean-Pierre Langellier, article cité.

2Si nous n’avons pu réaliser de revue de presse sur ce spectacle en raison de difficultés d’accès aux archives des

journaux régionaux et locaux antérieures aux années 1990, il est possible que la troupe ait collecté ces documents

comme c’est le cas pour le spectacle Mahjoub Mahjoub.

3Cette hypothèse pourrait être confirmée ou infirmée par l’étude des archives de François Abou Salem.

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spatiaux1 ». L’universitaire insiste sur cette comparaison en raison du caractère manichéen de

la lutte qui se joue sur scène, opposant « modernité » et « tradition ». La recherche d’une

troisième voie est compromise car elle est menée par deux personnages qui n’arrivent pas à s’entendre : « l’intellectuel, qui ne peut pas marcher, et le notable du village, qui est aveugle2 ».

François Abou Salem dit s’être inspiré d’une « vieille histoire3 » dans laquelle « l’infirme monte sur le dos de l’aveugle pour tenter de s’entraider mutuellement, mais dans la pièce cela ne

fonctionne pas. […]4 ». La fable de l’aveugle et de l’infirme est un récit à la fois d’origine

populaire et biblique5 que le metteur en scène redouble ici d’une satire sociale et politique. Le boiteux est aussi un intellectuel, l’aveugle est aussi un notable, tous deux appartiennent donc à

une élite inefficace pour contrer un pouvoir oppressif6. C’est par la lutte populaire que le héros,

Nassour, est sauvé puisque c’est sa grand-mère, qui représente les femmes palestiniennes

engagées dans la non-violente, et son grand-père qui parviennent à empêcher sa pendaison7. Le parti pris de la troupe est net et dénonce, une fois de plus, les dissensions politiques entre les

différentes factions palestiniennes qui minent la lutte pour l’indépendance.

En s’appuyant sur Les Mille et une nuits, héritage littéraire fantasmé en Occident, El Hakawati

parvient à donner son propre point de vue sur la situation contemporaine et se rendre particulièrement légitime sur les scènes médiatiques et théâtrales au regard des documents étudiés. Le titre de la pièce lui confère a posteriori un caractère prophétique puisque les images

d’enfants armés de pierres déferlent dans les médias cinq ans plus tard, lors de la première

intifada. Mais si, depuis la France, le conflit est traité par phases dans les médias, sur place il est quotidien.

1 Id.

2 Reuven Snir, op. cit., p. 154. Traduction de l’anglais par Emmanuelle Thiébot

3 François Abou Salem cité par Reuven Snir, op. cit., p. 154. Traduction de l’anglais par Emmanuelle Thiébot

4 Id.

5L’histoire de l’homme aveugle et de l’infirme est une fable populaire dont on trouve des traces en Europe, Asie

et Amérique du Nord. La fable écrite la plus ancienne est celle du conteur grec Ésope qui aurait vécu entre -620 et -564. Dans le Second Livre de Samuel, les aveugles et les boiteux désignent les Jésubiens, habitants de Jérusalem, chassés par le roi David (II Samuel, 5 – 6), dont le couronnement peut faire référence à la réalisation d’un état

israélien. Également, dans l’apocryphe d’Ezéchiel qui nourrit aussi bien la tradition juive, chrétienne et islamique, l’aveugle et l’infirme sont deux personnages qui ont été exclus d’un banquet et qui s’y invitent malgré tout sous l’identité d’un seul homme. Ces figures qui peinent à s’unir, où y parviennent par esprit de vengeance, sont donc

marginalisées dans les écrits bibliques et coraniques, pouvant renvoyer de façon allégorique à la condition

palestinienne dans les années 1980. Il conviendrait d’étudier les multiples interprétations de François Abou Salem par l’étude des archives du spectacle dans son fonds personnel.

6 Dario Fo (1926-2016) avait également réécrit cette fable sous la forme d’une moralité dans Mistero Buffo, à des

fins de satire politique. Pièce justement mise en scène par François Abou Salem dans les années 1970.

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