• Aucun résultat trouvé

Contraintes de production et métissages : Mahjoub Mahjoub (1981) En décembre 1981, Mahjoub Mahjoub, mis en scène par François Abou Salem, est présenté

Chapitre 1 : Historiographie critique des théâtres arabes et du théâtre palestinien

2.3. Contraintes de production et métissages : Mahjoub Mahjoub (1981) En décembre 1981, Mahjoub Mahjoub, mis en scène par François Abou Salem, est présenté

une vingtaine de fois au Théâtre de la Tempête1 et en province au Théâtre quotidien de Montpellier2. Les matériaux disponibles3 donnent corps à ce deuxième spectacle : les couleurs, les costumes amples, les motifs, le maquillage de la troupe construisent une fable héroï-comique inspirée de procédés brechtiens, tout en contrastes et en contradictions.

Figure 8: Photographie de la troupe El Hakawati en costume et dans le décor du spectacle Mahjoub Mahjoub. Non datée, non créditée. Source : Iman Aoun.

Légende : Au centre, l’homme en costume noir est Majed El Kurd, musicien ajouté pour la tournée européenne. Derrière

lui à droite, François Abou Salem, Adnan Tarabshesh, Jackie Lubeck, Edward Muallem, Ibrahim Khalayleh. Les trois autres comédiens sur la gauche sont Daoud Kuttab, Mohammed Mahami et Radi Shehadeh.

1 Le Théâtre de la Tempête est situé à La Cartoucherie de Vincennes où réside la troupe du Théâtre du Soleil depuis

1970, troupe au sein de laquelle s’est formé François Abou Salem. Le Théâtre de la Tempête a pour mission d’offrir un espace de création à des compagnies sans lieu d’implantation. Voir à ce sujet : Joël Cramesnil, La

Cartoucherie : une aventure théâtrale, Paris, L’Amandier, 2004.

2 D’après Roger Becriaux, « "Mahjoub Mahjoub" à la Tempête », critique, Le Monde, 5 décembre 1981 url :

http://www.lemonde.fr/archives/article/1981/12/05/mahjoub-mahjoub-a-la-tempete_2725125_1819218.html, consulté le 19/10/17. Nous n’avons pu déterminer si la pièce a tourné dans d’autres lieux.

3 Outre la photographie en couleur, les photographies en noir et blanc et le programme de salle proviennent des archives en ligne du Théâtre de la Tempête. Ces photos ont été prises en Palestine, probablement par François Abou Salem. Documents reproduits en annexe. La légende de ces dernières a été réalisée avec l’aide d’Edward Muallem, présenté dans cette partie, qui joue le rôle d’Im Mustapha dans la pièce. Edward Muallem, Emmanuelle

92

Edward Muallem (1958, Mi’ilya

1

)

est un metteur en scène, enseignant et comédien palestinien, co-fondateur d’El Hakawati et du Théâtre Ashtar. En 1977, il est étudiant en Géographie et Théâtre à l’Université de Jérusalem et fait partie du

groupe qui sollicite François Abou Salem pour ses compétences de metteur en scène. Il co-fonde la compagnie El Hakawati et participe aux tournées internationales

jusqu’en 1989. Après un différend avec François Abou Salem, il quitte en cours la

production du spectacle À la recherche d’Omar Khayyam en passant par les

croisades, créé en France en 1992, et retourne en Palestine où il fonde, avec sa compagne Iman Aoun2, le Théâtre Ashtar.

Mahjoub Mahjoub, créée à Jérusalem en 1980 fonde le succès local d’El Hakwati3. C’est une

anticipation puisque la fiction se déroule « vers les années 19964 », et traite de la situation des palestiniens vivants sous occupation. Dans la continuité d’Au nom du père, de la mère et du

fils, la pièce expose les conséquences d’un enfermement sans fin. On y retrouve d’ailleurs un

personnage féminin – incarné par Jackie Lubeck, la seule comédienne de la troupe – nommé

Lili Asfour, « déclarée folle à cause de son refus de mariage, et aussi à cause de ses interventions

violentes et constantes, [qui] n’a pas le droit de parler [mais qui peut] dessiner à loisir sur un

tableau noir5 ». Mahjoub est un homme qui « incarne la société palestinienne volée de sa vitalité6 ». Son nom renvoie à une personne « dissimulée, cachée, voilée7», qui s’isole du reste du monde comme l’explique Samer Saber décrivant le début de la pièce :

The play begins by introducing each major character in their specific area on stage : the bureaucrat Abu Hmayd stamps blank papers, the teacher dreams of creating his own newspaper as he sits behind a makeshift typewriter made of garbage, the merchant Abu Ali cleans his store and shouts for customers to buy cans of goods, Mahjoob cleans a table at his café and attempts to kill flies, Im Mustapha works her land as she reminisces about her pre-1948 home in Jaffa, and the young woman Lily Asfour stands on a ladder drawing images/messages of resistance on a large black board. In the opening of the play, the ha a te s i t ude o ea h othe th o i g thei ga age i ea h othe ’s o kspa e, thus causing immense disorganiszation. […] Breaking the monotony of everyday life, the characters call a meeting to solve historical problems facing their people. The meeting satirizes the

1Mi’ilya est une localité arabe située dans la région de Galilée au Nord d’Israël.

2 Présentée dans cette partie.

3 Samer al-Saber, « Surviving Censorship… », article cite, p. 147.

4 Programme de salle de Mahjoub, Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête. Archives en ligne, url : https://www.la-tempete.fr/saison/1981-1982/spectacles/majhoud-majhoud-136, documents téléchargés le 10/08/17.

5 Id.

6 Reuven Snir, op. cit., p. 140.

93

summits and elections of Arab leaders of the twentieh century. The characters begin with a ritual election, which Abu Hmayd rigs to win 99 per cent of the vote for leadership. To protest the unproductive meeting, Mahjoob decides to die, signalling the absurdity of the character and the play.1

Cette scène d’ouverture caractérise chaque personnage par un geste qui lui est propre : Abu

Hmyed2 le bureaucrate tamponne, Abu Ali le marchand vend à la criée, Mahjoub le garçon de

café nettoie des tables… Ce quotidien est celui de la Palestine, avec la présence d’Im Mustapha

(personnage féminin incarné par Edward Muallem), à la fois paysanne et gardienne de la mémoire, et Lili Asfour qui, confinée dans le silence, dessine sur un tableau. Ces personnages

semblent vivre séparément et de façon désorganisée, comme le suggère la scène d’ouverture au cours de laquelle chacun dépose ses ordures chez l’autre. La parodie de meeting politique qui

suit achève ce tableau absurde et Mahjoub « décide » de mourir.

Figure 9: « Veillée mortuaire de Mahjoub ». Photographie tirée du programme de salle de Mahjoub Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête. Source et crédit : Théâtre de la Tempête.

1 Ibid. Traduction Emmanuelle Thiébot : « La pièce commence par une présentation de chaque personnage dans son espace spécifique sur la scène : Abu Hmeyd le bureaucrate tamponne des feuilles blanches, le professeur rêve de créer son propre journal assis derrière une machine à écrire de fortune faite de détritus, le marchand Abu Ali nettoie son magasin en appelant les clients à venir acheter ses boîtes de marchandises, Mahjoub essuie une table

dans son café et essaie de tuer les mouches, Im Mustapha travaille ses terres en se remémorant la période d’avant

1948 et sa maison à Jaffa, et la jeune fille Lily Asfour se tient debout sur une échelle, dessinant des images/messages de résistance sur un tableau noir. Dans l’ouverture de la pièce, les personnages s’introduisent les uns chez les autres en jetant leurs poubelles dans l’espace de travail de leur voisin, causant une grande désorganisation. […] Pour casser la routine, les personnages appellent à un meeting pour tenter de résoudre tous les problèmes qu’ils rencontrent. Il s’agit d’une satire des sommets et élections des leaders Arabes au vingtième siècle. Les personnages commencent par le rituel de l’élection, truquée par Abu Hmeyd qui remporte 99% des voix. Pour contester ce meeting improductif, Mahjoub décide de mourir, signalant l’absurdité du personnage et de

la pièce. »

94

Il simule si bien sa mort que « ses proches le mettent en bière et entreprennent autour du cercueil une veillée mortuaire qui consiste à évoquer sa vie1 ». Grâce aux souvenirs racontés par ses compagnons et certains membres de sa famille, la pièce se poursuit en une succession de « situations2 » comme le propose le théâtre épique. Ces épisodes sont expliqués de façon sommaire dans le programme de salle qui « doit se lire pendant le déroulement du spectacle

[mais] n’est d’aucune façon une traduction ou un synopsis de la pièce [et] ne peut être compris

par lui-même3 ». Chaque tableau montre une situation typique et connue de la société palestinienne comme le contrôle des soldats israéliens aux checkpoints, les arrestations arbitraires, la répression envers les prisonniers politiques, etc. ; et des tranches de vie

quotidienne qui ridiculisent les occupants, « d’une part leur puissance militaire, leur

organisation sociale et leurs compétences technologiques, et d’autre part leur obsession

sécuritaire rituelle4 » :

Flashback/poubelle – Mahjou essaie de se d a asse de sa pou elle. Mais à ha ue fois u’il la pose par terre, une voix retentit, « Shel mi zeh ? » (en hébreu, « à ui ’est ? »), souvent crié par les soldats Is a lie s lo s de la d ou e te d’u pa uet o a o pag = u e o e potentielle. […]5

Figure 10: Photographie de Mahjoub Mahjoub. Source et crédit : Archives en ligne du Théâtre de la Tempête.

Légende : Mahjoub (Adnan Tarabshesh, à gauche), arrêté par un policier israélien (Ici Wasef Dandess, remplacé par Radi Shehadeh pour la tournée européenne) montre le contenu de son sac poubelle.

1 Programme de salle de Mahjoub, Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête.

2 Walter Benjamin, « Qu’est-ce que le théâtre épique ? (première version) Une étude sur Brecht », dans Essais sur

Brecht, Paris, La Fabrique, 2003, p. 21.

3 Programme de salle de Mahjoub, Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête.

4 Reuven Snir, op. cit., p. 141.

95

Les situations apparaissent contradictoires : Mahjoub s’exile aux États-Unis, après les

événements de Septembre noir (1970), trouve du travail, épouse une américaine et bénéficie

d’une carte verte. Contre toute attente il décide finalement de revenir en Palestine.

Figure 11: Photographie de Mahjoub Mahjoub. Photographie tirée du programme de salle de Mahjoub Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête.

Légende : Épisode de l’exil aux États-Unis. Jackie Lubeck mime la statue de la Liberté. Mahjoub lit un document, la valise

96

Figure 12: Photographie de Mahjoub Mahjoub. Source et crédit : Archives en ligne du Théâtre de la Tempête.

97

Un peu plus loin, plusieurs épisodes s’intéressent à des situations considérées par les

Palestiniens comme des formes de collaboration, dont Mahjoub serait coupable :

A ou H e d a o te u’il tait o lig de ote au le tio s u i ipales de J usale pour garder son emploi municipal ; ais aig a t d’ t e ta de olla o, il alla t ou e Mahjou qui, pour un pot-de- i , a epta d’ alle à sa pla e. Re o aît e la soi-disant réunification de Jérusalem, en votant par exemple, est considéré comme un acte de collaboration par les Palestiniens). 1

Mais Mahjoub n’est pas mort et entend ce que l’on raconte de lui : il était un enfant révolté et

serait devenu, en grandissant, un « innocent collaborateur2 ». Indiscipliné à l’école, sous le

drapeau jordanien et face aux soldats israéliens, Mahjoub avait quitté la Palestine pour les États-Unis. L’obtention d’une carte verte lui conférait enfin une identité légitime, mais à son retour

en Palestine, il se retrouve sans argent et au chômage. C’est à partir de là qu’il se laisse donc

« acheter » à plusieurs reprises. Il est démarché par la « Histadrouth (le syndicat national unique israélien, à idéologie sioniste) [qui] prétend lui offrir un travail […] s’il s’inscrit au syndicat3 »,

ce qu’il fait. Le démontage de son passé est l’occasion d’une autocritique. Au fur et à mesure des épisodes, Mahjoub atteste ou conteste les versions racontées par ses pairs depuis l’intérieur du cercueil. Il supporte difficilement la dimension héroïque conférée à son histoire, jusqu’à cet

épisode « de trop ». On relate une entrevue qu’il aurait eue avec Sadate4 voulant « rencontrer un prolo (Mahjoub)5 » :

[Sadate] lui de a de e ue les ge s pe se t de lui et e u’il doit de a de au pa le e t is a lie . Mahjou e o a t pas ue ’est ai e t Sadate, fait l’â e, le flatteu et le a ta d, mais finit par faire des demandes politiques.6

Ce résumé de l’épisode est évasif car en réalité, l’entrevue entre les deux hommes prend fin lorsque Mahjoub demande à Sadate de s’intéresser au sort des palestiniens en territoires

occupés7. Historiquement, Sadate est le premier président arabe à signer un traité de paix avec Israël, sans obtenir aucune concession sur les territoires palestiniens occupés. Mahjoub l’aurait

1 Id.

2 Reuven Snir, op. cit., p. 140.

3 Programme de salle de Mahjoub, Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête.

4 Anouar el-Sadate (1918-1981) est le président égyptien qui succède à Nasser. Il a signé le premier traité de paix israélo-arabe en 1978 après les Accords de Camp David, proposé par l’Égypte dès 1971. Cet événement a brisé l’unité arabe, Sadate n’ayant obtenu aucune concession sur les territoires palestiniens. L’Égypte a été exclue de la

Ligue Arabe et Anouar el-Sadate a été assassiné en 1981.

5 Programme de salle de Mahjoub, Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête.

6 Id.

98

défié. Furieux d’être porté aux nues à son insu, Mahjoub « explose1 » son cercueil et en sort pour rétablir la vérité, traitant Abou Hmeyd de « flic2 ». Il se voit alors rappeler qu’il a

lui-même travaillé pour la police israélienne :

Mahjou , sa s t a ail, est p is à la go ge pa l’i flatio . Pa f ust atio , il se laisse te te pa une publicité vivante de la police israélienne et accepte le « job », fortement impressionné par le petit « pouvoir » u’il au a. N.B : s’e gage da s la poli e is a lie e est ie sû , e o e u acte de « collaboration »).3

À l’évocation de se souvenir, Mahjoub « faiblit4 » et ne peut pas contester les faits. S’ensuit

une dernière séquence au cours de laquelle un personnage déguisé « explique que Mahjoub était un lâche et un hypocrite5 », mais, après les récits héroïques de ses compagnons, « tout le monde

justifie sa lâcheté…6 ». Le personnage caché se découvre : c’est Mahjoub. Il se demande : « Si je n’ai pas le droit de parler de (sur) moi-même, de qui parler et à qui parler ?7 ». Il retourne dans son cercueil, découragé.

Toutes ces situations révèlent « un théâtre des contradictions de l’ordre social8 » comme

l’écrit Walter Benjamin à propos de Galy Gay, « l’homme qui ne sait pas dire non9 » dans la pièce de Brecht Homme pour homme10. Galy Gay est celui qui « adopte les pensées, les attitudes, les habitudes que doit avoir un homme en guerre11 », car un homme est un homme, donc un élément transformable. Peut-on entendre, dans le titre de la pièce Mahjoub Mahjoub,

un écho à l’allitération « Galy Gay » ? Mahjoub est celui qui, dissimulé dans son cercueil,

démonte et remonte son passé à travers cette série de situations qui, plutôt que reproduire l’état

des choses, « les découvre12 ». Ces situations exposent les contradictions avec lesquelles il se

démène, contestant ses propres choix. Mais à la différence de Galy Gay qui reste, jusqu’à l’issue

de la pièce, malléable et sans opinion ; Mahjoub finit par quitter son cercueil, dans le dernier tableau, avec le soutien de quelques-un·e·s. Abou Hmeyd, le bureaucrate, tente de l’en

1 Id. 2 Id. 3 Id. 4 Id. 5 Id. 6 Id. 7 Id.

8 Walter Benjamin, « Qu’est-ce que le théâtre épique ? (Première version) », op. cit., p. 25.

9 Ibid., p. 28.

10 Homme pour homme est une pièce de Bertolt Brecht construite autour d’un personnage qui ne sait pas dire non : Galy Gay. Il laisse d’autres prendre des décisions à sa place et fini par oublier son nom.

11 Walter Benjamin, « Qu’est-ce que le théâtre épique ? (Première version) », op. cit., p. 28.

99

empêcher car « les nantis "en place" [pensent] qu’il est une menace pour l’ordre1 ». La pièce se termine par un appel aux palestinien·ne·s :

On dirait que vous voulez rester dans vos cercueils. Nous nous sortons. Dépêchez- ous… uittez la u io d’A ou H ed… d p hez- ous a a t u’u e ueil e se efe e su ous…2

Cette sortie du cercueil ne peut se faire qu’avec l’aide d’autres, car Mahjoub a tenté d’en sortir

à plusieurs reprises, seul. Le cercueil est donc un symbole important qui traduit à la fois la

renonciation de Mahjoub, l’oppression en Palestine, mais également la solitude qui annihile

toute possibilité d’action collective. Sortir du cercueil avec d’autres, à l’aide d’autres, c’est chercher collectivement à mieux répondre aux formes d’oppressions que subissent les

« prolos » de Palestine, plutôt que de les renvoyer dos à dos à leur lâcheté. La parenté avec le théâtre épique peut donc être comprise jusque dans la conclusion de la pièce. Toutefois, le vocabulaire marxiste est utilisé de façon timorée. Soit que la démarche s’en distingue

finalement, soit par ruse.

Samer al-Saber explique que l’activité théâtrale était fortement contrôlée par la censure

israélienne lorsque la pièce a été créée, raison pour laquelle il fallait ruser en présentant des pièces ambigües, et en fournissant à un comité de censure des résumés « intelligemment dépolitisés3 ». Toutefois, Mahjoub Mahjoub n’a pas pu échapper à la censure car les

représentations « se terminaient en meeting politiques4 ». En Israël et dans les territoires occupés, la pièce a rapidement été interdite et les autorités israéliennes ont cherché à prouver des liens entre El Hakawati et l’OLP. Pour cela, l’enquête s’est appuyée sur des interviews de

François Abou Salem qui revendique le théâtre comme une forme de résistance et de lutte contre

l’occupation. Ce lien artificiel a « placé la troupe dans une situation risquée, à demeure et à l’étranger5». C’est avec ces risques que la troupe créée. Ainsi, elle use des procédés du théâtre épique tout en s’éloignant prudemment de revendications politiques claires. Elle prend le

contrepied des récits héroïques avec Mahjoub, un antihéros. François Abou Salem explique

l’importance de travailler sur ce type de personnage :

The minute you create heroes within a national movement, you start to deviate slightly toward national chauvinism and racism. It makes you feel superior to others, more moral and just than

1 Programme de salle de Mahjoub, Mahjoub, décembre 1981, Théâtre de la Tempête.

2 Id.

3 Samer al-Saber, « Surviving Censorship… », article cite, p. 147.

4 Ibid., p. 148.

100

othe s. But it’s ot t ue. We ha e a just ause, it’s t ue, ut as people e’ e juste o pletel normal.1

Cette volonté de neutraliser un modèle héroïque au sein du mouvement national permet selon le metteur en scène de ramener le peuple palestinien à égalité avec le reste de l’humanité. Mais

on peut aussi lire une ruse car il est nécessaire, voire indispensable, pour la troupe de gommer

ou minorer des revendications politiques que l’on peut lire en filigrane dans leur pièce. Cet

éloignement permet une réception positive à l’étranger ce qui contribue à légitimer et protéger

la troupe chez elle2. Pour le public français, El Hakawati met donc l’accent sur sa démarche

artistique en congédiant toute approche « folklorisante3 » et en souhaitant rompre avec les représentations « orientalistes4». Ces choix esthétiques tranchés s’accompagnent d’une volonté

de rupture avec les « clichés historiques5 » :

El Hakawati […] essaie, dans le choix des thèmes, des situations et des personnages de témoigner lucidement et sans o plaisa e de la alit palesti ie e d’aujou d’hui sous l’o upatio is a lie e. [Elle] exprime une démarche non conventionnelle dans une situation où t op de hoses so t st ot p es, où le o de ’est t op sou e t pe çu u’e oi et la , en bourreaux et en héros positifs !6

Pour ne pas reproduire les stéréotypes, François Abou Salem utilise ses connaissances du théâtre européen7. Il investit le spectacle d’esthétiques connues sans forcément les mettre au

premier plan car, en Palestine, il était souvent critiqué pour être trop influencé par le théâtre occidental. La ruse est donc double.

1 François Abou Salem cité par Samer Saber, article cité, p. 146. Traduction : « À l’instant où tu créés un héros dans un mouvement national, tu commences à t’écarter légèrement vers le chauvinisme national et le racisme. Cela