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NOUVELLES PERSPECTIVES EN ÉDUCATION: APPRENDRE À PENSER

Dans cette perspective, éduquer, instruire, ne peuvent plus se contenter de transmettre des pensées; les pensées ne sont que les scories d'une intense combustion intérieure. Il faut apprendre à penser et non pas à avoir des pensées. Il faut donc allumer un feu plutôt que remplir un seau comme on disait dans la Grèce ancienne. L'art de l'éducation dira Steiner est un art de l'éveil, de l'éveil à l'esprit et cela s'accomplit selon différents modes, différentes manières, suivant le lieu et le moment du devenir de l'être humain en l'enfant.

Ainsi, si c'est par le penser et le développement du penser que l'être humain conquiert son humanité (ou peut-être mieux, son "humanitude"), ce qui fait de lui un être humain parce qu'il élève son âme jusqu'en l'esprit, nous aurons d'abord à regarder comment Steiner pose la question du "Qu‟est-ce que penser?", puis comment la réponse qu'il donne à la question fonde la possibilité de la liberté pour l'être humain, celle-ci devenant le vrai but de l'éducation.

Ce faisant, nous nous trouvons là en un lieu de souci partagé par bien d'autres courants de la pensée contemporaine, depuis Wittgenstein jusqu'à Edgar Morin et la pensée complexe, en passant par Nietzsche, Heidegger, Habermas, Deleuze, pour ne citer qu'eux. On ne sait plus qu'enseigner un mode de pensée linéaire, discursif, chaîne de concepts articulés selon les lois de la logique; pensée qui analyse, sépare, divise, mais ne livre plus que le cadavre de la réalité. Ainsi dira Edgar Morin dans une communication au congrès international de 1997 :

[...] le mode de pensée ou de connaissance parcellaire, compartimenté, mono disciplinaire, quantificateur, nous conduit à une intelligence aveugle, dans la mesure même où l'aptitude normale à relier les connaissances s'y trouve sacrifiée au profit de l'aptitude non moins normale à séparer. Car connaître, c'est, dans une boucle ininterrompue, séparer pour analyser et relier pour synthétiser ou complexifier. La prévalence disciplinaire séparatrice nous fait perdre l'aptitude à relier, l'aptitude à contextualiser, c'est-à-dire à situer une information ou un savoir dans son contexte naturel. Nous perdons l'aptitude à globaliser, c'est-à-dire à introduire les connaissances dans un ensemble plus ou moins organisé. Or les conditions de toute connaissance pertinente sont

justement la contextualisation, la globalisation. […] Ainsi vivons-nous sous

l'empire de ce qu'on pourrait appeler un paradigme de disjonction.133

Cet empire d'un paradigme de la disjonction nous a conduit à toutes les scissions de la

modernité dont parle Habermas134 mais aussi tout simplement à l'oubli de la vraie reliance,

celle de l'intelligence du cœur, de ce cœur qui « a sa raison que la raison ne connaît pas » pour évoquer Blaise Pascal. Or, il se pourrait que l'amour ait encore quelque chose à dire dans le champ de "Philo-Sophia," de la "Sophia" qui a pour prénom , aimer, et que celle-ci n'a nulle raison, face à la Science, de s'en trouver honteuse. Une chose est sûre, c'est que les fondations de l'éducation s'en trouveraient raffermis. - Putting the Heart back into

Education Ŕ before it's too late - « Remettre le Cœur dans lřÉducation Ŕ avant quřil ne soit

trop tard »: c'est ainsi que Richard House135 intitule un de ses articles parus dans The

Mother Magazine136, en Angleterre.

133 Edgar Morin, Communication au Congrès International: "Quelle Université pour demain? Vers une

évolution transdisciplinaire de l'Université." Locarno 30 avril-2 mai 1997, in Motivation no 24, 1997.

134 Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité, NRF, 1988, p. 54-60.

135 Richard House, Research Center for Therapeutic Education, Roehampton University, London, UK. 136 The Mother Magazine, UK, Spring 2004, p. 6-10.

Troisième chapitre – Fondements gnoséologiques

pour de nouvelles perspectives en éducation

La philosophie est un art [...].

Tous les vrais philosophes furent des artistes du concept. Pour eux, les idées humaines devenaient le matériau de l’art et la méthode scientifique une méthode artistique. Le penser abstrait en acquiert vie concrète, individuelle. Les idées deviennent des puissances de vie.

Rudolf Steiner, La philosophie de la liberté, E.N. p. 262.

SOMMAIRE : 1. LřITINÉRAIRE PHILOSOPHIQUE DE STEINER: 1.1 Repères biographiques; Steiner

et la rencontre de Goethe le savant, aux Archives de Weimar; 1.2 Lřitinéraire intérieur de Steiner; 1.3 Vers une nouvelle épistémologie, goethéenne et post-kantienne. 2. KANT ET LA QUESTION DU CONNAÎTRE; 2.1 Kant et les idéalistes allemands; 2.2 Le débat Goethe-Kant; 2.2.1 La fracture kantienne; 2.2.2 Absolutisme

et dogmatisme; 2.2.3 De l‟espérance raisonnable; 2.2.4 Ricœur et la liberté selon l‟espérance; 2.2.5 Kant et la liberté selon l‟espérance; 3. LE SAUT QUALITATIF DE GŒTHE; 3.1 Vers un empirisme idéel; 3.1.1 Le phénomène primordial; 3.1.2 De l‟idée à la natura naturans comme totalité infinie; 3.2 Aux frontières de

lřâme.

À la recherche de fondements pour de nouvelles perspectives en éducation qui puissent éviter le risque de devenir système, théorie, tombeau pour la vie et son exubérance dans lřenfance, la jeunesse, lřétape suivante demande que lřon examine plus en profondeur la révolution post-kantienne que représente la gnoséologie steinerienne, son ancrage dans le champ philosophique de lřépoque, son rapport à la philosophie critique de Kant et au développement de lřépistémologie goethéenne. Dans quelle mesure va-t-elle pouvoir assurer une dynamique forte de cohésion, de "cor-respondance", de "co-résonnance" des différents aspects de la réalité humaine toujours en mouvement et en devenir, dans la vie intérieure comme dans les rapports au monde, à la nature. Cřest la question qui habite Steiner depuis lřaurore à peine naissante de sa pensée.