• Aucun résultat trouvé

3. LA GRANDE MÉTAMORPHOSE

3.3 Le pouvoir du miroir

Lřimage du miroir et de son pouvoir magique est présente dans bien des contes et des mythes. On le retrouve encore chez nombre dřartistes, de poètes, dřécrivains modernes comme Lewis Carroll, Cocteau, sans oublier Goethe et son Faust. Lorsque dans lřhistoire de Blanche-neige, la « méchante reine » regarde dans son miroir pour savoir si elle est la plus belle, elle sait que ce miroir va lui permettre dřavoir un regard dans un autre monde, et que ce quřelle y apprendra est vrai; elle ne pourra jamais faire mentir le miroir, elle doit accepter ce quřil lui dit, quoique cela ne corresponde pas à ce quřelle attend. Cřest un aspect du pouvoir du miroir : dire et refléter la vérité. Cependant accepter ce que dit et montre le miroir cřest non seulement reconnaître que cřest vrai, mais aussi lřintégrer dans son ressentir et son vouloir et cela veut dire courage, le courage de la vérité. Cela la reine de lřhistoire de Blanche-neige ne lřa pas car elle nřaccepte pas que le monde change, évolue et cřest en quoi elle est du côté du Ŗmalŗ, du côté des forces retardataires.

Dans lřhistoire de Faust telle que Goethe lřa rendue, Méphistophélès amène Faust chez la maîtresse des sorcières, avant de lřemmener dans la grande aventure du monde cřest-à- dire dans son esprit, vers lřexpérience, jusquřà épuisement, de toutes les jouissances possibles que peut offrir le monde. Pour cela il faut allumer en Faust le feu des appétits et des désirs, en alliant le pouvoir de la drogue à la vision de lřimage qui va devenir le centre de tous les désirs. Cřest lřalchimie que Méphisto espère pouvoir voir sřopérer dans la cuisine de la sorcière. Seulement Faust est dřabord attiré par le miroir, en lřabsence même de la sorcière qui nřest pas encore arrivée, avant donc le rituel de consommation de la drogue qui doit le « rajeunir », cřest-à-dire éveiller et intensifier ses pulsions et ses désirs de jouissance. Et là que voit-il dans le miroir qui le fascine et dont il nřarrive pas à se détourner ? Lřimage dřune femme, lřimage de la beauté absolue.

Que vois-je? Quelle image céleste Se montre en ce miroir magique!

O Amour, prête-moi ton aile la plus rapide Et porte-moi dans son domaine!

Hélas! Si je ne reste pas à cette place, Si jřose me rapprocher,

Je ne puis plus la voir quřà travers un brouillard! Ŕ La plus belle image de femme!

Dans ce corps étendu dois-je

Voir le résumé de toutes les splendeurs des cieux ? Pareille merveille se trouverait-elle sur la terre? »335

Quelle expérience fait là Faust? Méphisto espère bien avoir réussi à lier passions et pulsions de Faust à lřimage idéale de la beauté féminine grâce au breuvage de la sorcière et à annihiler en lui le pouvoir de la raison et du Moi; entraînant Faust hors de la cuisine de la sorcière il dira à mi-voix :

Avec ce philtre dans le corps, tu verras

Bientôt Hélène en chaque femme.336

Autrement dit, gageant sur lřimpuissance de la raison à dominer les passions du corps, Méphisto pense avoir placé Faust sous son pouvoir et assuré sa descente aux Enfers. Mais Faust nřest pas tout à fait Don Juan; la puissance de sa pensée et de sa détermination volontaire saura toujours le maintenir dans la posture de lřhomme bien campé sur ses jambes, lucide et volontaire. En fait cette expérience que fait Faust avec le Ŗmiroir magiqueŗ, cřest lřexpérience de son propre corps éthérique en lequel se réfléchit lřarchétype même de la forme humaine dans toute sa splendeur, sa beauté idéale, représentée pour Goethe par Hélène, Hélène de la Guerre de Troie. Cette vision de la beauté sublime de la forme archétypale humaine éveille en lui lřamour de la beauté absolue. Le désir profond de la quête de cette beauté va sřenraciner au tréfonds de son âme tandis que le philtre magique de la sorcière allume en lui le feu sauvage qui fait tituber du désir à la jouissance et transforme ses visions célestes en visions érotiques. Lorsque Faust quitte la cuisine de la sorcière, une tension énorme sřest installée au creux de son être entre lřaspiration à découvrir le principe de cette beauté parfaite de la forme humaine incarnée par Hélène de Troie et la puissance de ses pulsions, tension extrême qui ne pouvait quřengendrer la tragédie humaine de Gretchen.

Le pouvoir du miroir est donc un pouvoir de réflexion, cřest-à-dire un pouvoir de mise à distance, de distanciation, qui permet lřéveil, la prise de conscience de la réalité; dřautre part lřimage reflétée dans le miroir a pouvoir dřattrait, dřattirance voire de fascination, ce

335 J. W. Goethe, Faust, traduction H. Lichtenberger, Aubier 1976, p. 79, vers 2429-2440. 336 Ibid. p. 85, vers 2603-2604.

qui pose le problème du lien juste avec la sphère de la volonté; ce lien juste ne se fera que par la force et la profondeur du ressentir. Là se dessinent la tâche et la responsabilité de lřéducateur et de lřenseignant quand les enfants arrivent à cette deuxième phase de leur développement et que de nouvelles modalités de conscience, de nouvelles facultés émergent en eux.