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1. D ÉFINITION DES OUTILS CONCEPTUELS EN LIEN AVEC LA PROBLÉMATIQUE

5.5 Une nouvelle conscience de l'identité samaritaine et un nouveau rapport au monde

pratique, du concept d'identité. Tout groupe choisit de mettre de l'avant certaines caractéristiques discriminantes qu'il puise dans un fonds culturel propre et qu'il fait reconnaître comme son identité revendiquée. En retour, cette identité est reçue par l'autre qui peut choisir de mettre de l'avant d'autres marqueurs identitaires pour constituer l'identité octroyée au premier groupe.

Tout au long de leur histoire, les Samaritains ont été les sujets des empires romain et byzantin, de différents califats (omeyyade, abbaside, ottoman entre autres). Depuis 1948, ils ont eu et continuent de détenir différentes citoyennetés : israélienne, jordanienne, palestinienne. Pendant tout ce temps, ils ont conservé et proclamé leur propre identité, israélite-samaritaine, une identité bien constituée, multiséculaire, enracinée dans le territoire dont ils continuent à réclamer le titre de plus ancien occupant.

Au-delà de la citoyenneté, qui peut parfois être confondue avec l'identité et l'affiliation religieuse, diverses identités sont octroyées aux Samaritains selon les perceptions, les stéréotypes et même les circonstances. Ainsi en raison des rapports étroits avec l'État d'Israël, des avantages consentis aux Samaritains de Naplouse et déniés aux Naplousiens565, de l'existence d'un groupe à Holon,

562 S. Kaufman, « Samaritan Political Identity », (mémoire de maîtrise en histoire du Moyen Orient, Université de Tel Aviv, 1998), partie 2, dans la section ?« A. B. – The Samaritan News ».

563 Ibid.

564 Ibid. La référence donnée par Kaufman à la note 17 est la suivante : « The voice of the Community », dans A. B. –

The Samaritan news, no 679 (Holon, 2 février 1997), 48.

565 Parmi ces avantages, on peut mentionner l'octroi de la citoyenneté israélienne, les facilités de passage au point de contrôle dont un est réservé aux Samaritains, des plaques avec des numéros israéliens, une certaine forme de protection de la part de l'IDF.

les Palestiniens considèrent les premiers comme des non-Palestiniens. Droeber utilise l'expression « not truly arab »566. Cette étiquette demeure en dépit de nombreux traits partagés : l'usage de la même langue arabe, un ancêtre commun Abraham, une longue cohabitation au fil des siècles, plusieurs familles palestiniennes descendant de familles samaritaines converties à l'Islam. Le statut des Samaritains de Naplouse demeure ambiguë alors qu'au point de vue religieux, ils sont considérés comme des Juifs.

Du côté israélien, en raison d'un long contentieux avec le judaïsme rabbinique, de traditions différentes et d'éléments théologiques et liturgiques distincts, une partie de la société continue à tenir les Samaritains pour des Kuthim, de lointains descendants des populations étrangères implantées en Samarie par les Assyriens entre 700 et 600 AEC. « [E]ven today not all is well between Samaritans and Jews in Holon, as one of their residents confesses: “orthodox Sephardi Jews who live in the neighborhood treat Samaritans as pagans and strangers” »567.

Devant toutes ces identités octroyées, la communauté samaritaine doit négocier ses frontières identitaires en fonction de certaines stratégies. À Naplouse, le discours public maintenu par les leaders met l'accent sur « the non-Jewishness of Samaritans »568.

À Holon, c'est sans doute le titre de «israélite-samaritain » qui marque la différence avec les Juifs. Par ailleurs, peu importe le public auquel ils s'adressent, les Samaritains ont développé des habiletés diplomatiques tout en conservant une absolue neutralité politique. Ils se décrivent comme des ambassadeurs de paix pour toute la région. Et c'est à ce titre qu'ils continuent leurs actions diplomatiques à l'étranger et leurs représentations auprès des autorités israéliennes et palestiniennes.

Members of the community are actively petitioning internationally for a role as an “Island of Peace” within the troubled Israeli-Palestinian discourse […] to promote the idea of developing Mount Gerizim as a centre for peace between Arabs and Jews »569.

566 The dynamics of coexistence in the Middle East; negotiating boundaries between Christians, Muslims, Jews and

Samaritans (Londres: I.B. Tauris, 2014), 173.

567 Ibid., 174. La référence donnée par Droeber est la suivante : Alex Maist, « Guard's of Mount Gerizim » (2004), <http://www.jewishmag.co.il/78mag/samaritans/samaritans.htm>. Elle a eu accès au texte le 28 octobre 2012. 568 Ibid.

569 S. Ireton, « The Samaritans : A Jewish Sect in Israel. Strategies for Survival of an Ethno-religious Minority in the Twenty First Century » (mémoire de maîtrise (M.A), Université de Kent (Canterbury), 2003) 31, consulté le 4 mai 2014, <http://www.anthrobase.com/Tx/I/Ireton_S_01.htm>.

Comme le souligne Julia Droeber: « This is another pillar in their building of international relations »570.

Ces stratégies ne sont pas que des réactions tactiques. Les initiatives et entreprises dont nous venons d'analyser l'impact dans la dynamique identitaire samaritaine contribuent à redessiner les frontières identitaires de la minorité. Elles font plus encore : elles participent à la construction de l'identité que les Samaritains revendiquent pour eux-mêmes et à la construction de l'identité que les autres leur octroient. « Le rapport identitaire relève très largement du subconscient, mais il n’en demeure pas moins qu’il façonne la perception que chaque individu a de sa place dans l’univers »571.

Quelle transformation entre la communauté décrite par le premier mandataire britannique au début des années 1930 qui disait : « They are more like a museum specimen than a living community »572 et celle qui vit une renaissance culturelle et démontre une telle créativité dans les champs de l'expression littéraire spirituelle et religieuse573. Quel chemin parcouru entre le cri de désespoir et l'appel lancé par le « Conseil des trois tribus de la secte samaritaine en Terre sainte » et dont voici un extrait :

We direct our Call to all people of benevolence, charity, humanism, and (page 23) sympathetic feelings, and we cordially request the leaders of this world, and all those interested in the poor and helpless creatures, by the name of God, the Most High, to take away the ghosts of destruction and femine (sic) from among the members of this sect, and to kindly keep alive the descendents (sic) of the good Samaritan who was mentioned on several occasions in the Holy Books574.

et la communauté mobilisé qui a su faire entendre sa voix tout au long du processus de négociation des Accords d'Oslo et qui maintient ses rapports de neutralité tout en proclamant sa volonté d’être et d’agir comme un pont de paix entre les parties.

570 The dynamics of coexistence in the Middle East; negotiating boundaries between Christians, Muslims, Jews and

Samaritans (Londres: I.B. Tauris, 2014), 176.

571 Louis-Jacques Dorais, « La construction de l'identité », dans Discours et constructions identitaires, sous la direction de Denise Deshaies et Diane Vincent (Québec : Presses de l'Université Laval, 2004), 2.

572 N. Schur, History of the Samaritans, 2e éd. (1992), 209. Il cite Norman Bentwich, A wanderer in the Promise

Land, (Londres, 1932).

573 Ibid., 221.

574 Atef Nagi et Yusef Abu El Hasan, Brief Theoretical points of view about the Samaritan Sect of Nablus (Jérusalem: Greek Convent Press, 1960?), 9, consulté le 6 janvier 2014,

Nous pouvons affirmer que les Samaritains ont vraiment établi un nouveau rapport au monde. La communauté toute entière a compris que son maintien était relié à deux processus. Elle devait accepter le changement et s'adapter à la modernité. Cette ouverture devait cependant être contrôlée. Elle devait se faire dans le maintien et l'affirmation de la Tradition samaritaine. Par leurs initiatives et notamment leurs entreprises médiatiques, les Samaritains ont partagé une nouvelle conscience de leur identité tout en faisant évoluer l'image que les autres groupes avaient de cette identité. Ce processus ne se traduit pas par des changements éclatants. Il se vit dans le quotidien, dans les relations que les membres des deux groupes établissent entre eux et celles qu'ils développent avec les majorités israélienne et palestinienne et avec d'autres individus, institutions et gouvernements à travers le monde. Ce nouveau rapport au monde s'exprime dans une caractéristique unique qui est celle de se vouloir un pont de paix entre les parties et d'assurer le développement de leur lieu le plus sacré, le mont Garizim, comme un espace de paix.