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1. D ÉFINITION DES OUTILS CONCEPTUELS EN LIEN AVEC LA PROBLÉMATIQUE

1.5 Les frontières de l'identité religieuse

La spécialiste du religieux Eileen Barker a proposé une typologie des localisations de l'identité religieuse dans le cadre d'une conférence de la Société internationale de sociologie des religions (SISR) placée sous la thématique suivante : « Religion et société : les frontières en question »146. Cette typologie a suscité notre intérêt et nous l'avons mise en réserve dans notre arsenal d'outils conceptuels.

E. Barker soutient d'abord que les frontières sont tout à la fois nécessaires et arbitraires et qu'elles imposent un ordre qui nous permet d'échapper au chaos, de catégoriser les phénomènes en traçant des frontières conceptuelles.

Religion has long been used to create boundaries that include and exclude by offering identities which distinguish “us” from “them” — or attempt to dissolve distinctions between “us” and “them”. One of the methods used to reinforce a particular way of belonging has been through use of the concept of nationhood. But there are others locations for religious identities147.

La typologie propose différentes localisations idéaltypiques qui ne servent pas à décrire les réalités mais à reconnaître et à comparer différentes manifestations de la réalité. Ce sont des outils méthodologiques dont la valeur se mesure à leur utilité effective sur le plan de la compréhension d'une réalité, ici celle des frontières possibles de l'identité religieuse. La typologie tient en compte outre la localisation de l'identité, la nature de la frontière et le mode d'accès que cette frontière autorise. Elle comprend dix localisations idéaltypiques que nous énumérons ici. Les exemples qui illustrent ces localisations sont ceux fournis par la spécialiste.

145 Ibid., 718.

146 Eileen Barker, « We've Got to Draw the Line Somewhere: An Exploration of Boundaries that Define Locations of Religious Identity », Social Compass 53, no 2 (2006): 201-213

 La localisation cosmique : ici il n'y a pas de frontière puisque « between sacred and profane […] everything is embued with the sacred »148. Le déisme, le panthéisme, certains mouvements religieux New Age auraient ce type de localisation.

 La localisation globale: elle semble identique à la première mais selon Barker « there is an explicit and sharp boundary drawn in the global perspectives between those who have accepted the Universal God/religion and those who have not »149.

 La localisation nationale : au contraire de la précédente qui est multi ou transnationale, cette dernière est définie par des frontières géopolitiques. Le modèle le plus évident semble celui des différentes églises orthodoxes, dites autocéphales, celles de Russie, de Grèce, de Bulgarie, de Serbie, entre autres.

 La localisation locale : les frontières deviennent ici géoculturelles. « It is the earth (including the local waters and the local sky) to which this religion belongs — it is nature rather than society that can claim the sacred »150. L'auteure donne pour exemple Romuva151, une religion païenne reliée à la culture lithuanienne.

 La localisation biologique : ici la transmission est biologique et souvent genrée comme dans le judaïsme où la transmission est matrilinéaire. Cette frontière est très étanche.

 La localisation ethnique : la frontière est plus poreuse que dans la précédente. Être catholique, ou protestant, en Irlande du Nord au moment des plus grands troubles sociaux peut être tenu comme un exemple de religion ethnique152.

 Le lignage : les anthropologues évoquent ici la lignée spirituelle ou « the fictive kin ». Ici un maître ou un guru initie ses disciples dans la lignée divine, comme dans l'hindouisme et le bouddhisme.

 La localisation culturelle : c'est celle des communautés de croyants et on y entre à la naissance. Certains se considèrent comme des membres de l'Église d'Angleterre. Nous pouvons parler aussi de l'Église du Québec ou canadienne-français à une certaine époque153.  La localisation individuelle : elle correspond au choix d'un individu d'entrer dans une religion

ou d'en laisser une autre.

 La localisation personnelle : Barker utilise le terme « inner space ». Ici, l'individu trouve en lui le lieu de son identité religieuse, dans un mouvement de subjectivation « to realize their “true self” »154.

 La localisation virtuelle : elle est vraiment nouvelle. Toute personne peut créer son opportunité d'identité sur le web. Les frontières sont créatives. « Boundaries cease to be socially constructed in any direct sense and become instead constructs of the individual's imagination »155.

148 Ibid., 205. 149 Ibid., 206. 150 Ibid., 209.

151 European Congress of Ethnic Religion (ECER), Lithuanian Baltic Religion Romuva, consulté le 4 novembre 2014, <http://ecer-org.eu/organisations/lithuanian-baltic-religion-romuva/>.

152 Ibid., 211.

153 Nous proposons cet exemple. 154 Ibid., 211.

Conclusion

Pour en terminer avec la présentation du cadre théorique, nous reviendrons sur l'utilité de nos outils conceptuels. Le concept de fait religieux encadre toute notre démarche de recherche et il éclaire notre posture de recherche. Cette entreprise de compréhension de la réalité samaritaine tiendra compte des dimensions observables, évolutives et globalisantes d'un fait religieux que nous avons situé comme un fait historique et social. Les angles de compréhension et d'analyse du fait religieux serviront aussi à décrire la nature de l'identité actuelle de la communauté samaritaine. Tous les concepts qui sont en lien avec l'identité, les marqueurs identitaires, les frontières et les stratégies seront appliqués tout au long de notre recherche de façon à bien faire comprendre notre compréhension de la problématique identitaire samaritaine. Deux des trois156 modalités de préservation identitaire (transmission de la tradition, clôture/contrôle interne) présentées par Rivoal (2010) seront appliquées à la compréhension de la réalité identitaire samaritaine actuelle. Les éléments de la typologie des localisations de l'identité religieuse nous serviront au terme de notre recherche à qualifier l'identité samaritaine actuelle.

156 La troisième modalité de préservation identitaire à laquelle Rivoal fait référence est l'existence des diasporas. Il n'existe aucune diaspora samaritaine. Comme le souligne Julia Droeber, The Dynamics of Coexistence in the Middle

East ; Negotiating Boundaries between Cgristians, Muslims, Jews and Samaritans (Londres : I.B. Tauris, 2014) :

175, cette absence de diaspora n'est pas seulement un incident historique. Elle est constitutive de l'identité samaritaine. Comme le disait Israel Tsedaka en entrevue : « I am Samaritan, I am of the ancient Israel. I am the real Israel. I (the Samaritans) don't leave this country for one minute ». Citation extraite de Sean Ireton, « The Samaritans: A Jewish Sect in Israel. Strategies for Survival of an Ethno-religious Minority in the Twenty First Century », mémoire de maîtrise (M.A), Université de Kent (Canterbury), 2003, 31, consulté le 10 octobre 2013 et le 4 mai 2014, <http://www.anthrobase.com/Tx/I/Ireton_S_01.htm>.

CHAPITRE 2 :

L'ÉMERGENCE DE L'IDENTITÉ SAMARITAINE : LES POSITIONS DES PROTAGONISTES

La thématique de l’origine des Samaritains, en tant que groupe religieux distinct, a été et demeure au cœur des études samaritaines. Deux questions ont alimenté le débat:

Two points in particular have remained characteristic of many descriptions: the view of Samaritanism as a debased form of religion, containing many syncretistic elements; and the notion of a schism […] that took place at a specific moment in history, and of a definite break as implying the departure of the schismatic from the accepted norm157.

Ce second chapitre tente de répondre aux questions relatives à l’origine du groupe religieux samaritain et à l’émergence de son identité. Les experts ont abondamment traité de cette problématique158 en l'abordant principalement sous l'angle historique de l'origine et du schisme. Dans une communication récente, Pummer résumait ainsi l’état du débat :

As to the question of the origin of the Samaritans, scholars realize that the evidence speaks strongly in favour of seeing the Samaritans as a Jewish sect among other Jewish sects that came into being in the last centuries before the turn of eras, but they also recognize that Samaritanism is rooted in Northern Yahwism although it is not simply a continuation of it 159.

Nous avons plutôt choisi de nous en tenir aux positions des protagonistes que sont les Samaritains et les Juifs160, aux versions respectives d’une histoire, sans doute commune, mais où les interprétations et justifications, dans les textes qui sont devenus nos sources, ont pris le dessus sur les évènements historiques

157 Richard J. Coggins, Samaritans and Jews : Notre regard se fera à la fois historique et anthropologique. The

Origins of Samaritanism Reconsidered (Oxford, GB : Basil Blackwell, 1975), 4.

158 Deux textes, relativement courts et accessibles, rédigés par Reinhard Pummer permettent de reconstituer les débats entre spécialistes au sujet de l’origine des Samaritains. Le premier est : « Present states of Samaritan studies °I°», Journal of semitics studies 21, no 1-2 (1976) : 39-61 — et plus particulièrement 48-54. Le second est une présentation donnée en 2004, à l’université d’Haïfa, dans le cadre de la 6e Conférence de la SÉS publiée sous ce titre : « Samaritanism — A Jewish sect or an independent form of Yahwism? », dans Samaritans : past and present,

current studies, sous la direction de Menachem Mor et Friedrich V. Reiterer (Berlin: De Gruyter, 2010), 1-24.

159 Reinhard Pummer, « Samaritanism – A Jewish Sect or an Independent Form of Yahwism? », dans Samaritans:

Past and Present; Current Studies, sous la direction de Menachem Mor et Friedrich V. Reiterer, Studia Judaica

Forschungen zur Wissenschaft des Judentums, no 53 et Studia samaritana, no 5 (Berlin: De Gruyter, 2010), 16. 160 Lorsque nous parlons des Samaritains, nous faisons ici référence au groupe religieux dont le lieu de culte sacré était et demeure le Mont Garizim, et non aux habitants de la Samarie. L’utilisation du terme juif est plus problématique. Elle pourrait être source de confusion. Le terme dérive du mot yehudai/yehudi qui signifie habitant ou membre de la tribu de Juda. Le terme juif, selon le contexte historique, peut désigner les membres de la tribu de Juda, les habitants de la Judée, les Juifs au sens religieux qui professent le judaïsme rabbinique. Les indications devraient suffire pour situer le contexte historique et soutenir la compréhension du lecteur, malgré l’usage d’un terme unique.

Voici les étapes de notre démarche. Après avoir constaté que le groupe religieux samaritain existait bien au 1er siècle EC, nous ferons connaître les traditions respectives des Samaritains et des Juifs au sujet de l'origine des premiers. Nous reviendrons sur la contribution de l’archéologie et des sources assyriennes au débat précédent et sur les traditions samaritaines au sujet de cet exil ignoré. Nous suivrons l’évolution de la position juive sur les Samaritains à travers le développement chronologique des textes rabbiniques, avant de revenir sur un cas de figure de l’interprétation contemporaine du texte de 2 R 17.

Ce parcours mettra l'emphase sur l’histoire de l’élaboration des fondements actuels des discours identitaires samaritain et juif (orthodoxe). Les positions anciennes des protagonistes pèsent encore lourd sur la dynamique identitaire samaritaine ; elles demeurent au fondement des identités revendiquées et octroyées par les uns et les autres. Pour conclure ce chapitre, comme tous les suivants, nous présenterons nos principaux constats de recherche.

Pourquoi aborder la question des origines du groupe religieux samaritain dans un mémoire qui s’intéresse aux Samaritains contemporains ? Pourquoi remonter si loin dans le temps ? Nous estimons que la réponse à ces questions circonscrit bien une partie du contexte de cette étude et qu’elle met en lumière la complexité de leur situation actuelle. Cette problématique des origines et de la nature du groupe samaritain est en effet si présente et si lourde, qu’elle occulte malheureusement trop souvent la problématique contemporaine de l’identité samaritaine. La question des origines du groupe religieux samaritain ne peut être ignorée. Elle façonne encore les perceptions de certains acteurs et demeure ainsi au cœur des enjeux identitaires samaritains.