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Une nouvelle ambition en matière de vieillissement actif au travail, à quelles conditions ?

Indépendamment même des choix qui seront faits dans les mois à venir sur l’évolution du système de retraite, les « fins de carrière » et l’organisation des transitions vers la retraite constituent d’ores et déjà des sujets sur lesquels il est nécessaire de progresser. Formulées dans une optique avant tout technique et juridique — en réponse à une commande analogue — les propositions de ce rapport ne doivent pas masquer la nature essentiellement culturelle des transformations à engager. Sortir de la « préférence collective » pour les départs anticipés et d’une conception profondément ancrée de la retraite comme rupture brutale et définitive avec l’activité laborieuse ne se fera pas uniquement par accumulation de mesures techniques focalisées sur la remontée de l’indicateur « taux d’emploi des seniors ».

La pente naturelle de cette logique défensive est cette sorte de fatalisme que la mission a souvent rencontré au cours de ses échanges. Un fatalisme qui s’autoalimente également car il conduit à se priver de puissants leviers sociétaux de transformation : davantage que par la prescription de normes, c’est avant tout en prenant appui sur les aspirations au bien-être à tous les âges de la vie et à l’élargissement des options individuelles que les politiques publiques pourront faire bouger les pratiques et les représentations (Albouy, Lorenzi, Villemeur, 2019). L’évolution récente des cadres juridiques, celui du droit du travail en particulier, est potentiellement de nature à faciliter la construction de solutions plus personnalisées pour concilier les exigences et les contraintes de la vie professionnelle et des cycles de vie personnels, réviser périodiquement les arbitrages entre revenus et temps libre, équilibrer investissement professionnel et différentes formes d’activités socialisées. En la matière, les innovations et les « bonnes pratiques » d’entreprise sont nombreuses mais encore faut-il les rendre accessibles à toutes les catégories de salariés et/ou d’entreprises. Davantage que les bonnes pratiques ce sont les conditions qui les rendent possibles qui devraient focaliser les efforts des décideurs publics.

Au terme de ses travaux, la mission a la conviction que les tendances démographiques et les contraintes objectives qu’elles exercent sur le marché du travail et le système de protection sociale obligent à élever le niveau d’ambition collective en matière de gestion du vieillissement au travail. Cela vaut pour les pouvoirs publics, qui devraient indiquer la voie par des mesures plus volontaristes et se mettre en position d’animateur d’une stratégie plus constante et plus intégrée (i) ; pour les entreprises, qui devraient être orientées et encouragées dans des modes d’organisation et de gestion des ressources humaines plus soutenables dans le temps (ii) ; et pour les acteurs du dialogue social, qui devraient être encouragés et soutenus afin de faire preuve d’inventivité pour construire des compromis conciliant équité, liberté de choix pour les individus et souplesse dans les organisations (iii).

Une action publique plus constante et plus volontariste, dans le cadre d’une stratégie intégrée du vieillissement actif au travail

Les politiques publiques ont souvent montré leurs limites pour réguler les pratiques de gestion des fins de carrière. Mais elles ont également souvent manqué de constance et de cohérence, en envoyant des messages contradictoires aux acteurs de l’entreprise, sans leur laisser suffisamment de temps pour s’ajuster et trouver les solutions adaptées à leur situation.

Une tendance générale se dégage des études scientifiques, des connaissances empiriques et des retours d’expérience qui ont pu être partagés avec la mission : un système cohérent et équilibré de règles contraignantes, d’incitations fortes et de ressources d’appui pour aider les entreprises à adapter leur organisation et leur mode de gestion des collaborateurs expérimentés est indispensable pour conforter les facteurs de contexte qui impactent l’emploi des « seniors ». Miser uniquement sur l’ajustement de quelques macro-paramètres qui entraineraient mécaniquement les entreprises et les salariés à modifier leurs comportements semble un pari risqué au regard de la complexité des processus qui amènent à la situation constatée aujourd’hui, dans laquelle près de la moitié des personnes qui liquident leur retraite ne sont plus en emploi. La dimension temporelle est ici essentielle : pour un salarié, les facteurs qui vont influencer la volonté et la capacité à rester longtemps en emploi se construisent sur des temporalités très longues, quel que soit l’angle considéré (la santé, les compétences, la motivation, l’efficacité). De la même façon, une entreprise qui repère à un instant T des symptômes de mauvaise prise en compte du vieillissement de ses collaborateurs dans son organisation du travail (par exemple un absentéisme important dans les tranches d’âges élevées) est en train de payer le prix, « intérêts compris », de pratiques inscrites dans la longue durée.

Ces mécanismes ne se renversent pas du jour au lendemain, raison pour laquelle il est pertinent d’aider les entreprises à les anticiper en continu et de laisser du « temps au temps » dans l’application des dispositifs et mécanismes incitatifs. Pour les praticiens des politiques RH et du dialogue social, les effets du « stop and go » sur un sujet aussi complexe sont très problématiques au regard de l’importance des apprentissages collectifs à conduire : supprimer un dispositif au bout de trois ou quatre ans d’application (comme il a été fait pour l’entretien de mi-carrière ou le contrat de génération) ne permet pas à la plupart des entreprises de s’approprier les sujets et de construire des solutions « à leur main » (a fortiori si cela passe par un accord collectif). Seules les entreprises déjà matures et/ou bien dotées en fonctions d’expertise RH sont capables de s’en saisir, ce qui ne fait que perpétuer les inégalités constatées.

L’exemple des pays qui ont mieux réussi que la France nous montre que le pilotage d’une stratégie cohérente sur le long terme suppose une capacité de coordination très forte des politiques sectorielles sur un spectre très large santé/travail/emploi/formation/assurance- chômage/retraite. Anne-Marie Guillemard rappelait ainsi (dès 2004 !) que « la coordination entre les différents ministères impliqués dans la réforme a été l’une des clés de la réussite finlandaise. Il en a été de même au Japon avec la coordination étroite qui unit les différents acteurs économiques (...) changer les mentalités, construire un nouveau consensus, faire accepter un nouveau compromis salarial sont des processus nécessairement lents. Ils requièrent un

engagement sans faille des autorités publiques sur la question de l’emploi et beaucoup de concertation, de coordination et d’anticipation » (Guillemard, 2004, p. 42)201.

De par son caractère transversal aux différents champs de l’action publique, une politique publique du vieillissement actif au travail appellerait un pilotage interministériel, étroitement articulée au dialogue social dans les champs des relations de travail et de la protection sociale. En fonction des décisions qui seront prises dans les mois à venir en matière de gouvernance du futur système de retraites, un schéma de pilotage ad hoc d’une stratégie globale de vieillissement actif au travail pourrait être élaboré. Mobiliser l’ensemble des parties-prenantes dans un processus de co-production de cette stratégie — en organisant par exemple d’ici fin 2020 des "assises du vieillissement actif au travail" — serait de nature à faciliter la mobilisation collective et l’appropriation ultérieure.

Recommandation :

Mettre en place une délégation interministérielle au vieillissement actif,

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