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Un nouvel intérêt « vital » dans le sud Caucase et en Asie centrale ?

Balance commerciale de l'Ukraine 2013-2017 (milliards de dollars)

3. Un nouvel intérêt « vital » dans le sud Caucase et en Asie centrale ?

Nous avons précédemment souligné l’absence de stratégie mise en place par les Etats-Unis dans le Caucase et en Asie centrale, ce que certains experts ont attribué au manque d’intérêt majeur dans ces espaces. Néanmoins, la résurgence d’une perception de menace russe pourrait modifier les enjeux stratégiques américains. En effet, si l’objectif des Etats-Unis est d’affaiblir la Russie et de contenir sa capacité d’action régionale et internationale, alors l’Asie centrale et le sud Caucase, régions dans lesquelles la Russie maintient une certaine influence, devraient devenir des zones stratégiques pour Washington.

Nous traiterons donc de l’évolution des relations bilatérales des Etats-Unis avec les pays de la région Caucase-Asie centrale depuis la crise ukrainienne.

3.1. De nouvelles opportunités pour les Etats-Unis : le cas de la Géorgie, du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan

La Géorgie, déjà proche des Etats-Unis, a renforcé sa coopération bilatérale depuis 2014, inquiète face à la possibilité d’une nouvelle intervention militaire russe. En juillet 2016, la Géorgie et les Etats-Unis ont ainsi signé un Mémorandum « on Deepening the Defense and Security Partnership Between the United States of America and Georgia190 », qui « réaffirme »

190Memorandum on Deepening the Defense and Security Partnership Between the United States of America and Georgia (July 6). In : U.S. Embassy in Georgia [en ligne]. Juillet 2016. Disponible à

et « élargit » la coopération bilatérale dans le domaine de la défense et la sécurité définie par le partenariat stratégique signé en 2009. En 2017, la Géorgie et les Etats-Unis ont organisé leur plus grand exercice militaire conjoint, d’une durée de deux semaines, avec la participation entre autres du Royaume-Uni ; le ministre géorgien de la défense affirme alors que l’exercice démontre le soutien des Etats membres de l’OTAN, et « surtout les Etats-Unis191 », remarque visiblement destinée à décourager Moscou d’organiser toute nouvelle intervention militaire. En mai 2018, la coopération bilatérale s’intensifie, les deux pays signant ce qui est qualifié par la Géorgie « du plus ambitieux » projet militaire, le Georgia’s Defense Readiness Program (GDRP). Les Etats-Unis s’engagent, pendant trois ans, à renforcer les capacités de défense de la Géorgie en formant et équipant les unités géorgiennes, mais il n’est pour le moment aucunement question de déployer des troupes américaines permanentes dans le pays.

Bien que le Kazakhstan soit un Etat autoritaire et par conséquent opposé à l’idée d’une révolution démocratique, la crise ukrainienne n’a eu aucun impact négatif sur l’état de ses relations bilatérales avec les Etats-Unis. Ainsi en 2017, les deux pays ont signé leur quatrième plan quinquennal de coopération militaire. L’on observe d’ailleurs certaines évolutions symboliques : en 2018, le président kazakh s’est rendu en visite officielle aux Etats-Unis, pour la première fois depuis 2006, pour discuter du partenariat stratégique entre les deux pays192. Cette visite signale ainsi une amélioration indéniable des relations bilatérales, et surtout le souhait kazakh d’intensifier la coopération avec les Etats-Unis. Au vu des relations russo-américaines, cette visite présidentielle doit également être analysée comme un message politique à l’intention de Moscou. Il y a ainsi, en ce qui concerne le Kazakhstan, la possibilité pour les Etats-Unis d’instrumentaliser à leur profit les relations du pays avec la Russie.

La sécurité a été l’un des principaux thèmes abordés, d’abord au niveau régional compte-tenu de l’engagement américain en Afghanistan, puis au niveau bilatéral. Les deux pays se sont ainsi entendus pour accroître la « bilateral defense and security relationships, noting their intent

l’adresse : https://ge.usembassy.gov/memorandum-deepening-defense-security-partnership-united-states-america-georgia-july-6/

191 U.S., U.K., Ukraine, Others Begin Massive Military Drills In Georgia. In : RadioFreeEurope/RadioLiberty [en ligne]. Juillet 2017. Disponible à l’adresse : https://www.rferl.org/a/us-georgia-ukraine-armenia-russia-military-maneuvers/28649702.html.

192 The United States and Kazakhstan: An Enhanced Strategic Partnership for the 21st Century. In : The White House [en ligne]. Janvier 2018. Disponible à l’adresse :

https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/united-states-kazakhstan-enhanced-strategic-partnership-21st-century/.

to conclude several agreements that enhance cooperation ». Cependant, à l’inverse des pays d’Europe orientale, l’objectif officiel du partenariat bilatéral de sécurité n’est pas officiellement de contrer une menace russe.

Les craintes quant à d’éventuelles manœuvres russes au Kazakhstan ont pu créer un contexte favorable au rapprochement entre les deux pays, mais c’est la guerre en Afghanistan et la sécurité régionale qui justifient officiellement d’intensifier le partenariat militaire bilatéral. Depuis 2010, le Kazakhstan autorise les Etats-Unis à traverser son territoire pour approvisionner les forces américaines en Afghanistan. A la suite de la rencontre présidentielle bilatérale, le Kazakhstan a ouvert l’accès à certains ports de la mer Caspienne aux cargo américains à destination de l’Afghanistan, donnant ainsi aux Etats-Unis l’accès à la mer Caspienne193.

Il faut toutefois rappeler que le rapprochement américano-kazakh n’est ni soudain ni à contre-courant de la stratégie kazakhe. Au contraire, il s’inscrit parfaitement dans les objectifs et les méthodes choisies par l’ancien président kazakh pour faire du Kazakhstan un acteur régional et international : la stratégie kazakhe repose sur une coopération bilatérale forte mais équilibrée avec la Russie, la Chine et les Etats-Unis, qui sont les trois plus grandes puissances en Asie centrale. En assurant des relations équilibrées les unes par rapport aux autres, le Kazakhstan gagne en indépendance et en marge de manœuvre par rapport à chacun de ses partenaires. A la différence d’autres pays d’Asie centrale, le Kazakhstan est ainsi parvenu à diversifier ses relations et à faire accepter à la Russie cette ouverture. Dans le même état d’esprit, le Kazakhstan a également signé avec l’Inde en aout 2018 un accord de coopération militaire. Nous considérons par conséquent que le rapprochement américano-kazakh s’inscrit aussi bien dans un contexte de long terme194 (stratégie de puissance kazakhe) que de court terme (inquiétude vis-à-vis de Moscou).

S’agissant des relations américano-ouzbèkes, l’année 2018 est également une année importante : pour la première fois depuis 2002, le président ouzbek s’est en effet rendu en visite

193 L’accord est toutefois contredit par la signature d’un accord multilatéral entre les pays riverains de la mer Caspienne, excluant la présence de navires tiers. Ce point sera approché plus en détail par la suite.

194 Début 2019, la démission du président Nazarbayev, ne semble avoir actuellement aucun impact sur la politique étrangère du pays.

officielle aux Etats-Unis en aout 2018, visite qui a été qualifiée d’historique195. La priorité a été accordée à la sécurité régionale (la guerre en Afghanistan) et la coopération économique, sans discussions officielles sur la coopération militaire au niveau bilatéral. L’Ouzbékistan, comme la Biélorussie, tente depuis 2016 de mener une stratégie proche de celle du Kazakhstan : d’après un article du Central Asia-Caucasus Analyst, l’objectif ouzbek est en effet d’entretenir de bonnes relations avec les puissances russe, américaine et chinoise pour assurer le succès du pays196.

A l’heure actuelle cependant, ni la Biélorussie ni l’Ouzbékistan n’envisagent une coopération militaire significative avec les Etats-Unis. Comme l’indique un rapport de l’Atlantic Council197, l’Ouzbékistan attend davantage des Etats-Unis un soutien financier et économique, actuellement plutôt réduit.

Si les Etats-Unis ont misé en Europe orientale sur leur puissance militaire pour assoir leur influence, il est cependant peu probable qu’ils puissent appliquer la même méthode en Asie centrale et dans le Caucase (à l’exception de la Géorgie). En effet, il est improbable que ces Etats prennent le risque de s’aliéner Moscou en concluant des accords militaires similaires à ceux conclus avec les pays d’Europe orientale.

3.2. Des difficultés à dépasser ; un poids économique insuffisant et des ONG peu présentes

Si les Etats-Unis ne peuvent s’implanter militairement dans la région en raison de la présence russe et chinoise, ou développer des liens politiques aussi forts qu’en Europe, c’est le levier économique qui doit être utilisé, et ce d’autant plus que ces pays ont un besoin important de modernisation de leurs infrastructures. Le travail d’avant-garde des ONG comme la NED est également essentiel au développement de la présence américaine dans cet espace. Néanmoins, à l’exception du Kazakhstan, les Etats-Unis demeurent après la crise ukrainienne

195 The United States and Uzbekistan: Launching a New Era of Strategic Partnership. In : The White House [en ligne]. Mai 2018. Disponible à l’adresse : https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/united-states-uzbekistan-launching-new-era-strategic-partnership/.

196 Valiyev, Sanjar, 2018. Taking the U.S.-Uzbekistan Relationship to the Next Level: Mirziyoyev. In : Cacianalyst [en ligne]. Juin 2018. Disponible à l’adresse :

https://www.cacianalyst.org/publications/analytical-articles/item/13524-taking-the-us-uzbekistan-relationship-to-the-next-level-mirziyoyevs-historic-visit.html.

197 Sattarov, Raphael et Egamov, Aziz, 2018. What Uzbekistan Seeks From The United States. In : Atlantic Council [en ligne]. Mai 2018. Disponible à l’adresse : http://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/what-uzbekistan-seeks-from-the-united-states.

un partenaire économique marginal, et les activités des ONG sont également limitées, notamment en raison de mesures légales limitant leurs opérations198.

Les données concernant les investissements américains en Asie centrale et dans le Caucase ne sont pas toutes disponibles, nous ne pouvons donc pas évaluer correctement le poids des Etats-Unis à ce niveau. D’après les données accessibles, nous avons identifié la Géorgie et surtout le Kazakhstan comme les deux principaux pays receveurs des IDE américains.

S’agissant du Kazakhstan, les Etats-Unis se sont imposés comme une source stable et capitale : En effet, d’après les données disponibles sur le site de la Banque centrale du Kazakhstan, les Etats-Unis sont depuis plusieurs années l’un des principaux pays investisseurs, loin devant la Chine et la Russie. Nous remarquons également une augmentation significative des investissements en 2014 ; malgré une baisse en 2015, le montant des flux d’IDE nets des Etats-Unis au Kazakhstan est plus élevé en 2017 qu’il ne l’était en 2013. D’après les données préliminaires disponibles pour l’année 2018, les Etats-Unis restent le deuxième pays investisseur au Kazakhstan. Notons que seules les données relatives aux flux des investissements sont disponibles, et nous avons sélectionné les flux nets :

Figure 17 : Principaux flux nets d’IDE au Kazakhstan entre 2013 et 2017

198 A l’instar de la Russie, plusieurs pays en Asie centrale ont pris des mesures visant à contrôler et réduire l’activités des organisations étrangères sur leur sol.

-$3 000 -$2 000 -$1 000 $0 $1 000 $2 000 $3 000 $4 000 $5 000

Etats-Unis Russie Chine Pays-Bas Royaume-Uni France

Principaux flux nets d'IDE au Kazakhstan 2013-2017 (millions de dollars)

Source : Banque centrale du Kazakhstan

La part des Etats-Unis dans les IDE entrants en Géorgie est en revanche beaucoup plus faible : après avoir atteint un pic en 2014, elle a regagné en 2017 son niveau de 2013 :

Figure 18 : Part des Etats-Unis dans les investissements en Géorgie entre 2013 et 2017

Source: National Statistics Office of Georgia

Les relations commerciales entre les Etats-Unis et les pays du Sud Caucase et de l’Asie centrale restent globalement limitées, la plupart ayant même diminué entre 2013 et 2017. A nouveau, le Kazakhstan se démarque comme le principal partenaire des Etats-Unis. Par souci de praticité nous avons regroupé les pays de la région en quatre catégories en fonction de la valeur de leurs échanges avec les Etats-Unis : le Kazakhstan tout d’abord, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, puis le Turkménistan, l’Ouzbékistan et l’Arménie, et enfin le Tadjikistan et le Kirghizstan. Aucun de ces groupes n’enregistre une augmentation des échanges commerciaux avec les Etats-Unis en 2017 par rapport à 2013.

Figure 19 : Relations commerciales des pays d’Asie centrale et du Caucase avec les Etats-Unis 2013-2017 4% 10% 1% 3% 4% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 2013 2014 2015 2016 2017

Part des IDE des Etats-Unis en Géorgie 2013-2017

Source: Office of the United States Trade Representative

Source: United States Census Bureau

$2 571 $2 418 $1 326 $1 842 $1 343 2013 2014 2015 2016 2017

Le Kazakhstan, premier partenaire commercial des

Etats-Unis dans la zone Caucase-Asie centrale 2013-2017 (millions) $776 $1 036 $521 $419 $512 $1 517 $1 962 $985 $575 $566 2013 2014 2015 2016 2017

Les relations commerciales de la Géorgie et de