• Aucun résultat trouvé

L’approche géopolitique

Le rôle des représentations dans les confrontations entre Etats

L’angle géopolitique choisi pour traiter ce sujet nécessite une approche avant tout pluridisciplinaire, ce qu’Yves Lacoste souligne lorsqu’il définit ainsi la géopolitique : « La géopolitique est la confrontation de raisonnements qui s’opposent, ouvertement ou non, et qui

40 Le Concept de politique étrangère de la Fédération de Russie [en ligne]. Décembre 2016. Disponible à l’adresse :

http://www.mid.ru/foreign_policy/official_documents//asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/254 2248.

sont des rivalités de pouvoir sur un territoire41 ». Mais : « ces rivalités n’ont pas toujours le territoire comme véritable enjeu (…) Ce sont plutôt des appréhensions du monde, des représentations qui s’affrontent et se confrontent. Les paramètres sociaux, religieux, culturels, historiques… se révèlent être d’une importance capitale en géopolitique42 ». L’exemple de Jérusalem, ville qui ne dispose d’aucun atout particulier – ressources, poids économique ou démographique- est un exemple parfait de la question des représentations qu’un acteur élabore sur un territoire. La force géopolitique de Jérusalem tient en sa dimension spirituelle avant toute autre considération.

Le concept de représentation est complexe en ce qu’il s’applique à plusieurs disciplines, et divisé en trois types43 : les représentations « individuelles » et celles qui nous intéressent davantage, les représentations « collectives » et « sociales », élaborées et partagées par un groupe. La discipline géopolitique requiert la prise en compte de représentations qui lui sont propres, telle que l’Etat, la nation, mais également les représentations historiques, les représentations cartographiques (auxquelles la Chine a régulièrement recours, pour présenter un grand empire chinois, et qui lui a servi de base à des revendications territoriales, notamment en Russie, mais aussi en mer de Chine), des représentations philosophiques, politiques, et toute représentation fondée « sur l’évocation d’un grand ensemble humain » qu’il soit religieux, linguistique, civilisationnel, etc.

La question des représentations est fondamentale dans la compréhension de la politique régionale de la Russie. Elle permet notamment d’expliquer l’importance cruciale de l’Ukraine pour la Russie. En effet, si l’Ukraine dispose de ressources naturelles intéressantes pour Moscou et d’une situation géographique avantageuse, aux portes de l’Europe, c’est le partage d’une même religion, d’une histoire, le sens, très développé en Russie, de constituer un même peuple slave qui font de l’Ukraine un pays véritablement à part dans la perception qu’a la Russie de son espace régional. Le souci qu’a la Russie de trouver un socle commun avec les pays de son

41 LACOSTE, Yves, 2018. Entretien avec Yves Lacoste : Qu’est-ce que la géopolitique ? Diploweb.com [en ligne]. Diploweb.com. 4 octobre 2018. [Consulté le 11 août 2020]. Disponible à l’adresse : https://www.diploweb.com/Entretien-avec-Yves-Lacoste-Qu-est-ce-que-la-geopolitique.html.

42 LACOSTE, Yves, 2014. La géopolitique à la française [en ligne]. CLES. Septembre 2014. S.l. : s.n. [Consulté le 11 août 2020]. Disponible à l’adresse : https://fr.slideshare.net/JFFiorina/cles-hs-n38-la-gopolitique-la-franaise-entretien-avec-yves-lacoste-sept-14.

43LOYER, Barbara, 2019. Géopolitique - Méthodes et concepts. Armand Colin. Cursus. ISBN 978-2-200-62330-2.

environnement régional, qu’il soit d’ordre religieux (le partage de l’orthodoxie), culturel et historique (héritage tsariste ou soviétique), ou même géographique (à travers l’affirmation d’un continent eurasiatique russo-centré, ni européen, ni asiatique) démontre également la nécessité de prendre en compte des phénomènes sociaux dans l’analyse de la géopolitique russe.

L’objectif d’une analyse géopolitique

Les tensions entre la Russie et les pays occidentaux depuis 2014 ont conduit à une guerre de l’information, symbolisée par l’essor des infox émises dans chacun des Etats, informations partiellement ou entièrement fausses destinées à décrédibiliser la version de l’adversaire, ou élaborer une nouvelle version des évènements. Ces informations tendent à valider certaines représentations, et démontrent ainsi le souci de légitimer, par des principes politiques (défense de la démocratie, de la stabilité, ou de non-ingérence) ou moraux (défense de droits de l’homme, d’un héritage culturel spécifique, d’un mode de vie), l’action d’un Etat, et entraîne nécessairement tout observateur dans la recherche de vérité. L’analyse géopolitique doit toutefois absolument s’extraire de cette quête : « L’analyste (…) dessine un panorama des forces et des faiblesses des acteurs en présence et de leurs argumentaires44 ».

Notre objectif n’est donc pas d’évaluer la légitimité de l’ingérence russe en Ukraine depuis 2014, ni celle de l’influence américaine dans l’espace post-soviétique, ou celle des objectifs chinois dans cette même région. Il est d’étudier les ressorts des stratégies déployées, des objectifs visés, et de leur succès. Il requiert ainsi une prise de distance systématique avec le discours officiel élaboré par les dirigeants des pays acteurs, et une confrontation permanente entre discours et actions.

Sources utilisées

Sources primaires

Les discours, déclarations, doctrines, traités, accords, et tout document officiel émanant des organes gouvernementaux ont été la source principale permettant d’identifier les ressorts et enjeux de politiques étrangères des Etats concernés. Nous avons à ce titre grandement bénéficié de la numérisation désormais systématique de ces sources, qui a permis d’accéder facilement à une grande quantité de documents plus ou moins récents.

44LOYER, Barbara, 2019. Géopolitique - Méthodes et concepts. Armand Colin. Cursus. ISBN 978-2-200-62330-2.

Les données économiques et financières ont été extraites à la fois de ministères et d’organismes étatiques : ministère de l’économie et des finances, banques centrales, centre de statistiques. Les données proposées par les organisations internationales comme le Fonds monétaire international, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Organisation des nations unies principalement. Nous avons également utilisé les données compilées par certains instituts et centres de recherche, qui proposent des données déjà travaillées, issues du croisement de diverses données brutes. Leur travail a grandement facilité notre travail dans certains cas.

Les données issues des organisations internationales et non gouvernementales considérées comme des vecteurs de politique étrangère d’un ou plusieurs Etats ont également été traitées comme sources primaires. Les documents relatifs à leur stratégie, leur budget, quand il est disponible, et les déclarations de leurs dirigeants ont été intégrés à notre corpus de sources. Nous avons à ce sujet décidé d’intégrer, avec précaution, tout document piraté permettant d’améliorer notre compréhension du rôle de certains acteurs. Il nous a donc semblé pertinent d’analyser les documents piratés en 2016 de l’Open Society Foundation, organisation créée par George Soros très active dans les anciennes républiques soviétiques et accusée par la Russie de soutenir les mouvements anti-russes. La fuite de ces données a fait l’objet d’une double-enquête, menée d’un côté par le FBI et de l’autre par une entreprise de sécurité privée, confirmant la véracité des documents.

Sources secondaires

Les articles et analyses issues de think tanks et de revues académiques et scientifiques, ainsi que les ouvrages publiés constituent la base de nos sources secondaires. Une attention particulière a été apportée aux travaux des think tanks, notamment aux Etats-Unis, en ce qu’ils participent également, en qualité de conseil, à l’élaboration des stratégies étatiques.

Entretiens

En raison de contraintes professionnelles et géographiques récurrentes, l’auteur n’a pas été en mesure de conduire tous les entretiens souhaités. Quelques entretiens ont toutefois été conduits avec des chercheurs français et américain spécialisés sur les questions économiques pour nous aider à mieux comprendre les forces et faiblesses des acteurs russe et chinois. Des

discussions informelles avec des acteurs économiques dans le secteur énergétiques, menées dans le cadre d’une mission professionnelle en Russie entre 2015 et 2017, évoquée dans la section suivante, ont également contribué à nourrir notre réflexion.

Concilier travail de recherche et carrière professionnelle

Ce travail de recherche a été quasi intégralement mené de front avec une occupation professionnelle, engendrant des difficultés évidentes. L’auteur a toutefois pu mettre à profit l’expérience et les connaissances acquises durant une mission de deux ans menés à Moscou pour le compte d’une entreprise parapétrolière française impliquée dans le projet Yamal LNG. L’auteur a pu alors prendre la mesure de l’essor du gaz naturel liquéfié dans la stratégie de puissance de la Russie, qui s’est traduite notamment par une attention soutenue du président russe au développement du projet. Elle a également pu mesurer le rôle des grandes entreprises russes du secteur, aussi bien privées que publiques, dans le déploiement de la politique étrangère de la Russie. En effet si dans les pays occidentaux, une entreprise privée est, en temps de paix et de stabilité, indépendante de l’Etat et libre de se développer selon ses intérêts, une entreprise privée en Russie se doit de coordonner sa stratégie avec celle de l’Etat. Les grandes entreprises privées du secteur énergétique en Russie, à l’instar de Novatek ou de Sibur, sont ainsi, au même titre que Gazprom et Rosneft, des vecteurs essentiels de la politique étrangère russe.

Cette expérience a été déterminante dans la formulation du sujet et des hypothèses conduisant le travail de recherche. Les connaissances obtenues ont notamment permis d’enrichir la compréhension des relations russo-chinoises et de la réalité du rapprochement post-2014.