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Impact de la crise russo-américaine en Eurasie : L’Europe orientale, bastion confirmé des Etats-Unis

Production annuelle de pétrole (milliers de barils/jour)

2. Impact de la crise russo-américaine en Eurasie : L’Europe orientale, bastion confirmé des Etats-Unis

Si la crise ukrainienne n’est pas le seul évènement affectant les relations russo-américaines et que les soupçons d’ingérence russe dans les élections présidentielles des Etats-Unis en 2017 ont davantage contribué à envenimer les relations, elle a eu des conséquences fortes sur l’engagement américain dans la sphère régionale russe, particulièrement en Europe.

L’expansion militaire américaine s’opère via deux acteurs : le gouvernement américain et l’OTAN. Les National Defense Authorization Act pour les années fiscales de 2014, 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019, textes de loi américains sur le budget de défense annuel, témoignent de l’intérêt militaire croissant des Etats-Unis pour la sphère régionale russe en réponse aux demandes également croissantes de ces pays d’un soutien militaire renforcé, et présentent les projets militaires des Etats-Unis dans cet espace. Nous avons décidé de traiter cette section de façon chronologique, plus à même de montrer l’évolution de la présence militaire américaine depuis le début de la crise ukrainienne. Nous utiliserons principalement les documents officiels de l’OTAN ainsi que les National Defense Authorization Act de 2014 à 2019.

Nous traiterons tout d’abord de la présence américaine via l’OTAN dans l’espace régional russe, entre soutien politique, logistique, et humain au renforcement de l’Alliance ; puis nous aborderons la coopération bilatérale des Etats-Unis avec les pays de la sphère régionale ; nous conclurons cette partie avec la réaction de Moscou face à l’intensification des activités militaires des Etats-Unis dans sa sphère régionale.

2.1. L’OTAN, un vecteur de la stratégie américaine vis-à-vis de la Russie

Le discours du président Obama en 2014 à Tallinn, peu avant le sommet de l’OTAN, réaffirme l’engagement des Etats-Unis dans l’OTAN et leur soutien à l’intégrité territoriale des pays membres : « We’ll be here for Estonia. We will be here for Latvia. We will be here for Lithuania. You lost your independence once before. With NATO, you will never lose it again […] Second -- and in addition to the measures we’ve already taken -- the United States is working to bolster the security of our NATO Allies and further increase America’s military presence in Europe[…] Third, NATO forces need the ability to deploy even faster in times of crisis. This week, our Alliance must unite around a new plan to enhance our readiness153 ». Au sommet de l’OTAN deux jours plus tard, le Readiness Action Plan (RAP) est créé, pour répondre principalement aux « défis posés par la Russie154 ». Le programme contient des mesures d’assurances et d’adaptation, qui impliquent globalement des activités militaires de

153 Remarks by President Obama to the People of Estonia. In: whitehouse.gov [en ligne]. 3 septembre 2014. Disponible à l’adresse : https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2014/09/03/remarks-president-obama-people-estonia.

154 NATO, 2014. Wales Summit Declaration issued by the Heads of State and Government participating in the meeting of the North Atlantic Council in Wales. In : NATO [en ligne]. Septembre 2014. Disponible à l’adresse : http://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_112964.htm.

l’OTAN en hausse en Europe orientale, la création de plusieurs sièges de l’OTAN dans la région, et une meilleure réactivité des troupes de l’Alliance en cas d’agression d’un pays membre. Les Etats-Unis n’ont pas de rôle prépondérant dans ce programme, et n’ont pas prévu de prendre sa direction dans les années à venir, ce rôle étant dévolu, annuellement, au Royaume-Uni, à la France, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et la Turquie.

Puisque le nombre de troupes de l’Alliance patrouillant les pays membres en Europe orientale a augmenté, il est logique que le nombre de troupes américaines ait augmenté également, mais nous n’avons pas trouvé d’informations chiffrées à ce sujet. Le RAP a été amélioré en 2016, avec la mise en place du programme Enhanced Forward Presence, qui engage une présence militaire renforcée de l’Alliance dans les pays baltes et la Pologne. Dans ce cadre, quatre bataillons au total sont postés dans ces pays, le Canada, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Unis dirigeant chacun un de ces bataillons. Nous le voyons, les Etats-Unis s’investissent davantage qu’avant 2014.

L’Alliance a par ailleurs annoncé augmenter le nombre d’exercices collectifs en raison de l’annexion de la Crimée : « Following Russia’s illegal "annexation" of Crimea in March 2014, the number of exercises undertaken that year was increased and at their 2014 Summit in Wales, NATO leaders made a pledge to increase the focus on collective defence scenarios. Since then, at the Warsaw Summit in 2016, NATO leaders have agreed on a strengthened deterrence and defence posture that draws upon all the tools at NATO’s disposal, including military exercises155 ». Dans une démonstration de force, l’exercice bisannuel en Pologne Anakonda qui s’est tenu en 2016 a rassemblé exceptionnellement quelque 30 000 troupes, contre environ 10 000 habituellement. En novembre-décembre 2018, l’exercice se déroule en partie, et pour la première fois, dans les pays baltes et la mer Baltique en plus de la Pologne 156. L’échelle géographique inédite d’Anakonda 2018 nous invite à penser qu’il s’agit d’une

155 NATO - Topic : Exercises. In : [en ligne]. [Consulté le 1 octobre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_49285.htm.

156 Anakonda 2018 - największe ćwiczenie Wojska Polskiego :: Information about the exercise ::.. In : [en ligne]. [Consulté le 1 octobre 2018]. Disponible à l’adresse :

réponse à l’exercice militaire russo-biélorusse Zapad 2017, analysé dans certains pays comme une préparation à une invasion future157.

La Lituanie a reconnu en 2015 le rôle leader des Etats-Unis158 dans la mise en place des mesures de défense collectives de l’OTAN : « Lithuania welcomes the decisions of the NATO Summit in Wales to enhance capabilities of the Alliance in response to Russia’s aggression and expects support of the US in setting up a NATO Force Integration Unit in Lithuania, prepositioning of equipment and forces as well as participation in joint exercises in Lithuania ».

L’OTAN continue également son programme d’expansion. Quatre pays souhaitent actuellement adhérer à l’Alliance : la Géorgie, l’Ukraine, la Bosnie-Herzégovine et l’ex-République yougoslave de Macédoine.

Figure 10 : Pays-membres de l’OTAN et candidats à l’adhésion en 2018

157 Giles, Keir, 2018. Russia Hit Multiple Targets with Zapad-2017. In : Carnegie Endowment for International Peace [en ligne]. Janvier 2018. Disponible à l’adresse : https://carnegieendowment.org/2018/01/25/russia-hit-multiple-targets-with-zapad-2017-pub-75278.

158 Linas Linkevičius: we expect leadership of the USA in ensuring security | News | Ministry of Foreign Affairs. In: Ministry of Foreign Affairs of the Republic of Lithuania [en ligne]. février 2015. [Consulté le 1 octobre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.urm.lt/default/en/news/linas-linkevicius-we-expect-leadership-of-the-usa-in-ensuring-security-.

Pays membres Pays candidats

Fond de carte disponible sur le site http://www.histgeo.ac-aix-marseille.fr

Les Etats-Unis soutiennent activement le processus d’adhésion de ces pays : le National Defense Authorization Act pour 2019 stipule en effet que le Ministère de la Défense américain « should affirm support for the Open Door policy of NATO, including the eventual membership of Georgia in NATO159». Si seule la Géorgie est explicitement mentionnée, l’expression « Open Door policy » implique également les autres pays candidats.

En 2018, la Géorgie a annoncé vouloir réactiver le processus d’intégration à l’OTAN, suspendu depuis 2008. Le ministre de la défense géorgien a affirmé avoir reçu des assurances160 de la part du secrétaire général de l’OTAN, néanmoins la chancelière allemande a annoncé en aout 2018 ne pas envisager une adhésion « prompte » de la Géorgie à l’Alliance, principalement en raison des problèmes en Abkhazie et en Ossétie : « "I do not see Georgia's prompt accession to NATO (membership). This is the position of Germany161». Les perspectives d’intégration à court terme de la Géorgie et de l’Ukraine162 sont ainsi réduites, puisque non seulement le processus d’intégration nécessite généralement plusieurs années, mais de plus certains pays de l’Alliance y sont actuellement opposés (la Hongrie pour l’Ukraine et l’Allemagne pour la Géorgie).

L’adhésion de la Macédoine est sur le point d’être finalisée. Elle signe en effet en janvier 2019 le protocole d’adhésion à l’OTAN qui permettra aux négociations de débuter durant la deuxième moitié de l’année, en dépit du faible soutien de la population au processus d’adhésion. Le processus d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine est aussi en cours, mais est toujours bloqué

159 Text - H.R.5515 - 115th Congress (2017-2018): John S. McCain National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2019 | Congress.gov | Library of Congress. In : Congress.Gov [en ligne]. Aout 2018. Disponible à l’adresse : https://www.congress.gov/bill/115th-congress/house-bill/5515/text.

160Foy, Henry et Peel, Michael, 2018. Georgia pledges to forge ahead with NATO ambitions. In : Financial Times [en ligne]. Juillet 2018. Disponible à l’adresse : https://www.ft.com/content/e1a48320-8e53-11e8-b639-7680cedcc421.

161 PressTV-Merkel denies quick NATO membership for Georgia. Aout 2018. In : [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.presstv.com/Detail/2018/08/24/572092/Georgia-Germany-Angela-Merkel-NATO.

par l’insuffisance des réformes et l’opposition d’une partie serbe du pays, qui appelle à la neutralité163.

Il semble ainsi que l’élargissement de l’OTAN ne soient plus un vecteur central de l’influence américaine, à la différence du début des années 2000. Non seulement il est très improbable que l’OTAN atteigne l’Asie centrale, mais en plus il semble que l’Alliance ait presque atteint ses limites en termes d’expansion en Europe et dans le Caucase : à court et moyen terme, il est très improbable que des pays comme la Serbie ou la Biélorussie en Europe, l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Caucase, choisissent en effet d’adhérer à l’OTAN.

La tendance isolationniste du président américain Donald Trump, symbolisée par le slogan « America First », et ses critiques sur le montant de la participation financière de certains pays membres de l’Alliance ont fait craindre un retrait des Etats-Unis de l’OTAN, et donc de l’Europe orientale. En 2020, le Pentagone annonce ainsi le retrait de 12 000 troupes américaines d’Allemagne, prévoyant d’en redéployer certaines en Europe, notamment en Belgique, en Italie, en Pologne, dans les pays baltes, en Roumanie et en Bulgarie et d’en rapatrier 6 400 sur le territoire américain. La manœuvre semble davantage cibler l’Allemagne, que le président Trump accuse de ne pas participer suffisamment financièrement au sein de l’OTAN, que signifier un retrait progressif des Etats-Unis de l’Alliance.

2.2. Un soutien direct de l’armée américaine

En sus d’agir par l’intermédiaire de l’OTAN, les Etats-Unis ont aussi mis en place un panel de mesures directes pour renforcer leur influence militaire. Ces mesures agissent à deux niveaux : européen (European Deterrence Initiative et Atlantic Resolve) et bilatéral (implémentation à l’étude de nouvelles bases militaires permanentes en Europe orientale).

Initialement intitulé European Reassurance Initiative, et créé en 2014 par les Etats-Unis, le programme a été renommé European Deterrence Initiative (EDI) en 2017 face à ce qui est perçu comme une évolution inquiétante des ambitions régionales de Moscou. L’objectif de ce programme militaire est de soutenir les efforts américains et européens dans le domaine de la

163 Bosnia Serbs Vow to Block NATO Accession Plan. In : Balkans Insight [en ligne]. Décembre 2017. Disponible à l’adresse : http://www.balkaninsight.com/en/article/bosnia-serbs-oppose-nato-acession-bid-12-15-2017.

sécurité. Entièrement financé par les Etats-Unis, il offre un soutien militaire accru à la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie. Le budget alloué à ce programme augmente chaque année depuis sa création :

Figure 11 : Budget de l’EDI, 2015-2019

Source : https://comptroller.defense.gov

L’EDI finance la majorité des opérations militaires américaines en Europe164 (envoi de troupes, formations des troupes locales, rénovation ou amélioration des installations militaires, installation de missiles de défense etc). Ces opérations font partie du programme « Atlantic Resolve », institué en 2014 qui est une « demonstration of continued U.S. commitment to collective security through a series of actions designed to reassure NATO allies and partners of America's dedication to enduring peace and stability in the region165». Le siège de l’opération est en Pologne, à Poznan. Atlantic Resolve et l’EDI privilégient les opérations en Lettonie, Estonie, Lituanie, Pologne, Bulgarie et Roumanie. Plusieurs think tanks américains (Heritage Foundation, Rand Corporation) approuvent les mesures militaires des Etats-Unis en Europe orientale. Un rapport de l’Heritage Foundation suggère d’ailleurs de transformer l’EDI en « engagement durable »: «Deterring further Russian aggression through a strong U.S. security presence in Europe and a robust leadership role in NATO is in America’s national interest. The

164 Latici, Tania, 2018. European Deterrence Initiative: the transatlantic security guarantee. In: European Parliamentary Research Service. Juillet 2018. n° PE 625.117, p. 12. Disponible à l’adresse: http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2018/625117/EPRS_BRI(2018)625117_EN.pdf

165 Atlantic Resolve. [En ligne]. Disponible à l’adresse : http://www.eur.army.mil/AtlanticResolve/.

$985 $789

$3 419

$4 777

$6 531

2015 2016 2017 2018 2019

Budget de l'EDI (prévisionnel pour 2018-2019,