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Chapitre 2. Cadre conceptuel

2.1. L’enseignement de l’écriture en L2

2.1.1. Des notions de base sur l’écriture en L2

Selon Reuter (1996),

l'écriture est une pratique sociale, historiquement construite, impliquant la mise en œuvre généralement conflictuelle de savoirs, de représentations, de valeurs, d'investissements et d'opérations, par laquelle un ou plusieurs sujets visent à (re)produire du sens, linguistiquement structuré, à l'aide d'un outil, sur un support conservant durablement ou provisoirement de l'écrit, dans un espace socio-

institutionnel donné. (p. 58)

En considérant l’écriture comme une pratique sociale inscrite dans un contexte précis et non comme un exercice scriptural rigide, cette définition reconnaît la diversité des pratiques d’écriture et remet en question une vision et un enseignement traditionnels de l’écriture visant à uniformiser et à normaliser les pratiques scripturales des élèves (Reuter, 1996, p. 11). Pour compléter ces propos, il paraît important, à l’instar de Morin

et al. (2009), en L1, de souligner la complexité de l’apprentissage de l’écriture en

mentionnant la nécessité pour les élèves, lorsqu’ils écrivent, de mobiliser un grand nombre de connaissances et de mobiliser efficacement de nombreux processus.

Le modèle de Hayes et Flower (1980), issu du domaine de la psychologie cognitive, expose les différents éléments du processus d’écriture en identifiant ses trois composantes : l’environnement de la tâche, donc ce qui est extérieur au scripteur, les processus cognitifs mis en œuvre lors de l’écriture et la mémoire à long terme du scripteur. Trois processus cognitifs sont distingués, ceux-ci interagissant itérativement :

• la planification, soit le fait de générer et d’organiser des idées, par exemple en prenant des notes, et de se fixer un but, tel que des critères pour évaluer le texte produit;

• la formulation, soit le fait de « puiser des idées stockées en mémoire selon le plan effectué et de les transformer en texte écrit acceptable »7 (traduction libre, p. 15); • la révision, soit le fait de lire et d’éditer le texte produit dans le but de l’améliorer.

Selon ce modèle, l’automatisation de certains processus et gestes, tels que le processus de gestion orthographique et le geste moteur graphique, ainsi que la plus grande efficacité de traitement de l’information dans la mémoire à long terme permettent de distinguer les scripteurs experts des scripteurs novices, ces derniers se retrouvant en surcharge cognitive.

Plus de 15 ans plus tard, Hayes (1996) passe d’un paradigme sociocognitif à un paradigme individu-environnement et propose un nouveau modèle visant à améliorer celui proposé en 1980 en y intégrant, entre autres, l’affectivité et la motivation des

7 « The function of the TRANSLATING process is to take material from memory under the guidance of the

writing plan and to transform it into acceptable written English sentences. » (Hayes & Flower, 1980,

scripteurs en lien avec la tâche d’écriture, ce qui constitue une dimension importante que nous considérons dans le cadre de notre recherche (voir figure 1).

Par rapport au modèle de 1980, celui-ci accorde plus d’attention au rôle joué par la mémoire de travail et moins d’importance à la planification, en plus de souligner la place essentielle occupée par la lecture tout au long du processus d’écriture. Y est également incluse la dimension visuospatiale de l’écriture. Ce modèle prend également en compte de nouvelles caractéristiques de l’environnement de la tâche, telles que la présence de collaborateurs lors de l’écriture et le médium utilisé pour écrire. Puis, on remarque qu’au sein de ce modèle, les processus cognitifs mis en branle par le scripteur ne sont qu’un aspect parmi d’autres constituant l’individu scripteur, une attention étant également apportée à l’affectivité et à la motivation du scripteur ainsi qu’au traitement de l’information dans sa mémoire à long terme et dans sa mémoire de travail, située au centre du rectangle pour illustrer le rôle central qu’elle joue dans le processus d’écriture (Hayes, 1996).

Figure 1 : Reproduction du modèle présentant le processus d’écriture selon Hayes (1996)

En ce qui a trait à l’affectivité et à la motivation du scripteur, Hayes (1996) mentionne que la perception du scripteur des causes de son succès influence sa performance, ce qui est lié au sentiment d’efficacité personnelle en écriture explicité plus loin (section 2.4).

The Social Environment

The audience Collaborators

The text so far The composing medium

The Physical Environment THE TASK ENVIRONMENT

THE INDIVIDUAL

Motivation/ Affect

Goals Predispositions Beliefs and Attitudes Cost/Benefit Estimates Cognitive Processes Text Interpretation Reflection Text Production Working Memory Phonological Memory Visual-Spatial Sketchpad Semantic Memory Long-Term Memory Task Schemas Topic Knowledge Linguistic Knowledge Genre Knowledge Audience Knowledge

De plus, Hayes remarque qu’une anxiété scripturale est plus présente chez les scripteurs qui se perçoivent comme faibles et qui considèrent l’écriture comme un don, une conception de l’écriture venant nuire à son apprentissage, comme le souligne également Barré-De Miniac (2002).

S’ajoutant à cela, vu le contexte de notre étude, il apparaît pertinent de considérer plus particulièrement certaines particularités de l’écriture en L2. En effet, il est impossible de passer outre la forte dimension socioculturelle que revêt l’écriture. Ainsi, lorsqu’il est question de l’enseignement de l’écriture en L2, il est important de prendre en considération d’autres facteurs, un apprenant bilingue étant différent d’un apprenant monolingue. Par exemple, lors de leur apprentissage de l’écriture en L2, les élèves ont besoin d’« une exposition accrue à la langue de scolarisation » (Armand, Lê, et al., 2011, p. 10) et ont besoin que soit pris en compte leur bagage de connaissances antérieures (Genesee, Geva, Dressler, & Kamil, 2006) ainsi que leur bagage linguistique et culturel (Grant, Wong, & Osterling, 2007; Leki, Cumming, & Silva, 2008).

De plus, certains élèves apprenant le français L2 peuvent avoir un rapport conflictuel à la langue et à l’écriture, qui sont porteuses de grands enjeux sociaux et scolaires (Perregaux, 1997). En effet, chez ces élèves, l’apprentissage du français peut représenter à la fois un lieu de conflit culturel, lorsque l’écriture n’est pas partie prenante de leur milieu familial, et un lieu de conflit symbolique, lié au sentiment d’être socialement inférieurs aux individus maîtrisant l’écriture dans la langue de scolarisation.

Par ailleurs, des tendances propres à la recherche sur l’écriture en L1 et en L2 sont observables. Les recherches sur l’écriture en L1 mettent souvent l’accent sur les processus cognitifs et psycholinguistiques reliés à l’enseignement de l’écriture, alors que

les recherches en L2 focalisent davantage sur les dimensions sociologique, représentationnelle et motivationnelle de cet enseignement (Leki et al., 2008). La présente recherche s’inscrit dans le cadre de cette seconde tendance en s’intéressant au RÉ et à l’engagement en écriture en L2 d’élèves immigrants allophones en situation de grand retard scolaire, et ce, dans le contexte d’une intervention novatrice sortant du cadre d’un enseignement traditionnel de l’écriture.

2.1.2. Des pratiques traditionnelles aux pratiques innovantes