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Chapitre 2. Cadre conceptuel

2.1. L’enseignement de l’écriture en L2

2.1.5. Un déclencheur à l’écriture de textes identitaires plurilingues : les ateliers

Comme nous l’évoquions précédemment, la mise en place des ateliers d’expression théâtrale plurilingues constitue un élément clé de l’intervention mise en place dans la vaste recherche-action. Il s’avère pertinent de les décrire un peu plus en profondeur afin de bien comprendre le contexte de notre recherche et la manière dont ces ateliers peuvent être arrimés à l’écriture de textes identitaires plurilingues. Dans les sections suivantes sont donc présentés l’ancrage théorique des ateliers d’expression théâtrale plurilingues, une description de ces ateliers et de leur déroulement ainsi qu’un résumé des résultats découlant de leur mise en œuvre par le passé auprès d’élèves immigrants allophones en situation de grand retard scolaire au secondaire.

2.1.5.1. Fondements

D’une manière générale, les ateliers d’expression théâtrale plurilingues s’inscrivent dans la lignée des approches didactiques favorisant la valorisation et l’exploitation de la créativité des élèves à travers des formes d’expression théâtrale, de telles approches étant reconnues pour favoriser l’apprentissage d’une L2, notamment en classe d’accueil (Clerc, 2008), entraîner le développement de l’empathie et de compétences interculturelles (Aden, 2008) et redonner du sens à l’acte d’apprendre (Aden, 2009).

En ce qui a trait plus spécifiquement aux ateliers d’expression théâtrale plurilingues, ces fondements généraux se voient précisés par des fondements spécifiquement liés aux équipes ÉRIT13 et ÉLODiL14, qui « misent toutes deux sur la relation entre l’émotion et l’apprentissage, mais se centrent sur des dimensions différentes de cette relation »

13 Équipe de recherche en intervention transculturelle 14 Éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique

(Armand et al., 2013, p. 39) pour favoriser l’apprentissage scolaire des élèves en général et, plus précisément, des élèves immigrants allophones nouvellement arrivés en situation de grand retard scolaire. Ces équipes mettent également de l’avant l’importance de la mise en place d’un contexte signifiant d’apprentissage lors des ateliers d’expression théâtrale plurilingues. Ainsi, les thèmes y étant abordés sont en lien avec les expériences des élèves.

Par ailleurs, en se basant sur les travaux de nombreux chercheurs (voir les recherches d’Howard, 1991; Barudy, 1988; Costa et al., 1989; Golub, 1989; Lopez et Saenz, 1992; Lykes et Farina, 1992; Miller et Billing, 1994, cités dans Rousseau et al., 1999), l’équipe ÉRIT souligne l’importance de l’expression créatrice chez les élèves pour favoriser leur

empowerment15 et faciliter leur affirmation identitaire ainsi que la transition et l’adaptation à un nouvel environnement, et ce, en accordant un sens aux traumatismes vécus par le passé (Rousseau, Bagilishya, Heusch, & Lacroix, 1999; Rousseau et al., 2006). L’empowerment est défini par l’Office québécois de la langue française (2003) comme un

processus par lequel une personne, ou un groupe social, acquiert la maîtrise des moyens qui lui permettent de se conscientiser, de renforcer son potentiel et de se transformer dans une perspective de développement, d’amélioration de ses conditions de vie et de son environnement. (http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/, site consulté le 4 septembre 2013)

Enfin, l’aspect plurilingue des ateliers est associé à l’équipe ÉLODiL, qui s’inscrit dans la lignée de l’approche Éveil aux langues développée, au départ, par Éric Hawkins en 1980 en Grande-Bretagne. Se référant aux travaux de Candelier (2003), Perregaux et al.

15 Le terme peut être traduit par le terme « autonomisation ». Néanmoins, à nos yeux, cette traduction

française ne rend pas justice au concept auquel elle est reliée. De ce fait, à l’instar de certains chercheurs francophones, tels que Nathalie Auger, professeure-chercheuse spécialisée en sociolinguistique et en didactique des langues, nous choisissons d’utiliser le terme « empowerment » dans la présente étude.

(2003) et Cummins (2009), l’équipe ÉLODiL prône l’ouverture au plurilinguisme et la légitimation de l’usage des L1 en classe afin de permettre à tous les élèves de s’exprimer de manière à encourager une construction identitaire harmonieuse, l’expression et la participation des élèves en classe, en contribuant du fait même à leur empowerment (Armand et al., 2008).

2.1.5.2. Description et déroulement

Implantés par une équipe multidisciplinaire, les ateliers d’expression théâtrale plurilingues ne constituent ni un lieu de performance, ni une thérapie. Vu leur aspect ritualisé et les trois « règles d’or » encadrant cette activité, soit l’écoute, le respect et la confidentialité, ils constituent plutôt, pour les élèves, un espace propice pour l’expression d’histoires et des émotions y étant reliées (Armand et al., 2013).

Les ateliers d’expression théâtrale plurilingues sont toujours introduits par un rituel d’ouverture permettant aux élèves d'effectuer la transition entre la vie scolaire habituelle et les ateliers. Ensuite, les élèves participent à divers jeux et réchauffements, qui visent à établir dans la classe un climat de plaisir ainsi qu’une dynamique de groupe marquée par une complicité et une confiance entre les participants. Puis, suivent les exercices théâtraux, qui ont pour but de présenter aux élèves certaines techniques propres au théâtre afin de leur donner des outils pour s’exprimer, par exemple par le biais de tissus ou de la technique de la « photo », « qui fige les jeunes dans un mouvement représentatif de l’histoire [racontée] » (Armand et al., 2013, p. 42). Ces exercices se veulent également un moyen d’ouvrir les élèves à la diversité linguistique, entre autres en les amenant à

découvrir et à prononcer certains mots dans diverses langues, et de légitimer l’utilisation des L1 des élèves en classe.

Par la suite, les ateliers théâtraux en eux-mêmes ont lieu. En sous-groupes, chaque élève raconte une histoire portant sur le thème de l’atelier (exemples : les cérémonies, le voyage, etc.). L’une des histoires racontées est alors choisie pour être présentée, sous différents formats, par les membres du sous-groupe devant les autres élèves de la classe. Lors de la représentation de ces histoires, les élèves sont libres de s’exprimer dans la langue de leur choix pour dire quelques mots ou quelques phrases, en offrant, selon les besoins, une traduction de leurs propos en français. Enfin, un rituel de fermeture clôt chacun des ateliers et permet de « contenir » ce qui y a été partagé de façon confidentielle afin que les ateliers restent un espace différent de celui du quotidien de la classe.

2.1.5.3. Résultats

À la suite d’une recherche ayant eu lieu au cours de l’année scolaire 2009-2010 dans quatre classes d’accueil au secondaire en milieu pluriethnique montréalais, notamment auprès d’élèves en situation de grand retard scolaire (deux groupes expérimentaux, n=27, et deux groupes contrôles, n=28), plusieurs résultats positifs relatifs à la mise en œuvre des ateliers d’expression théâtrale plurilingues ont été constatés (Armand et al., 2013; Armand, Rousseau, et al., 2011; Rousseau et al., 2011). Tout d’abord, tel qu’il a été dit au chapitre précédent, ces ateliers stimulent l’engagement des élèves dans leur apprentissage et entraînent le développement d’un meilleur rapport à la langue orale et d’un sentiment d’efficacité personnelle par rapport à l’apprentissage de celle-ci.

Par ailleurs, les ateliers d’expression théâtrale plurilingues font en sorte que les élèves développent une plus grande confiance en eux-mêmes et permettent l’établissement d’une dynamique de groupe positive, marquée par la solidarité, le respect, l’empathie et la prise de conscience du rôle du français comme langue commune de communication. Cette dynamique entraîne chez les élèves une reconfiguration de la relation à soi-même et aux autres qui les conduit à trouver leur place au sein du groupe. Bref, une base affective soutient alors l’apprentissage de la L2 chez les élèves, cette base affective s’avérant plus solide chez certains. Il est à noter que les résultats ici exposés sont significatifs dans la mesure où ils ont été observés en comparaison avec un groupe contrôle. Toutefois, leur généralisation est impossible vu le petit échantillon d’élèves ayant pris part à la recherche.

Les retombées positives des ateliers d’expression théâtrale plurilingues sur le plan de l’apprentissage de la langue orale incitent des chercheuses à s’interroger sur leurs potentielles répercussions bénéfiques sur un autre aspect de l’apprentissage du français chez les élèves en situation de grand retard scolaire, l’écriture (Armand et al., 2012- 2015). En effet, lors de tels ateliers, en s’exprimant sur des thèmes reliés à leur vécu tout en étant soutenus affectivement, les élèves produisent à l’oral, de façon embryonnaire, un texte identitaire. De plus, les deux principes clés de l’enseignement de l’écriture en L2 présentés précédemment au sein de cette section sont partie intégrante des ateliers d’expression théâtrale plurilingues exposés précédemment. D’une part, ces ateliers correspondent à un contexte signifiant d’apprentissage dans la mesure où ils permettent, entre autres, la narration à l’oral de l’histoire familiale et abordent des sujets signifiants reliés aux expériences personnelles des élèves. D’autre part, en légitimant l’usage des L1

des élèves en classe, ils sont marqués par une ouverture au plurilinguisme favorisant l’expression de soi.

Ainsi, ces ateliers, lorsque mis en place en tant que déclencheurs de l’écriture de textes identitaires plurilingues, apparaissent comme un moyen possible de favoriser à la fois l’apprentissage de l’oral et de l’écrit chez les élèves immigrants allophones nouvellement arrivés en situation de grand retard scolaire, et ce, à travers le transfert de l’engagement des élèves d’une modalité de communication à l’autre grâce au développement, entre autres, d’un engagement dans l’écriture et d’un rapport « positif » à la langue.

Puisque crucial dans le contexte de la présente étude, le concept d’engagement, majoritairement développé dans le cadre de recherches en milieu anglophone, est discuté à la section suivante.