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Deuxième partie

CH 4. DE LA CATÉGORIE D’ « ADJECTIF » EN KONKOMBA 258 CONCLUSION 263

2. La notion de mot. Choix terminologiques

2.1. Polysémie du terme « mot ».

« Dès qu’on essaye de cerner le concept de mot de plus près, on se rend immédiatement compte du fait que le terme de mot lui-même est ambigu et vague en même temps » (MEL’ČUK, 1993 : 97).

Il est souvent difficile de s’entendre sur le nombre de mots dans une phrase, encore moins de s’entendre sur l’existence d’une structure interne du mot, bien que la notion soit familière :

« Although the word is a unit which is familiar in our culture, the notion it has an internal structure is not » (MATTHEWS, 1991: 9).

Tous les linguistes reconnaissent que la définition scolaire de « mot » ne correspond pas à une analyse fiable, ne serait-ce que parce qu’elle est, chez les non linguistes, associée à des habitudes d’écriture et de prononciation. Les modèles linguistiques ont dû faire appel à un ensemble de concepts opératoires, à une terminologie adéquate, qui ne cesse d’évoluer, pour des analyses rigoureuses. Ainsi, les fonctionnalistes partent de la notion de monème. Pour eux, le monème est une unité minimale significative, pourvue d’une forme vocale et de signification. Ceci étant, la notion de « mot » reste encore problématique à bien des égards chez les linguistes eux-mêmes.

Du point de vue fonctionnaliste, s’il est vrai qu’un mot peut parfois apparemment coïncider avec la notion de monème, il n’est pas exact que les deux notions puissent être synonymes :

« Les deux renvoient à la notion d’unité significative fondée sur l’association d’une forme et d’un sens, mais les points communs s’arrêtent là. Le monème est une unité significative qui est minimale et qui présente un signifiant phonique. Le mot est une unité significative qui, selon les cas, est minimale ou bien non minimale » (BUILLES, 1998 : 30).

Le point de vue de Denis Creissels permet de préciser la définition proprement morphologique de la notion de mot. Pour lui, les mots

« se caractérisent par un fort degré de cohésion interne, et une relative autonomie par rapport aux autres mots, ce qui incite à penser que les régularités concernant les combinaisons d’unités de rang inférieur au mot ne sont pas de même nature (et donc ne relèvent pas des mêmes techniques d’analyse et de description) que celles concernant les combinaisons de mots en unités de rang supérieur » (CREISSELS, 2006a : 12).

C’est également la position soutenue par Jean-Yves Urien :

« Nouvelles frontières, dont le critère est l'autonomie, où la question qui se pose n'est plus : Que puis-je changer au minimum? mais bien : Que puis-je retrancher ou ajouter au minimum ? La réponse définit l'unité désormais indécomposable, "l'atome" - au sens étymologique - du dicible. La limite n'est plus entre deux éléments minimaux exclusifs l'un de l'autre (identités), mais entre deux éléments minimaux indépendants l'un de l'autre de telle sorte que la soustraction de l'un n'empêche pas l'existence de l'autre. À contrario, si un essai de division d'un message aboutit à ce que la portion

restante ne puisse plus se dire toute seule, on en conclura qu'il ne s'agit pas d'une unité segmentale mais d'un fragment d'unité » (URIEN, 1989 : 81).

2.2. Mot, mot-forme et lexème.

Denis Creissels précise que l’on peut utiliser le terme de « lexème » :

« pour se référer spécifiquement à ce qui est commun à un ensemble de mots regroupés sous une même entrée lexicale ». (Plutôt que de dire « ‘dors’ et ‘dormez’ sont deux formes du même mot »). Et que l’on peut utiliser le terme de « mot-forme pour se référer au mot en tant que séquence de phonèmes ou de lettres » (CREISSELS, 2006a : 11). (Plutôt que : « le mot ‘dormez’ comprend deux syllabes »).

Soient les deux formes suivantes : (3) kίdi « maison » (4) tίdιrι « maisons »

Ce sont deux mots-formes dans la langue, relevant d’un même lexème, qui véhicule le sens lexical - exprimé par le radical - celui du signifié « maison/chambre ».

Sur cette base, la notion de lexème apparaît comme une notion abstraite, qui ne se rapporte pas à une occurrence particulière de mot, mais qui réfère à un ensemble de mots partageant une même valeur sémantique,

« the word in the sense of abstract vocabulary item » (KATAMBA, 1993: 17).

Par contre les mots-formes, en anglais word-forms, sont caractérisés, comme on vient de le voir avec l’exemple précédent, par ceci:

« they all share a core meaning although they are spelled and pronounced differently » (KATAMBA, 1993: 18)

Igor Mel’čuk adopte aussi cette terminologie, et distingue d’une part le mot-forme qu’il appelle (Mot1) du lexème (Mot2) :

« le mot-forme est une entité concrète, un élément spécifique, une unité textuelle » (MELCUK, 1993 : 99).

« une entité abstraite … un ensemble d’éléments spécifiques ayant un “noyau” commun sur le plan sémantique. C’est une unité lexicologique » (MEL’ČUK, 1993 : 99).

Le lexème regroupe alors un ensemble de mots-formes, unis par une même valeur sémantique ; une conception qui rejoint celle de Denis Creissels.

Comme on le voit, la notion de lexème prend un sens différent de celui que lui confère le fonctionnalisme : celui d’élément qui appartient au fond lexical d’une langue, d’un inventaire « ouvert », décelable dans différents mots pourtant unis par un même signifié. Le lexème est alors opposé aux morphèmes, éléments grammaticaux, d’inventaire « fermé » dans chaque langue. Le morphème tel que défini ici s’oppose à son tour à l’acception qu’en donne la linguistique américaine, à savoir toute unité minimale porteuse de signification ; ce qui revient à dire que lexèmes et morphèmes – autrement dit les « monèmes » des fonctionnalistes – peuvent se traduire par « morphems » dans la tradition américaine.

Pour notre part, nous suivrons la terminologie fonctionnaliste, parce qu’elle permet de désigner distinctement par les deux termes de morphème et de lexème deux types d’élément dont le fonctionnement morphologique est bien différent. Ceci n’empêche pas qu’il sera nécessaire de relier la notion de lexème à celle de radical, et celle de morphème à celle d’affixes.

2.3. Mot, constituant, base et affixes.

Dans le numéro 7 d’Afrique et Langage (HOUIS, 1977), Maurice Houis présente la structure du mot dans les langues négro-africaines ; celle-ci est restée depuis classique dans la description des langues Gur. Emilio Bonvini y recourt à propos du kàsim. On en trouve un exposé sommaire dans Systèmes verbaux29 (BENTOLILA, 1998). La structure d’un mot est la suivante :

X Lexème (± n dérivatif(s)) + morphème(s) majeur(s)

Nous adopterons une formulation voisine. Sera considéré comme un mot, l’ensemble formé par un lexème associé aux morphèmes qui sont grammaticalement nécessaires pour construire un « constituant simple », (Takassi, 1996 : 402), apte, à lui seul, soit à désigner (à attirer l’attention de quelqu’un sur quelque chose), soit à prédiquer. Le lexème occupe la

29 BONVINI Emilio, 1998b, « Le système verbal du kàsim : un dispositif de prise en charge du procès », in Fernand Bentolila (Éd.), p. 177-196.

position centrale de radical. Il peut être complété par un ou des morphèmes dérivatifs. L’addition du lexème et des dérivatifs (hors flexion) constitue la base. Le constituant simple suppose aussi un système d’affixes, les « morphèmes majeurs » (HOUIS, 1977), nominants ou verbants, qui sont soit préfixés, soit suffixés à la base, ou les deux. On obtient ainsi un mot de type nominal ou verbal. Claude Hagège précise que le rôle de ces déterminants est d’opposer « par les lois combinatoires, le nom au verbe » (HAGEGE, 1982 : 77).

Voici quelques exemples de structure de mot nominale.

(5) u- -kpadan riche (SING)

Préfixe (nominant) Base = Radical

bι- -kpadan- -b riches (PL)

Préfixe (nominant) Base = Radical Suffixe (nominant)

(6) lι- -o- -lι montagne (SING)

Préfixe (nominant) Base = Radical Suffixe (nominant)

ŋ- -o- montagnes (PL)

Préfixe (nominant) Base = Radical

(7) bι- - dιma: + li -b maçons (PL)

Préfixe Base = Radical + Dérivatif Suffixe

= BASE

Dans le cas du konkomba, l’affixation flexionnelle se réduira pratiquement aux préfixes et suffixes.

Une dernière précision sur l’approche globale qui sera celle qui va suivre consiste à rappeler que la morphologie n’est qu’un palier de la description linguistique. Dans une description synchronique, il serait impossible de l’envisager hors de ses rapports avec les autres paliers : beaucoup de phénomènes morphologiques ne sont par exemple explicables que par rapport à la phonologie et à la sémantique ; ce qui fonde cette précision de Francis Katamba :

« Morphology is like a bridge that links the other modules of the grammar. It is therefore necessary to examine morphology not in isolation, but in relation to the other modules. Morphology interacts with both phonology and syntax as well as semantics. So it can only be studied by considering the phonological, syntactic and semantic dimensions of words » (KATAMBA, 1993: 10).