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Deuxième partie

CH 4. DE LA CATÉGORIE D’ « ADJECTIF » EN KONKOMBA 258 CONCLUSION 263

2. Les marqueurs de classe

2.5.2. Le gouvernement tonal

Il faut aussi remarquer, de façon générale, qu’un ton haut au niveau du préfixe exclut systématiquement le ton bas dans la syllabe qui suit immédiatement. Le ton qui suit est soit haut, dans la majorité des cas, soit moyen ; au singulier comme au pluriel. La langue n’accepte donc pas deux tons extrêmes adjacents (haut et bas) entre un préfixe à ton haut et le début du radical qui suit. Il va sans dire qu’avec le préfixe /kί/, le ton bas est sans cesse renvoyé – dans ces conditions - vers la fin des mots. Ce fait est d’une importance capitale.

Quant au ton moyen, dès qu’il se fait une place dans un mot, il se maintient coûte que coûte : la position est considérée comme définitive car dans le passage du singulier au pluriel, aucun autre ton ne peut occuper cette position. Il est donc possible de soutenir l’hypothèse selon laquelle la tonalité est un critère de délimitation morphologique du « mot ». Et cela nous a amené justement à traiter les mots de la langue selon que leurs préfixes de classe ont un noyau vocalique à ton haut ou à ton moyen ; le ton bas étant exclu au niveau des préfixes de classes. Ainsi, une construction morphologique nominale avec la consonne /k/ aura une forme du pluriel différente selon que le noyau vocalique du préfixe est de ton haut ou de ton moyen : /kί/ ≠ /kι/, comme nous l’avons vu. Cela est pratiquement systématique avec /k/ comme initiale du préfixe.

Cela revient à dire que, quand un mot – au niveau du radical comme du suffixe - se termine par un ton moyen au singulier, ce ton se maintient généralement au pluriel. Si le pluriel demande une modification, celle-ci portera sur les segments consonantiques et vocaliques qui seront affectés, et non sur les tons, car de toute façon, le ton moyen conservera toujours ses positions.

Singulier Pluriel Glose

(67) kί-bgbιι tί-bgbι-rι épaule

kί-cákpàŋ+ko tί-cákpàŋ+ku-rι poils de pubis

H H B M H H B M M

kί-pwatι-ŋι tί-pwatι-nι pubis

H M M M H M M M

kί-talaŋgban tί-talaŋgba-nι ciel

H M M M H M M M M

Ces exemples illustrent l’effet qu’exerce le ton moyen en finale de mot, que cette finale soit un radical ou un suffixe.

Même si l’un des deux autres tons intervenait après un ton moyen au singulier, le ton moyen maintiendrait toujours, au pluriel, les positions qu’il occupe dans le mot.

Singulier Pluriel Glose

(68) kί-jíkpupúu tί-jíkpupú-rι chapeau

H H M H M H H M H M

Le ton moyen est maintenu en troisième position et en finale, malgré le suffixe /r/ au pluriel. Dans les exemples qui suivent, il est maintenu, avec des contextes d’occurrence totalement différents.

(69) kί-nákumbùrὶ tί-nákumbùrὶ cerveau

H H M B B H H M B B

kί-náaŋìŋὶ tί-náaìnὶ chauve-souris

H H M B B H H M B B

On comprend qu’il y a lieu de reconnaître ici deux dispositifs : un dispositif morphologique qui repose sur les traits pertinents consonantiques, et un autre dispositif qui, lui, repose sur l’enchaînement ou la disposition des tons. L’exploitation morphologique que la langue fait du système tonal est donc différente de l’exploitation qu’elle fait des segments consonantiques quand ceux-ci jouent le rôle de marqueurs de classes.

Même si les tons sont des traits pertinents comme les autres, en ce sens qu’ils relèvent du critère de pertinence au même titre que les autres, il convient de considérer deux niveaux d’analyse, pour traiter les tons comme fonctionnant sur un palier à part, différent du palier segmental. En d’autres termes, il convient de considérer les tons comme des éléments suprasegmentaux qui caractérisent chacun des phonèmes vocaliques, un par un. Une voyelle

longue donnée compte pour deux positions susceptibles de deux unités tonales, donc de recevoir deux tons différents ou un même ton qui s’étale sur la durée de la voyelle. Ainsi, la longueur vocalique est à interpréter comme une gémination susceptible de recevoir deux niveaux de tons différents. Nous en donnons une représentation autosegmentale à partir d’un exemple. Nous nous appuyons sur la représentation autosegmentale de John Goldsmith, telle que présentée par Michael Kenstowicz :

“Goldsmith saw that many of the puzzling properties of tone can be explained if this ban of feature overlap is relaxed. In particular, he proposed that the information representing a HL word be displayed on two separate levels or tiers: a tonal tier consisting of the linear sequence of tones and a segmental tier consisting of the sequence of phonemes. Both the tonal tier and the segmental tier consist of a series of feature sets ” (KENSTOWICZ, 1995: 315).

(70) Singulier Pluriel

kί- jí kpu púu tί jí kpu pú rι

V V V V V V V V V

H H M H M H H M H M

On se rend compte que la voyelle longue du singulier, qui porte ici deux tons (haut et moyen), occupe bien deux positions ; la seconde position – qui est vide au niveau syllabique – forme une syllabe au pluriel. Il s’en suit que le nombre de syllabes que compte le mot au pluriel est fonction du nombre de tons en jeu dans la construction morphologique du mot au singulier.

Voici quelques exemples qui prouvent l’inviolabilité de la position occupée par un ton moyen à l’intérieur du mot.

(71) kú kú rι tί kú rι fer H H M H H M (72) kú ku rι tί ku rι moule (animal) H M M H M M (73) kί da bú mι tί da bún nι fusil H M H M H M H M (74) kί ná kum bù rὶ tί ná kum bù rὶ « cerveau » H H M B B H H M B B

Que le ton final soit donc en finale absolue (une seule position –(71)- ou deux positions –(72), entre deux tons haut (73) ou qu’il soit suivi d’un ou de plusieurs positions de ton bas (74), il conserve la ou les positions au pluriel.

On pourrait dire, au vu des exemples qui précèdent que, dans le passage du singulier au pluriel, les réalisations tonales s’opèrent comme si les segments consonantiques et vocaliques n’existent pas ; de là « une certaine perméabilité ». Ce qui confirme le fait qu’il s’agit des autosegments qui fonctionnent sur des plans totalement différents : un plan tonal « tonal tier » et un plan segmental « segmental tier » (KENSTOWICZ, 1995 : 315).

Ainsi, à partir de la structure tonologique d’un mot donné au singulier, il est tout à fait possible d’inférer la structure tonologique de ce mot au pluriel. Sur cette base, le ton peut apparaître comme prévisible ; et, comme nous le verrons au niveau du verbe, on peut même parler de « syntaxe » tonale. Si au niveau phonologique, le ton joue un rôle différentiel en plus des consonnes et des voyelles grâce au critère de pertinence, il est possible de dire que dans le marquage de classes, si les consonnes et les voyelles sont sans cesse soumises à des variations/alternances au niveau phonématique, les tons semblent là pour contrôler une certaine stabilité prosodique via, lui-même sa propre stabilité d’une part, et d’autre part, via la dissociation ou l’éclatement qu’il impose à la longueur vocalique qui apparaît comme une géminée, chacune avec son ton propre. Mais cette autre fonction mérite qu’on l’envisage par la suite par rapport au système de la langue en général.