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CH.3. LA MORPHOLOGIE VERBALE

1. Le verbe au sein de l’énoncé

2.3. Les bases monosyllabiques

Plus de la moitié des verbes konkomba (56%) ont, à l’impératif, une forme monosyllabique (du point de vue des segments phonologiques). La plupart conservent cette structure monosyllabique dans leur conjugaison.

X Impératif Imperfectif Perfectif Glose

(139) jè je jéè peler

lí le lí/líì libérer

ma mà ma construire

la la lá rire

Peut-on déceler ici la présence d’un dérivatif ? On s’attend à ce que le dérivatif soit suffixé au radical. Rappelons toutefois qu’il « fait corps avec le lexème et forme avec lui un ensemble unitaire. C’est pour désigner cette compacité que Maurice Houis a proposé de désigner la séquence « lexème + dérivatif » par le terme de base verbale » (BONVINI, 1988a : 51). Le dérivatif pourrait donc ne pas se manifester par une syllabe de plus, mais être plus ou moins amalgamé au radical. L’exemple du causatif ncàm cité plus haut (ka / kàn ) présente un tel cas d’allongement vocalique et de nasalisation. Qu’en est-il dans le cas du konkomba où le même procédé s’observe ?

Les variations tonales et les apophonies (modifications vocaliques dans un radical) que l’on y observe n’ont jamais de signification « dérivationnelle » en konkomba. D’abord, elles sont obligatoires, et non facultatives. Ensuite, ces oppositions sont généralisables à l’ensemble des verbes, alors qu’une dérivation n’affecte que des sous-ensembles de verbes. Enfin, la signification du lexème reste constante, alors qu’elle varie dans un fait de dérivation. Comme la glose l’indique, ces variations sont totalement imputables à la flexion aspectuelle. Il est donc clair que ces bases verbales sont simples et ne présentent pas de morphème de dérivation. Le constituant verbal est réduit à un radical, porteur du lexème et du verbant. Nous expliciterons ultérieurement avec plus de précision comment s’expriment les verbants.

Par ailleurs, certains lexèmes « excluent toute dérivation de base. Il s’agit des copulatifs qui ont pour fonction d’unir deux nominaux en relation attributive ou situative » (BONVINI, 1988a : 51). (On a l’exemple de /kpa/ « avoir, posséder » qui est monosyllabique.

(140) u kpa nnὶmbίlι ŋὶlε « Il a deux yeux ».

il avoir yeux deux

PRON STATIF NOM NUMERAL

Généralement donc, la structure syllabique permet d’identifier le radical verbal. Toute syllabe de structure /CV:/, y compris avec voyelle finale nasalisée, est radicale :

Impératif Glose Impératif Glose

(141) gí:n ramener a: griffer

RAD RAD

Il faut cependant remarquer aussi que certains copulatifs peuvent présenter une seconde syllabe, qui pourrait a priori être analysée comme un suffixe. Ainsi la forme /jί/ dans l’exemple suivant :

(142) ub sán kίwaŋku: « Le chien est un animal »

chien être animal

NOM COPULE NOM

Cette observation peut servir de transition avec la suite. Dans cet exemple, la forme dissyllabique ne peut pas être « dérivée » d’une forme plus simple, et sa signification est seulement celle d’une copule.

2.4. Le statut des bases dissyllabiques en konkomba. Les « pseudo-dérivatifs ».

Le corpus présente un sous-ensemble de verbes qui sont dissyllabiques à la forme de base (celle qui est hors aspect). Peut-on donner à la seconde syllabe une valeur dérivationnelle ? S’agit-il de racines lexématiques construites sur deux syllabes ? S’agit-il d’un suffixe de type « morphème vide »47 ?

Impératif Imperfectif Perfectif Glose

(143) fárί fárὶ fárὶ gratter le sol

pálί pálὶ pálί traire le lait

súnί súnί súnὶ oublier

fίnί fίnί fίnὶ laver

47 Cette notion, chez Igor MEL’čUK, (1997, vol.4) désigne un affixe obligatoire pour la construction d’un mot-forme, mais qui a une signification « vide ». Le terme semble emprunté à C. F.Hockett (1947) : « empty morphs ». Cf. Mark ARONOFF 1994, Morphology by itself, p. 44-45. En latin, la voyelle thématique de « cant-a-re / cant-a-b-ant » est un morphème « vide », intermédiaicant-a-re entcant-a-re la racine et le suffixe. La situation semble différente en konkomba.

n njὶ njί appeler gbὶrὶ gbὶrὶ gbιrὶ troubler

À cet ensemble s’ajoutent les quelques verbes qui passent d’une structure dissyllabique à l’impératif à une structure trisyllabique à l’imperfectif.

Impératif Imperfectif Glose

(144) bwalὶ bwalεndε cacher

dίŋί dίŋίdε ralentir

fίlί fὶlὶndε se laver

D’un point de vue morphophonologique, on voit que les phonèmes qui constituent cette syllabe finale sont très restreints. On a affaire à un ensemble d’ « allomorphes » où :

– l’attaque est très généralement représentée par les consonnes /l /, /r/ ; la semi-consonne /j/, (78 verbes sont concernés). On trouve aussi la nasale /n/ (avec une dizaine de verbes) et l’occlusive /d/ ; cette occlusive permet aussi à certains verbes de passer de deux à trois syllabes à l’imperfectif.

– le noyau vocalique bref est toujours et seulement la voyelle relâchée /ι/, (et dans les derniers exemples l’autre voyelle relâchée /ε/).

L’ensemble recoupe globalement les suffixes des nominaux, la majorité étant en rapport avec le point d’articulation alvéolaire.

Au contraire, on voit que la première syllabe exploite beaucoup plus d’oppositions vocaliques, notamment les brèves tendues (de type [+ATR]) et les voyelles longues. C’est dire aussi que, sur l’ensemble de la langue, il n’existe pas de flexif ni de dérivatif avec un noyau vocalique long ; autrement dit, tout noyau vocalique long fait partie d’un radical verbal. La structure morphologique verbale recoupe alors, sur ce point précis, la structure nominale.

La structure de la base montre les différences suivantes.

2.4. 1. Base disyllabique constante. Bases parisyllabiques.

Dans la plupart des cas (80 verbes environ), cette structure dissyllabique des segments ne varie pas dans le paradigme verbal. Le verbant est marqué autrement. La seconde syllabe n’a donc pas alors de fonction flexionnelle. Des verbes trisyllabiques sont attestés. Il s’agit notamment de verbes qui expriment l’inversif : ils montrent qu’un procès donné peut être

envisagé, par rapport à un même radical, dans le sens contraire. Nous traitons de ces verbes en

2.5. 2.

– Vérifions maintenant si l’on peut apparier deux verbes, l’un monosyllabique et l’autre dissyllabique, et envisager que le second soit dérivé de l’autre ?

On trouve ainsi, si l’on respecte la tonalité de la voyelle initiale : (145) /fu:/ « se chausser » /fu:lὶ / « siffler » ;

/fú:/ « arriver » /fú:rί/ « se déchausser » /ŋá/ « faire » /ŋálί/ « pédaler » ; /pà/ « payer » /pàkὶ/ « féliciter » /pu:/ « s’éclater » /pu:rι/̀ « décortiquer ». /té:/ « quitter » /té:rί/ « se rappeler ».

Pas grand-chose ne justifie l’hypothèse d’un fait de dérivation. D’autant que l’exemple du ncàm laissait prévoir une certaine stabilité dans cette dérivation dans les langues gur : inchoatif, causatif, répétition de l’action, etc.

Une opposition émerge cependant, avec un changement tonal (M > H) :

/fu:/ « se chausser » /fú:rί/ « se déchausser »

On retrouve ici la dérivation « inversive » qui produit l’antonyme d’un concept. C’est l’un des exemples nets que nous ayons trouvés qui autorise à donner au suffixe /-rί/ le statut de « dérivatif », dans le sens de morphème de dérivation.

Peut-on aussi voir une dérivation « causative » dans le passage de /pu:/ « s’éclater » à /pu:rι/̀ « décortiquer », à entendre comme « faire éclater » ? Il faudrait vérifier si le locuteur a conscience d’un tel rapprochement. Ce qui n’est pas le cas.

– Vérifions aussi si l’on peut apparier deux verbes dissyllabiques où l’opposition suffixale aurait une signification dérivationnelle. (Cf. l’inversif en ncàm : /pɔ́tί/ « déballe » ; /póbί/ « emballe », (TAKASSI, 1996, T. 1 : 169) (avec apophonie et allongement vocalique). Le corpus présente les paires suivantes, de même schéma tonal :

/pálί/ « traire », /párί/ « faire signe du doigt » ; /púlί/ « rôtir », /púrί/ « vieillir » ; /ŋàlὶ/ « pédaler », /ŋàbὶ/ « arracher » ; /súnί/ « oublier », /súrί/ « reculer ».

Et avec des schémas tonals différents, on relève un plus grand nombre d’oppositions : /bίlί/ « déposer » ; /bίrί/ « effacer », /kpίnί/ « bouillir » /kpὶrὶ/ « briser », etc.

Il n’est jamais possible de donner une valeur dérivationnelle à de telles oppositions. On a affaire à des lexèmes différents, sans apparentement sémantique. (Même si l’on peut toujours imaginer certains rapprochements relevant du jeu de mot).

2.4. 2. Base dont le nombre de syllabes change. Bases imparisyllabiques48.

On observe dans un ensemble de verbes que le nombre de syllabes change entre l’impératif d’une part et l’imperfectif (146) ou le perfectif (147) de l’autre. Il passe le plus souvent de une à deux syllabes.

(146) IMP IPF PF pán pándε páàn élever gbe gbèrὶ gbè toucher jè jèlὶ jè refuser (147) IMP IPF PF b bu: búnjί charlater c cáà curὶ aller k k kùnjι cultiver l l lùnjι tresser

a e ánjί sortir

njὶ payer

s s sùnjὶ voler

Un groupe de verbes passe de deux à trois syllabes, toujours à l’imperfectif :

(148) IMP IPF PF

bwalὶ bwalεn bwálὶ cacher bίlί bίlίndε bίlὶ déposer dίŋί dίŋίdε dίŋὶ ralentir

48 Les termes « parisyllabique » et « imparisyllabique », empruntés à la tradition grammaticale latine, sont pris dans leur sens littéral. On ne préjuge pas du rôle que joue la permanence ou le changement du nombre de

fίlί fὶlὶndε fὶlι se laver

kpálὶ kpálίndε kpálὶ s’agiter

Le suffixe joue clairement alors une fonction de verbant. On ne peut lui donner aucune signification dérivationnelle. On a affaire à la même base. Ce sont des flexifs suffixés à la base et non internes à cette base, comme le serait un morphème de dérivation.

Cette étude des verbes imparisyllabiques confirme les résultats des verbes parisyllabiques. Ou bien la seconde syllabe est un suffixe verbant, ou bien il est vide. Il n’est presque jamais dérivationnel.