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Statut morphologique des composants du nom en konkomba

Deuxième partie

CH 4. DE LA CATÉGORIE D’ « ADJECTIF » EN KONKOMBA 258 CONCLUSION 263

3. Synthèse. La structure nominale en konkomba

3.2. Statut morphologique des composants du nom en konkomba

L’analyse qui a précédé a permis de distinguer, au niveau du nom, d’une part les affixes qui jouent le rôle de marqueurs, et d’autre part la base, simple, composée, ou incluant un dérivatif, qui véhicule le sens lexical des différents mots. L’ensemble de ces informations est nécessaire pour construire un nom. Au terme de l’examen de l’ensemble des genres, faisons le point sur le statut de ces composants du nom.

3.2.1. Les marqueurs de classe et de nombre. 3.2. 1.1. Des affixes.

Un faisceau de contraintes montre que ces morphèmes sont des affixes.

1) Non autonomie. Ces formes n’ont aucune autonomie. Il n’est pas possible de dire, tout seul, la forme /lι-/ ou /n-/, ou la forme /-mi / ou /-rι /, ni aucun des « marqueurs de classe » avec une valeur quelconque pouvant correspondre à un singulier ou à un pluriel. Le point difficile a été de bien distinguer entre un dérivatif et un suffixe. Par ailleurs, cela n’empêche pas beaucoup de marqueurs de porter une information sémantique générale. Mais il ne peut pas formuler celle-ci à lui tout seul. Cette forme ne se suffit jamais à elle seule. Il s’agit donc de formes « liées ».

2) Disposition fixe. La position des marqueurs de classe dans le mot nominal n’est pas libre ; elle ne peut figurer qu’en finale et à l’initiale, selon une distribution stricte. Ceci n’est pas évident pour la classe (singulier) marquée par /lι-…- lι/ puisque les mêmes phonèmes sont répétés. Mais cela le devient pour la classe du pluriel du même genre, et pour l’ensemble des autres classes. Deux cas se présentent.

- Le marqueur est un circonfixe (préfixe + suffixe). Il est impossible de les permuter. (106) n-dιpà-lὶ termitières * lὶ-dιpà-n

tί-o-rι soirs *rι-o-tί

- Le marqueur du pluriel est un préfixe. Il est impossible de le suffixer. X */ku- ŋ/ pour signifier les houes : /ŋ-ku/

X */dàfe-n/ pour signifier oreille : /n-dàfe/

3) Inséparabilité d’avec la base. Par ailleurs, aucun autre constituant (un autre nom, un adverbe), aucun autre morphème flexionnel ne peut s’intercaler entre la base nominale (radical + (éventuellement) dérivatifs) et les préfixes ou suffixes quand les noms les possèdent. Le présent raisonnement vaut pour l’ensemble des appariements identifiés dans le tableau 1. D’où notre choix d’uniformiser la présentation.

4) Phénomènes d’amalgame. L’étude des suffixes a montré que dans certains cas une alternance vocalique dans le radical formulait à la fois la permanence du même radical (le lexème est toujours reconnu comme le même), et les deux informations d’un marqueur de classe : le classement lui-même et le nombre. C’est le cas dans le genre VI.

(107) bί-dóò í-dwí néré/nérés

L’opposition de genre n’est pas véhiculée que par le changement de préfixe. Elle l’est aussi par l’inflexion de la voyelle longue du radical. Ceci montre une solidarité maximale entre le lexème et les morphèmes, typique d’une infixation.

Ceci vaut-il également pour les mots identifiés comme emprunts et qui présentent seulement un suffixe au pluriel ? Oui. Il n’est pas non plus possible de réaliser */ḿba/ avec pour signifié « pluriel » comme on peut le faire de /ŋ̀ká/ pour dire « orange ». Ce dernier élément est libre, et a statut de lexème, (et même de nom singulier dans ce cas précis), contrairement au premier qui est un morphème lié. Le test de permutation prouve que /-ḿba/ ne peut précéder le radical avec pour signifié « pluriel ». Le suffixe ne peut pas non plus être séparé de la base nominale par quoi que ce soit. Bref, il s’agit toujours, mutatis mutandis, d’un morphème suffixé.

Ainsi, les morphèmes identifiés comme marqueurs de classes sont des morphèmes liés, spécialisés, chacun en ce qui le concerne, dans une position donnée. Cette dépendance segmentale par rapport au radical leur confère le statut d’affixes.

3.2. 1.2. Des éléments flexionnels

Enfin, on est conduit à en faire des morphèmes flexionnels, et non dérivationnels, selon les critères les plus assurés de cette distinction. (Cf Creissels 2006a ou Mel’ čuk 1993). Tout d’abord, les marqueurs de classe jouent un rôle essentiel dans la syntaxe, comme nous le verrons. Or « seules les caractéristiques flexionnelles du mot peuvent intervenir dans la formulation de règles syntaxiques » (CREISSELS, 2006a : 15). Par ailleurs, ils répondent aux deux conditions principales qui définissent une catégorie flexionnelle selon Igor

Mel’čuk (1993 :263) : (1) « leur caractère obligatoire ». Tout nom est repéré comme appartenant à un genre défini, donc à deux classes définies. Même un nom d’emprunt (genre VIII), sans préfixe ni suffixe, est repéré comme un singulier, puisqu’au pluriel il présente un suffixe (-mba). De ce fait, il est mentalement mis dans une catégorie particulière, au même titre que tout nom. (2) « La régularité relative de leur expression »39. Le tableau de l’ensemble des classes est relativement simple, comparé aux possibilités plus ou moins régulières des dérivations. L’opposition de nombre est binaire. Enfin, les exemples qui présentent une base dérivée et un suffixe marqueur de classe montrent que le dérivé précède le marqueur de classe. Ex : Genre V, classe 10 :

(108) tί- jíkpu + pú -rι chapeaux.

PREF Rad Dériv SUF

Celui-ci commence et termine le mot nominal.

3.2. 1.3. Caractéristiques morphophonologiques des marqueurs de classe.

La structure syllabique de ces morphèmes est CV (avec V = -ATR), /ń/ (nasale syllabique), ou la voyelle /u/ au singulier.

Tous les phonèmes de la langue ne sont pas attestés comme initiale ou comme finale de nom dans la langue. Des consonnes surtout et quelques voyelles sont attestées dans ces positions. Parmi les consonnes on distingue : /b/, /k/, /l/, /N/, /r/, /m/, /n/, /j/, /t/ ; et les voyelles /u/ et /i/. Certains ne sont attestés qu’à l’initiale du singulier : /k/, /l/, /u/

À l’initiale du pluriel, on trouve : /t/, /i/, /N/, /b/ Initiale du singulier comme du pluriel : /N/

Finale singulier : /l/

Finale pluriel uniquement : /r/, /n/, /j/, /m/ Finale singulier comme pluriel : /l/, /r/

Initiale et finale pluriel : /b…b/

On obtient les appariements suivants, en tenant compte du ton :

H-ø -ḿba B-ø -m̀bá kM- NH- lH NH/NM lM- NM-/NH kH- tH- b- N- iH u- bM

On observe que les articulateurs labial et apical sont les plus sollicités dans l’affixation ; les autres points d’articulation n’entrent en jeu que dans la mesure où la nasale syllabique joue le rôle de préfixe, avec les processus d’assimilation que cela déclenche. On peut dire également que dans cette langue, le trait de « fermeture » intervient pour beaucoup dans le processus d’affixation assuré par des voyelles : seules les voyelles fermées sont prises en compte.

3.2. 2. Les radicaux.

3.2. 2.1. De l’indépendance et de l’autonomie des radicaux

Nous allons distinguer ces deux concepts à l’aide des définitions qui vont suivre.

1) Les radicaux portent les lexèmes. Ce sont des éléments qui véhiculent le sens lexical des mots. Comme le dit Igor MEL’ČUK :

« Les radicaux sont indépendants : ils sont choisis par le locuteur seulement en fonction de leur signification à exprimer ou de la construction syntaxique. Les affixes sont dépendants, puisque leur choix est conditionné par les radicaux » (MEL’ČUK, 1996 : 163)

Par conséquent, ce sens lexical est commun aux différentes formes que peut prendre une base radicale en fonction des faits morphologiques impliqués. Ici, c’est celui qui reste invariant dans l’opposition de nombre ; c’est ce dont on affirme l’unicité ou la pluralité.

Contrairement aux affixes, leur structure segmentale est globalement conservée dans le passage du singulier au pluriel. Les modifications qui affectent les radicaux sont imputables, dans la plupart des cas à la chute ou à l’apparition de suffixes.

Radicaux maintenus :

Le plus souvent en syllabe finale avec voyelle longue En syllabe CV/CVCV

Préfixe /u/, /ń/

Noms sans affixes au singulier Modification du radical :

Noms avec préfixe /kί/

Par ailleurs le schéma tonal du radical dépend du ton du préfixe marqueur de classe.

2) Mais il faut distinguer l’indépendance (« la non dépendance ») dans le sens ci-dessus, de l’autonomie, définie ainsi : possibilité pour une forme grammaticale de constituer un énoncé à elle toute seule, sans nécessiter une autre forme devant ou derrière elle. (« Autonomie forte » dans la terminologie de Igor Mel’čuk (1993 : 170), « mot » dans la terminologie glossologique (URIEN, 1989 : 81-85). Selon ce point de vue, seul le nom dans son ensemble a une autonomie. Le radical ne suffit pas en lui-même parce qu’il est toujours « classé » par des marqueurs de classe. C’est même cela qui définit le nom konkomba : l’impossibilité de dire toute seule une information « lexicale » sans avoir aussi à la rapporter aux autres informations qui composent le minimum d’un nom, à savoir le genre morphologique et le nombre formulées par le marqueur de classe40. Selon Jean-Yves Urien41, :

« La non autonomie du lexème, voilà ce qui distingue, « dans la langue du locuteur », un nom ou un verbe de la mention métalinguistique, la glose, de ce nom ou de ce verbe, dans un dictionnaire ou un traité de linguistique. Seul le linguiste, pour les

40 En cela, les langues Gur se distinguent des langues kwa, dites « économiques », « où la forme du constituant syntaxique peut coïncider avec le radical simple » (Lébéné Philippe BOLOUVI, 1989, p. 425).

besoins de l’analyse, peut séparer le lexème des autres informations flexionnelles contenues dans le nom ou le verbe tel qu’il est énoncé par le locuteur ».

Qu’en est-il des radicaux des mots empruntés ? Ceux-ci sont réduits à des lexèmes construits comme une classe nominale à part ; le radical n’a pas de préfixe explicite de classe, et n’a pas non plus, au singulier, de suffixe de nombre. Au pluriel, une marque formelle s’adjoint à ce radical, mais elle ne décide pas des niveaux de hauteur qui l’affecteront, ceux-ci ne pouvant être déterminés que par le ton final de la forme du singulier : combinaison Bas Haut /m̀bá/ quand le dernier ton du radical est Bas et combinaison Haut Moyen /ḿba/ quand le dernier ton du radical est Haut. À signaler que les mots concernés n’admettent pas de glissement d’un ton moyen au singulier ; par ailleurs tous les autres affixes sont monosyllabiques, à un seul niveau tonal.

3.2. 2.2. La structure des radicaux nominaux

Les radicaux peuvent être monosyllabiques ou polysyllabiques. Dans ce dernier cas, la syllabe finale et la pénultième qui la précède ont seules une incidence sur les traits du suffixe. La finale du radical, celle qui précède le suffixe, peut elle-même avoir soit la structure CV, avec voyelle brève, ou CV:

Quand elle est de structure CV, on observe que le mot est construit avec un suffixe, au singulier comme au pluriel.

(109) lι-bί-lι m-bί-lι le pépin

lι-à-lὶ ŋ-à-lι le tabouret

Sa présence fait apparaître une règle morphologique : la brièveté à la fin du lexème est corrélative de la présence d’un suffixe au niveau du pluriel. Inversement, la longueur vocalique à la fin du lexème est corrélative de l’absence de suffixe au pluriel. La construction morphologique du nom en konkomba obéit donc à un schéma portant sur les traits de longueur et de tonalité des phonèmes concaténés.

3.2. 3. De l’autonomie des tons et de la longueur vocalique en morphologie

1) La tonalité. Affixes et lexèmes tels que présentés ci-dessus ne font apparaître que des segments consonantiques et vocaliques. Mais ceux-ci se combinent avec les différents tons

dont le fonctionnement est mieux connu depuis les recherches de John Goldsmith sur les tons :

“Tonal systems are at present among the best understood of phonological systems, and once an autosegmental perspective is adopted, it is not hard to see that tonal systems do operate elegantly, like clockwork ” (GOLDSMITH, 1993: 11).

Les segments consonantiques et les segments vocaliques sont placés sur un palier – le palier segmental ; les tons de leur côté sur le palier tonal. Ceux-ci sont indépendants des segments consonantiques ; la conséquence est qu’un suffixe peut tomber, sans que cela affecte les tons en présence :

“Processes affecting elements on one tier may in some cases have no impact on elements on a different tier. For instance, when vowels are deleted, the tones associated with them are not necessary lost” (KATAMBA, 1993: 154).

Ce constat est apparu dans l’analyse des différents mots du konkomba. Il est donc possible d’affirmer que dans cette langue, les faits tonals sont totalement indépendants des faits segmentaux dans leurs réalisations.

La tonalité reste alors une véritable réalité phonologique ; elle est exploitée de manière importante par la morphologie.

2) Longueur / brièveté vocaliques. De façon générale, ces faits prosodiques sont aussi maintenus. Toutefois, s’il est difficile qu’une voyelle brève devienne longue dans l’opposition de nombre, la réciproque est ce qu’il y a de plus fréquent – dans les conditions ci-dessus spécifiées. Il faut aussi noter qu’aucun affixe ne présente un noyau vocalique à syllabe longue ; de là le fait que toute attaque consonantique avec un noyau vocalique long (/CV:/) est radical ou fait partie d’un radical si le mot concerné est au moins dissyllabique.