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CHAPITRE II : MODÈLE D’ANALYSE ET MÉTHODOLOGIE

A. La notion de «travailleur»

1. La notion de «contrat de travail»

La définition de la notion de travailleur dans la L.a.t.m.p. fait explicitement référence à l’existence d’un contrat de travail, sans le définir. Il faut donc se référer à la définition du contrat de travail contenue dans le Code civil du Québec (C.c.Q) ainsi qu’aux principes juridiques qui s'y rattachent pour en cerner le sens (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 4). Le contrat de travail est défini comme suit : « Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur »34.

Au regard de cette définition, nous pouvons distinguer trois (3) éléments constitutifs du contrat de travail: 1) une prestation de travail; 2) une rémunération; et 3) un lien de subordination. Le contrat de travail étant une condition essentielle à la reconnaissance du statut de travailleur en vertu de la L.a.t.m.p., ces trois éléments sont, par conséquent, indispensables à la reconnaissance du statut de travailleur au sens de la L.a.t.m.p..

Le premier élément constitutif du contrat de travail est la prestation de travail. Sa nature n'a

33 L.a.t.m.p., art. 2 « travailleur » 34 C.c.Q., art.2085

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pas d'importance tout comme sa régularité : elle peut s'accomplir de manière intermittente, sur appel, temps partiel ou complet (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 7). Toutefois, la prestation de travail se doit d'être exécutée personnellement. L'obligation personnelle d'exécuter la prestation de travail représente une des particularités du contrat de travail, contrairement aux contrats d'entreprises ou de services. Toutefois, « dans certaines circonstances, le fait pour la personne de décider de se faire remplacer occasionnellement ou de s'adjoindre d'un aide ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'un contrat de travail » (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 8).

Le deuxième élément constitutif du contrat de travail est la rémunération. En effet, un contrat de travail ne peut exister sans qu'il y ait une rémunération versée en contrepartie de la prestation de travail. La notion de rémunération doit être comprise en des termes plus larges que la notion de salaire puisque tout avantage ayant une valeur monétaire peut représenter une rémunération (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 9). De plus, la fréquence et la forme de la rémunération peuvent être variées sans affecter la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail. En outre, la source de la rémunération n'a pas d'incidence sur la reconnaissance d'un contrat de travail (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 9).

Enfin, le lien de subordination constitue le dernier critère à la reconnaissance d’un contrat de travail. Ainsi, contrairement au contrat d’entreprise ou de service, la relation de travail impliquant une personne qui exécute une prestation de travail pour une autre moyennant rémunération nécessite obligatoirement un lien de subordination entre ces deux personnes pour être qualifié de contrat de travail. En outre, le lien de subordination en est un juridique car il génère un lien de droit entre les deux parties (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 12). En effet, il confère à l'employeur le droit de contrôler la prestation de travail du salarié de même qu'il oblige le salarié à exécuter cette prestation de travail selon les directives demandées par l'employeur.

Historiquement, les tribunaux concluaient à une relation de subordination lorsque l'employeur avait un contrôle immédiat sur l'exécution de la prestation de travail, il s'agissait de l'approche dite de la subordination juridique au sens strict ou classique (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 13). Cette manière stricte de concevoir le lien de subordination tire son origine des règles

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encadrant la responsabilité civile du commettant pour une faute commise par son préposé35. Or, même si cette manière de concevoir le lien de subordination est toujours valable dans certains contextes, l'évolution des modes d'organisation des entreprises et la professionnalisation du travail ont mené à de nouvelles manifestations du lien de subordination. Ainsi, de manière à saisir les nouvelles réalités du monde du travail, la notion de subordination s'est élargie donnant lieu à une nouvelle approche: la subordination juridique au sens large (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 13). Dans ce cadre plus souple, il existe une relation de subordination lorsque l'employeur détient le pouvoir d’organiser le travail à exécuter, d'encadrer cette exécution et de la contrôler et lorsque le salarié accepte de suivre le cadre de travail imposé par l'employeur. Ainsi, on s'éloigne d'une vision de la subordination exigeant un contrôle immédiat sur la prestation de travail de la part de l'employeur pour une vision de la subordination où l'employeur doit exercer un contrôle de l’encadrement ou de l'organisation du travail qui s'appréciera par un ensemble d'indices (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 13).

D’une part, les indices peuvent prendre la forme de contrôle sur le travail comme, par exemple, des directives concernant l'horaire de travail, l'obligation de présence sur les lieux du travail, l'obligation de respecter un code vestimentaire, des règles de conduite ou de comportements, l'obligation de rendre des comptes, le contrôle de la quantité et de la qualité des prestations etc. (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 14). Notons que le pouvoir de direction ou de contrôle sur le travail doit s'apprécier en fonction de la nature de la prestation de travail et du contexte dans lequel elle s'effectue.

D’autre part, des indices de nature économique peuvent également être considérés pour conclure à une relation de subordination (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 16). L'analyse à quatre volets du fourfold test tiré du droit fiscal est encore à ce jour, une manière pertinente d'examiner le lien économique de subordination puisqu'elle permet de distinguer l'entrepreneur du salarié. Bien que le contrôle concernant l'exécution de la prestation de travail reste un élément essentiel de cette analyse, cette dernière considère aussi les éléments économiques suivants : la propriété des outils, la chance de faire des profits et le risque de faire des pertes.

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S'il est vrai que ces indices peuvent éclairer la qualification du lien de subordination, notons qu'ils ne sont pas déterminants en soi, car c’est l’analyse de l’ensemble des indices qui révélera la présence d’un lien de subordination.

Lorsqu’elle doit apprécier s’il existe un lien de subordination constitutif du statut de travailleur au sens de la L.a.t.m.p., les auteurs Tremblay et Vallée notent que la CLP, à l'instar des tribunaux judiciaires et des autres tribunaux spécialisés du travail, prend en compte l'ensemble de ces critères. Elle examine les indices de contrôle, l'obligation d'exécution personnelle du travail, les risques de perte, les chances de profit et la propriété des outils et de l'équipement. La qualification de la relation contractuelle se fait donc par une analyse globale des critères car aucun n'est déterminant en soi (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 17).

Ceci étant dit, l'interprétation de la CLP au regard de l’appréciation de l’existence d’un contrat de travail se doit d'être teintée de la finalité de L.a.t.m.p. ainsi que le rappelle la Cour d’appel :

« D'abord, la LATMP est une loi sociale et d'ordre public qui vise à procurer à tous les accidentés du travail une indemnisation adéquate. Elle doit donc être interprétée largement de manière à ce qu'elle atteigne son objectif. Deuxièmement, il faut noter que le législateur a non seulement ajouté de nouveaux statuts à la LATMP (…) mais a aussi périodiquement modifié la définition de travailleur, tout cela afin que soient prises en comptes les réalités changeantes du monde du travail. (…) Dès lors, la prudence et la réserve s'imposent dans l'usage de la jurisprudence élaborée sur la notion de salarié, d'employé ou d'entrepreneur en application à d'autres lois, notamment du Code civil.»36

C’est la réalité de la relation qui existe entre les parties qui est déterminante dans la qualification du contrat et non les termes d'un contrat qui tenterait de masquer les éléments constitutifs d'un contrat de travail. Cette prise en compte de la situation factuelle sera réitérée à plusieurs reprises par la CLP (Tremblay et Vallée, 2013 : par. 19-20). En cela l’approche de la CLP s’apparente à celle des autres tribunaux qui utilisent aussi une méthode réaliste ou factuelle suivant laquelle :

« on postule que la réelle volonté des parties se manifeste par les circonstances ayant entouré leur accord et, surtout, subséquemment, par les faits et leur comportement dans le cours de l'exécution du contrat, c'est-à-dire par la réalité de la relation contractuelle »

36 Agropur, Coopérative (division Natrel) c. Rancourt, 2010 QCCA 749, par. 18-19 [2010] J.Q. no 3295, tel que

94 (Jobin, 2014: par. 109).

La définition de la notion de «travailleur» au sens de la L.a.t.m.p. exige aussi que l’exécution d’un travail soit effectuée «pour un employeur37». Il apparait pertinent d’aborder la notion d’« employeur », qui est particulière dans le contexte de la L.a.t.m.p.