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CHAPITRE I : BILAN DE LA LITTÉRATURE ET PROBLÉMATIQUE

B. Le secteur des agences de location de personnel

De façon similaire au secteur de la grande distribution, dans le secteur des agences de location de personnel, la gestion du temps vise à coupler au plus près les variations de la demande aux horaires de travail des travailleurs temporaires. Or, dans ce contexte, la demande n’est pas liée à la fluctuation de clientèle d’un magasin, mais représente plutôt la variation des carnets de commande de plusieurs entreprises. Les agences de location de personnel sont sollicitées par des entreprises afin de combler leurs besoins en main-d’œuvre dans les plus brefs délais. La réactivité constitue donc un élément central pour ces agences. Dès lors, ces organisations font un usage massif des TIC, notamment les téléphones portables pour accéder en tout temps à leurs travailleurs temporaires. L’article de Rosini (2012) illustre bien comment l’utilisation des TIC est contingente à une production dans l’urgence qui fonctionne sur le modèle du «juste-à- temps».

Pour ce type de travailleur, la disponibilité est le thème central qui conditionne toute sa «carrière». N’ayant pas de sécurité d’emploi, il est contraint d’offrir une large plage de disponibilité afin de s’assurer d’être disponible lorsqu’une opportunité de travail se présentera à lui par le biais de son agence. À ce titre, Rosini (2012) mobilise les travaux de Faure- Guichard (2000) qui distingue trois catégories d’intérimaires: «l’intérim d’insertion» qui concerne les individus qui entrent sur le marché du travail par le biais d’agence de location de personnel; «l’intérim de transition» qui représente les travailleurs écartés du salariat classique travaillant temporairement en attendant une position moins précaire; et finalement «l’intérim de profession» qui, contrairement aux deux autres catégories, concerne une minorité qualifiée qui fait un usage stratégique ou fonctionnel, donc volontaire de ce type d’emploi. Ainsi, une fois de plus, la dualisation du salariat est visible à travers cette typologie. Les intérimaires les moins qualifiés ont peu ou pas de marge de manœuvre quant à la nature, la durée et l’horaire de leur emploi :

«Lorsque l’agence t’appelle pour savoir si t’es libre. (Il s’interrompt pour mimer une goutte de sueur sur son front et reprends timidement) Tu réponds «oui». Et là, c’est pour un déménagement de camion de 4 heures. Alors t’es dégouté mais c’est trop tard. Tu ne peux plus dire : «Non, finalement j’ai des trucs à faires». À chaque fois c’est le suspense» (Rosini, 2012 :5).

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De plus, pour assurer leur survie, ils doivent se plier aux exigences de ce secteur. En ce sens, il est souhaitable qu’ils intériorisent les qualités prisées par les agences: le fait d’être joignables, la disponibilité et la malléabilité. En effet, l’auteure Faure-Guichard remarque que ces entreprises comptent sur des travailleurs fiables, efficaces et disponibles dans les plus brefs délais : «Il[s] doi[vent] être disponible[s] à toutes heure de la journée, joignable[s] à tout moment, posséder un véhicule en bon état de marche, il[s] doi[vent] être prêt[s] à accepter n’importe quelle durée, ne jamais interrompre une mission avant sa fin» (Rosini, 2012 : 4). De plus, similairement à ce qui se déroule dans le secteur de la grande distribution, les relations de familiarités semble contribuer à faire du travailleur un «obligé» et à s’assurer de sa disponibilité (Rosini, 2012). «Il faut être dispo et pas refuser. Ce qui les embête quand tu refuses c’est qu’ils doivent passer un autre coup de fil. Je pense qu’ils t’en veulent parce que ça les embête eux. Ça leur donne plus de travail.» (Rosini, 2012 :6).

En somme, au regard des situations vécues dans le secteur de la grande distribution et dans le secteur du travail temporaire, nous pouvons remarquer que la gestion du temps de travail devient un élément central de ces modes d’organisation contemporains. Grâce aux TIC qui autorisent le travail en flux tendu, le temps de travail constitue une variable d’ajustement privilégiée pour les entreprises soumises à d’importantes contraintes marchandes, ce qui amène une obligation de disponibilité accrue pour ces salariés.

L’obligation de disponibilité des salariés étant le thème central de cette recherche, il semble maintenant opportun de se pencher sur ce phénomène contemporain qui prend de l’ampleur dans plusieurs entreprises.

V. L’obligation de disponibilité

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’obligation de disponibilité n’est pas une notion nouvelle, car elle a toujours été partie intégrante de tout contrat de travail. En effet, dans le modèle fordien, elle était assimilée à la présence réelle et intégrale du salarié sur les lieux de travail lors des périodes de travail prévues au contrat de travail (Morin, 2002). Or, actuellement, la nouveauté réside dans le fait que cette obligation de disponibilité peut se

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découpler de la prestation de travail et se manifester en dehors du temps de travail prévu au contrat de travail. Ces nouvelles manifestations de l’obligation de disponibilité entraînent d’une part, des ambiguïtés quant à sa nature, et d’autre part, des interrogations quant à sa portée dans les milieux de travail.

Par conséquent, nous verrons dans un premier lieu la définition de l’obligation de disponibilité (A) en mettant l’accent sur le caractère ambigu de ses caractéristiques. En deuxième lieu, nous constaterons qu’il existe différents modes de consentement à l’obligation de disponibilité (B) qui sont contingents à la nature du travail et à la relation d’emploi du salarié. Enfin, nous nous attarderons à l’encadrement juridique de l’obligation de disponibilité au Québec (C).