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CHAPITRE II : MODÈLE D’ANALYSE ET MÉTHODOLOGIE

B. La notion de «lésion professionnelle»

1. La notion d’«accident du travail»

La notion d’ «accident du travail » se définit comme : « un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion du travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle »42. Cette définition a fait couler beaucoup d'encre en raison de la difficulté de son application (Lavoie, 2012 : par. 9). Or, suivant une interprétation large et libérale, l’analyse de la jurisprudence effectuée par Lavoie (2012) permet de distinguer et de clarifier des éléments constitutifs et distincts faisant partie de cette définition, soit l’événement imprévu et soudain; attribuable à toute cause; par le fait ou à l'occasion du travail; et qui entraîne pour la victime une lésion professionnelle (Lavoie, 2012 : par. 9). Le travailleur qui estime avoir été victime d’un accident de travail doit démontrer l’existence de l’ensemble de ces éléments pour profiter des bénéfices de la L.a.t.m.p. (a). Toutefois, il sera possible pour certains travailleurs d’utiliser une autre voie juridique pour faire reconnaitre le caractère professionnel de leur lésion, soit la présomption de l’article 28 L.a.t.m.p. (b).

a. Les conditions à la reconnaissance d’un «accident du travail»

Comme nous l’avons mentionné, la reconnaissance d’un accident du travail nécessite la rencontre de certaines conditions : la lésion professionnelle résulte d’un évènement imprévu et soudain (i); attribuable à toute cause (ii); et par le fait ou à l’occasion du travail (iii).

42 L.a.t.m.p., art. 2 «accident du travail»

97 i. Événement imprévu et soudain

Règle générale, il est admis que le caractère imprévu et soudain peut être attribué à un événement prévisible. La commissaire Rivard dans l'affaire Provigo Distribution l'explique ainsi :

« La présence d'une situation normale ne fait pas nécessairement obstruction à l'application de la notion d'événement imprévu et soudain. Ce n'est pas parce qu'un événement est susceptible de se produire qu'il ne peut s'agir d'un événement imprévu et soudain. Le terme prévu veut dire « connaître toutes les données ». Il ne suffit pas de savoir qu'il va se produire un événement, mais plutôt quand et comment il va se produire. La notion d'événement imprévu et soudain doit s'étendre à des changements dans des conditions de travail »43.

Ainsi, le fait qu'un événement est susceptible de se produire ne fait pas de celui-ci un événement « prévu » (Lavoie, 2012 : par. 10). Dans le même ordre d’idées, un événement imprévu et soudain peut se produire dans le cadre normal du travail (Lavoie, 2012 : par. 11). Il n'est pas nécessaire de démontrer le caractère exceptionnel d'une situation; « un geste normal et habituel est compatible avec la notion d'événement imprévu et soudain, dans la mesure où quelque chose d'inhabituel est survenu par ailleurs » (Lavoie, 2012 : par. 11). En ce sens, des changements significatifs dans les conditions de travail, des efforts inhabituels dans l'exécution de tâches, l'utilisation d'une méthode de travail inadéquate ou un effort soutenu de courte durée pourront être inclus dans la notion d'événement imprévu et soudain (Lavoie, 2012 : par. 11.1). De plus, rappelons que les qualificatifs « imprévu » et « soudain » doivent faire référence à l'événement, et non aux conséquences de celui-ci (Lavoie, 2012 : par. 10).

ii. Attribuable à toute cause

En utilisant les termes « attribuable à toute cause », le législateur laisse entendre que la nature des circonstances provoquant un événement imprévu et soudain n'a pas d'incidence sur la reconnaissance d'un accident du travail (Lavoie, 2012 : par. 25). Par conséquent, la cause d'une lésion professionnelle peut être de nature professionnelle ou personnelle (Lavoie, 2012 : par. 25). Toutefois, même si le texte de la loi ne commande aucune distinction quant à la nature des causes d'un événement imprévu et soudain, le législateur a ajouté une exception, celle de

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négligence grave (Lavoie, 2012 : par. 26). La démonstration d'une négligence grave ne permet pas la reconnaissance d'une lésion professionnelle :

« une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n'est pas une lésion professionnelle, à moins qu'elle entraîne le décès du travailleur ou qu'elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique et psychique »44.

L'application de cette exception est généralement associée à des gestes délibérés du travailleur comportant des éléments de témérité ou d'insouciance (Lavoie, 2012 : par. 29). Elle peut aussi être appliquée lorsqu’un accident survient alors que le travailleur était en état d'ébriété ou s’il résulte de l'omission du travailleur de révéler à son employeur des limitations fonctionnelles alors que la prestation de travail implique d'aller au-delà de ces limitations (Lavoie, 2012 : par. 29 et 30.1). Or, l'interprétation restrictive de cette disposition implique que l’employeur peut l’invoquer uniquement si les gestes posés par le travailleur compromettaient délibérément son intégrité physique. En ce sens, le défaut de suivre les directives n'ouvre pas automatiquement l'application de cette exception (Lavoie, 2012 : par. 30).

iii. Par le fait ou à l'occasion du travail

Tout événement imprévu et soudain qui survient lors de l'exécution du travail ou des tâches habituelles du travailleur est considéré être survenu « par le fait du travail » (Lavoie, 2012 : par. 32). Ainsi, il est relativement aisé d'apposer le constat de «par le fait du travail» puisque la lésion apparait alors que le travailleur était sans équivoque au travail. Or, la notion de « à l'occasion du travail » implique une difficulté d’application supérieure, car elle fait référence à des situations qui ne révèlent pas aussi clairement le lien entre la lésion et le travail de la personne.

En effet, cette notion s'applique lorsque l'événement imprévu et soudain survient alors que le travailleur ne se trouve pas concrètement à son travail ou lorsqu'il n'effectue pas réellement les tâches associées à son travail, mais lorsque le travailleur effectue des activités ayant une certaine connexité avec son travail (Lavoie, 2012 : par. 33). Effectivement, c’est la notion de

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connexité qui a été retenue pour déterminer si l'activité par laquelle l'événement imprévu et soudain est survenu peut être intégrée à la notion de « à l'occasion du travail ». Devant l'absence de définition prévue par la loi, l’analyse de la jurisprudence de Lavoie (2012) permet de dégager une série de critères non limitatifs facilitant la détermination de l'existence d'un événement imprévu et soudain survenant à l'occasion du travail (Lavoie, 2012 : par. 34). En ce sens, les juges administratifs saisis du litige devront considérer :

« le lieu de l'événement, le moment de l'événement, la rémunération de l'activité exercée par le travailleur au moment de l'événement, l'existence et le degré d'autorité ou de subordination de l'employeur lorsque l'événement ne survient ni sur les lieux ni durant les heures de travail, la finalité de l'activité exercée au moment de l'événement qu'elle soit incidente, accessoire ou facultative aux conditions de travail, le caractère de connexité ou d'utilité relative de l'activité du travailleur au regard de l'accomplissement du travail »45.

À titre d’exemple, la CLP a déjà conclu que la blessure subie par un travailleur dans une chambre d’hôtel où il s'est rendu à la demande de son employeur a été considérée comme étant survenue à l'occasion du travail (Lavoie, 2012 : par. 35). Il en est de même de la blessure subie par une infirmière qui prenait une marche extérieure pendant sa pause-café (Lavoie, 2012 : par. 37) et d’un accident survenant sur les voies d’accès mises à la disposition des travailleurs par l’employeur (Lavoie, 2012 : par. 38). De plus, une blessure lors de «l’activité d’arrivée et de départ» peut être considérée comme survenue à l’occasion du travail « si tant est qu’elle ne soit pas interrompue par une activité personnelle, qui l’amène alors dans la sphère des activités personnelles» (Lavoie, 2012 : par. 38.1). À l’inverse, une blessure subie alors que le travailleur allait fumer à l’extérieur n’est pas survenue à l’occasion du travail (Lavoie, 2012 : par. 37).

En somme, une personne qui estime avoir subi un accident du travail doit démontrer l’ensemble de ces éléments : un événement imprévu et soudain; attribuable à toute cause; qui est survenu par le fait ou à l'occasion du travail; et qui entraîne une lésion professionnelle. Toutefois, un travailleur peut passer outre la démonstration de ces éléments s’il peut se prévaloir de la présomption de l’article 28 L.a.t.m.p.

45 Mathieu et Centre de santé et de services sociaux de Laval, [2005] CLP 984, tel que cité par Lavoie, 2012 : par.

100 b. La présomption d’accident du travail

La loi prévoit une présomption légale de lésion professionnelle qui, en cohérence avec le caractère social de L.a.t.m.p., appelle une interprétation large et libérale (Lavoie, 2012 : par. 41.1). Elle permet d’alléger le fardeau de preuve du travailleur s’il démontre les trois (3) éléments constitutifs de celle-ci, c’est-à-dire qu’il a subi une blessure (i); qui est survenue sur les lieux du travail (ii); alors qu’il était au travail (iii) (Lavoie, 2012 : par. 39). Ainsi, le travailleur qui bénéficie de la présomption n’a pas à faire la preuve de la survenance d’un événement imprévu et soudain (Lavoie, 2012 : par. 40). Autrement dit, la présomption de l’article 28 L.a.t.m.p. épargne au travailleur de prouver la relation entre la blessure et l’accident, car le lien entre ces deux éléments sera présumé (Lavoie, 2012 : par. 41).

i. Blessure

Le législateur n’a pas prévu de définition quant à la notion de blessure, mais comme l’indique Lavoie (2012), elle est généralement entendue comme «une lésion provoquée par un agent vulnérant extérieur, dont l’apparition est généralement concomitante à l’événement, et qui se constate par une modification des structures anatomiques» (Lavoie, 2012 : par. 43.1). Ainsi, la notion de blessure, et par conséquent, la présomption de l’article 28 L.a.t.m.p. ne peut être appliquée pour tout ce qui relève d’ordre psychologique (Lavoie, 2012 : par. 46).

ii. Sur les lieux du travail

L’expression «sur les lieux du travail» est interprétée de façon littérale par les tribunaux (Lavoie, 2012 : par. 49). Elle fait donc référence «à l’endroit physique où le travailleur exécute son travail, que ce soit à l’intérieur d’un établissement appartenant à l’employeur, à l’extérieur et même en dehors complètement de la propriété de l’employeur» (Lavoie, 2012 : par. 49). Ceci implique qu’une blessure qui survient dans le stationnement ou dans les aires de repos ne sera pas considérée comme «sur les lieux du travail» (Lavoie, 2012 : par. 49).

101 iii. Être à son travail

L’expression «être à son travail» peut englober les blessures qui surviennent alors que le travailleur exécute des tâches connexes à son travail (Lavoie, 2012 : par. 54). En effet, dans l’affaire Desrochers, la Cour d’appel affirme l’interprétation de cette expression ainsi :

« […] rien dans la loi ne fait voir que l’expression «être à son travail» se limite au poste habituel de travail.

[…] Le but de la présomption est de couvrir les blessures survenues au moment où un travailleur exécute ses fonctions par opposition aux situations où le travailleur ne serait pas encore au travail, participerait à une activité spéciale, comme par exemple, un cours, ou encore, une pause.»46

Ainsi, l’interprétation de l’expression «être à son travail» est plus large que la seule reconnaissance des tâches principales du travailleur et peut s’étendre à des activités connexes. Toutefois, il convient de démontrer que la blessure est survenue alors que le travailleur effectuait «des tâches dont l’exécution est requise dans le cadre du poste de travail pour lequel [il] a été embauché et qu’ [il] reçoit une rémunération» (Lavoie, 2012 : par. 54.1).

Par ailleurs, fait intéressant au regard de notre question de recherche, il semble que la pause- repas peut être assimilée à l’expression «être à son travail» dans certaines circonstances. En effet, Lavoie (2012) note que si le travailleur est «tenu par son employeur de demeurer sur les lieux du travail ou de demeurer disponible en cas de bris d’équipement et est rémunéré pendant sa pause», il pourra être considéré comme étant à son travail (Lavoie, 2012 : par. 56).

Par ailleurs, la notion de lésion professionnelle s’opérationnalise également à travers la notion de «maladie professionnelle».