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CHAPITRE I : BILAN DE LA LITTÉRATURE ET PROBLÉMATIQUE

C. Encadrement juridique de l’obligation de disponibilité au Québec

3. La nature juridique de l’obligation de disponibilité

Comme nous l'avons vu tout au long de ce chapitre, le contexte actuel entraîne une obligation de disponibilité accrue pour les salariés. L'exigence de souplesse organisationnelle requise pour répondre aux brusques changements du contexte provoqués notamment par la mondialisation des marchés et la financiarisation de l'économie est certes responsable dans une certaine mesure de l'augmentation de cette obligation. Cependant, concrètement, cette obligation de disponibilité est vécue plus intensément par les salariés en raison des TIC qui permettent aux employeurs de les rejoindre plus facilement, et ce à n'importe quel moment. Cela a pour conséquence d’étendre la période durant laquelle ils peuvent enjoindre leurs salariés d’effectuer du travail additionnel à leur horaire de travail ou du travail en temps supplémentaire.

Toutefois, au-delà de cette obligation de disponibilité traditionnelle, nous trouvons actuellement dans les contrats de travail et les conventions collectives une exigence de disponibilité plus formelle : les périodes de garde ou d’astreinte. Lors de ces situations particulières, le salarié doit non seulement se rendre au travail advenant une demande de

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l'employeur, mais il doit également garantir à l'employeur qu'il pourra être facilement rejoint et rapidement disponible. Or, aucune disposition législative n’aborde explicitement ces périodes de disponibilité, de garde ou d'astreinte. Alors, afin de déterminer si ces périodes contreviennent aux dispositions balisant le temps de travail, il est nécessaire d'assimiler ces périodes soit au temps de travail ou temps de repos.

D'emblée, les périodes où le salarié est disponible ne sont pas nécessairement reconnues comme un temps de travail. En fait, l'article 57 de la L.n.t. indique qu' « un salarié est réputé au travail lorsque trois conditions sont réunies : 1) il est à la disposition de son employeur; 2) sur les lieux du travail; 3) il est obligé d'attendre qu'on lui donne du travail » (Vallée, 2010 : 11). Ainsi, le fait d'être en période de disponibilité et facilement rejoignable par son employeur n'est pas suffisant pour être considéré au travail puisqu'une condition n'est pas satisfaite, celle relative aux lieux de travail. Notons que pour être réputé au travail, il n'est pas nécessaire d'offrir une disponibilité complète, totale et absolue (Morin, 2000). Toutefois, il est impératif que le salarié en période de disponibilité se trouve sur les lieux du travail pour être réputé au travail. À ce égard, il est intéressant de constater que selon la nature du travail, une interprétation plus au moins large peut être associée au lieu de travail. Par exemple, des techniciens ambulanciers ont été jugés réputés au travail lors de leur période de repas, car sans devoir être obligatoirement à la caserne, ces salariés « ne pouvaient refuser aucune affectation, avaient l'obligation de répondre aux appels d'urgence, devaient se rapporter à un endroit précis, ne pas s'éloigner de leurs véhicules et être en contact radio en tout temps pour répondre à des appels urgents » (Vallée, 2010 : 12). Puis, puisque la nature de leur emploi appelle une zone géographique plutôt qu'un endroit physique spécifique, la condition relative au lieu de travail fut remplie21.

Ainsi, en vertu des règles actuelles, une période de disponibilité exécutée en dehors du lieu de travail n'est pas considérée comme du temps de travail, et par conséquent, elle ne donne pas droit à une rémunération. Cependant, certaines conventions collectives offrent des « primes de disponibilité », mais ces dernières n'étant pas encadrées par des dispositions législatives, leurs

21 Rassemblement des employés techniciens ambulanciers-paramédics du Québec (FSSS-CSN) et Coopérative des

employés techniciens ambulanciers de la Montérégie (CETAM), [2009] R.J.D.T. 277, D.T.E. 2009T-12 (T.A.), [2009] n° AZ-50521539 (T.A.), par. 64, (requête en révision judiciaire rejetée, C.S., 11-12-2009, 500-17-047098- 085; requête pour permission d'appeler rejetée, C.A., 29-01-2010, 500-09-020322-103).

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conditions d'octroi peuvent être associées à des critères très restrictifs et donc difficiles à rencontrer (Vallée, 2010).

Compte tenu de ce qui précède, une période de disponibilité ne peut être assimilée de facto à un temps de travail. À l’inverse, le temps de disponibilité peut-il être assimilé à du temps de repos, au sens de l'article 78 de la L.n.t. qui stipule qu’«un salarié a droit à un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 32 heures consécutives»22? Sur cette question, différents points de vue ont été défendus. D'une part, certaines décisions reconnaissent que les obligations de garde ou de disponibilité à domicile entravent la liberté dont un salarié devrait bénéficier lors de ses jours de repos. En effet, en situation de repos, un salarié devrait être soustrait de son état de subordination à l’endroit de son employeur et il devrait avoir la liberté de ses déplacements et de ses activités (Vallée, 2010). Cela n’est pas le cas des salariés en période de disponibilité. Pourtant, certaines décisions considèrent que le temps de disponibilité ne représente pas un temps de travail de telle sorte qu’il est possible de l’ajouter à la semaine de travail des salariés sans pour autant compromettre l’article 78 de la L.n.t. (Vallée, 2010). En définitive, la nature de la période de disponibilité du salarié n'est pas clairement établie en vertu des règles juridiques québécoises actuelles. Que ce soit sous la forme d’heures supplémentaires ou de périodes d’astreintes formellement définies par les conventions collectives, ces périodes d’obligation de disponibilité ne trouvent pas écho dans les dispositions des lois du travail. Elles ne sont «ni un temps de travail qui donnerait droit à une rémunération et qui serait prise dans l’appréciation de la semaine normale de travail, ni un temps de repos où le salarié serait totalement libre de son emploi du temps» (Vallée, 2010 :14).

Or, il semble qu’une obligation de disponibilité importante peut avoir des conséquences sur la santé et la sécurité des salariés. En effet, la mise en disponibilité du salarié de même que l’obligation d’effectuer une prestation de travail en dehors de son horaire de travail normal peut, sur une certaine période de temps, affecter la santé physique et psychologique des salariés. Par conséquent, nous présenterons dans la prochaine section les impacts qu’une obligation de disponibilité peut avoir sur la santé et sécurité des salariés.

22 L.n.t., art.78

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