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CHAPITRE I : BILAN DE LA LITTÉRATURE ET PROBLÉMATIQUE

C. La notion de flexibilité

3. Le modèle de l'entreprise flexible et la flexibilité des temps de travail

flexibilité s’entend globalement comme la possibilité pour l’employé, l’employeur, voire même les deux, de modifier le temps de travail. La capacité de faire varier les temps de travail des salariés permet notamment un plus grand contrôle sur les coûts salariaux tout en reportant le risque des incertitudes marchandes sur les épaules des salariés et non sur l'entreprise. Ainsi, ce type de flexibilité constitue désormais un levier important des nouveaux modes de gestion grâce à son aptitude à satisfaire les objectifs à court et long terme des gestionnaires.

3. Le modèle de l'entreprise flexible et la flexibilité des temps de travail

Le modèle d'Atkinson a bénéficié d'un succès médiatique non-négligeable grâce à la simplicité de sa conceptualisation et à sa capacité d’intégrer diverses pratiques de flexibilité. Ces caractéristiques bien qu’elles constituent des forces, sont également au cœur des critiques de ce modèle qui jugent ce dernier trop caricatural d’une réalité fortement différenciée. Toutefois, ce modèle de la flexibilité intitulé l’«entreprise flexible» a l’avantage de prendre en compte la flexibilité des temps de travail, ce qui est pertinent dans le cadre de cette recherche puisque c’est au niveau de la flexibilité des temps de travail que le phénomène de l’obligation de disponibilité des salariés émergera.

La particularité de ce modèle est le déplacement de la dualité du marché du travail (marché interne à l’abri de la concurrence et marché externe extrêmement concurrentiel) au niveau de l’entreprise. La transposition de cette dualité s’articule au niveau de l’entreprise d’une part, par un «noyau central» de salariés qui bénéficient de plusieurs avantages tels que la sécurité d’emploi, des formations spécifiques, etc. et d’autre part, par des «périphéries» où une multitude de formes d’emplois «atypiques» comme le travail temporaire, l’intérim, le travail à temps partiel, le travail autonome, la sous-traitance, etc. se côtoient. Selon ce modèle, les employeurs s’adaptent aux changements de leur environnement lié à l’incertitude du marché et donc de la demande par un redéploiement de la main-d’œuvre qui est possible grâce à la différenciation des types de contrats (contrat à durée indéterminée (CDI), contrat à durée déterminée (CDD), contrats de services avec des entreprises sous-traitantes). La division entre le «centre» et les «périphéries» s’effectue en fonction de facteurs organisationnels et institutionnels. Le résultat probable de cette division est que le «centre» contient des emplois

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spécifiques au «cœur de métier» de l’entreprise nécessitant une plus longue formation et donc difficilement interchangeables et que les «périphéries» sont constituées d’emplois subalternes. Cependant, il est possible de retrouver des emplois hautement qualifiés que l’entreprise préfère externaliser dans les «périphéries».

Bien qu’illustrée grossièrement, cette division entre «centre» et «périphérie» représente bel et bien une nouvelle réalité du monde du travail. En effet, grâce à l’individualisation des contrats de travail qui favorise l’attribution de contrats «atypiques» (travail temporaire, temps partiel) (Supiot, 1999), les nouvelles pratiques des entreprises tendent à diversifier excessivement la condition salariale amenant peu à peu une segmentation durable dans la masse salariale que plusieurs auteurs nomment la dualisation du salariat (Boltanski, Chiapello, 1999, Vinet, 2004). Ce phénomène s’exprime par l’attribution de statuts plus favorables (CDI dans la grande entreprise) aux salariés ayant une qualification relativement rare ou des responsabilités particulières. À l’inverse, les autres catégories de salariés seront caractérisées par un statut plus précaire (emploi temporaire, à temps partiel, CDD) ou moins favorables (salariés d’entreprises sous-traitantes) (Boltanski, Chiapello, 1999, Méda, 2004). Dans les faits, nous remarquons effectivement une plus grande proportion de salariés sous une catégorie d’emploi précaire ou moins favorables. À titre d’exemple, en 2009, Statistique Canada rapportait que 1.8 millions de Canadiens, soit un ratio de 1 travailleur sur 8, occupaient une forme d’emploi temporaire (poste à contrat, saisonnier ou occasionnel). Or, ce type d’emploi qui a connu une croissance rapide entre 1997 et 2005, est associé à des caractéristiques moins favorables que l’emploi permanent au niveau des salaires, des avantages sociaux, des horaires de travail ou du niveau de syndicalisation (Galarneau, 2010). Par conséquent, le développement de l’emploi temporaire supporte l’idée selon laquelle la dualisation du salariat est en croissance.

Toujours selon le modèle de l’«entreprise flexible», trois formes de flexibilité sont mise en œuvre dans les entreprises afin de satisfaire le besoin des employeurs d’une «main-d’œuvre qui répond, rapidement, facilement et au moindre coût, aux changements imprévisibles des produits ou des processus du travail» (Atkinson, 1984 :9). La flexibilité fonctionnelle concerne la possibilité de faire changer le salarié de tâches, de poste ou même de carrière à travers la recherche d’une plus grande polyvalence, disponibilité et mobilité; et la possibilité d’acquérir

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de nouvelles compétences en fonction des variations des activités de l’entreprise. La flexibilité salariale concerne la possibilité de faire varier les coûts salariaux en fonction de la performance des salariés. Le cas des vendeurs ayant une rémunération axée sur la commission représente l’exemple typique de ce type de flexibilité. La flexibilité numérique concerne la possibilité d’ajuster le nombre de salariés aux fluctuations du niveau de la demande. Elle implique également la possibilité d’aménager sous différente formes le temps de travail. Appliquée à ce modèle, la flexibilité fonctionnelle concerne le «centre» alors que la flexibilité numérique touche les différentes «périphéries» de l’organisation.

Dans le cadre de cette recherche, la notion de flexibilité numérique est particulièrement pertinente car elle constitue le fondement théorique de plusieurs pratiques organisationnelles dites flexibles telles que le «juste-à-temps». Ces pratiques organisationnelles mettent en place une flexibilité du temps de travail qui peut donner lieu à l’apparition d’une obligation de disponibilité accrue pour les salariés. En effet, le désir d’ajuster au plus juste le nombre de salariés en fonction du niveau de la demande favorise l’établissement d’horaires et de rythmes de travail atypiques pour les salariés pouvant faire émerger un nouvel espace de temps, le temps de disponibilité.

D’ailleurs, la flexibilité des temps de travail semble être un outil de plus en plus prisé des gestionnaires afin de satisfaire leur désir d’ajuster rapidement et continuellement la production ou les services au contexte. Effectivement, en réponse aux facteurs macro-économiques exposés précédemment qui génèrent une accélération des temps au sein des organisations, ces dernières ont procédé à plusieurs transformations organisationnelles visant à «alléger» leur structure, ce qui a donné lieu à l’émergence d’une nouvelle forme d’organisation, l’organisation allégée. Manifestation organisationnelle du contexte contemporain, ce type d’organisation flexible permet une meilleure prise en compte du contexte grâce à sa grande faculté d’adaptation. De fait, il semble que l’utilisation des pratiques instaurant une plus grande flexibilité des temps de travail est caractéristique de ce type d’organisation. Par conséquent, notre attention sera dirigée sur cette forme d’organisation dans la prochaine partie de cette recherche.

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