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2   Cadre conceptuel 31

2.2  Vers la construction d’un modèle de l’acceptabilité sociale 45 

2.2.1  Préambule à l’acceptabilité sociale 45 

2.2.1.2  Notion d’équité de la décision 49 

Dans les controverses publiques entourant la réalisation de « projets de développement », qu’il s’agisse de projets industriels ou de projets d’infrastructure à usage public, deux questions sont soulevées de façon récurrente : 1) Jusqu’à quel point doit-on accepter une certaine détérioration de l’environnement pour permettre le développement économique? Jusqu’à quel point peut-on exiger de la part d’une minorité, constituée en partie des personnes affectées par la réalisation d’un projet, et qui devront en assumer les risques et les inconvénients, de se sacrifier pour le bien-être de la majorité? La réponse à ces

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questions ne sera pas la même selon la conception de la justice à laquelle nous nous référons. La détermination de ce qui est juste ne procédera pas de la même logique.

Deux approches principales sont utilisées dans l’argumentaire des parties prenantes aux controverses publiques entourant la réalisation des projets de développement. La première, d’inspiration utilitariste37, consiste à faire une analyse des avantages et des inconvénients et d’y appliquer un test de proportionnalité (balance des inconvénients). L’objectif visé est d’assurer le maximum d’avantages pour le plus grand nombre. Dans cette logique, la question que devra se poser le décideur consistera à se demander dans quelle mesure les avantages (retombées économiques) compensent pour les inconvénients (impacts sur l’environnement). S’il s’agit d’un projet industriel ou d’infrastructure à usage public réalisé en milieu habité, il faudra se demander si les avantages pour la collectivité (la majorité) sont suffisamment importants par rapport aux inconvénients et les risques assumés par les résidants riverains du site d’implantation (la minorité). En somme, le calcul d’utilité s’appuie sur l’évaluation des conséquences d’une action et une logique de compensation découlant de l’application du test de proportionnalité entre les avantages et les inconvénients. Entre deux actions, l’action retenue est celle qui obtient la meilleure note globale.

Toutefois, l’application de cette logique peut avoir pour conséquence qu’une action (1) qui comporte à la fois des avantages (retombées économiques) et des inconvénients (impacts sur l’environnement à l’échelle locale) obtienne une note globale meilleure qu’une action (2) dont les avantages et les inconvénients sont moins importants. La question est de savoir quelle est la meilleure action? Quelle est l’action la plus acceptable socialement? L’application de la logique utilitariste donnerait pour réponse l’action (1).

Une autre conséquence possible de l’application de cette logique est qu’un même projet obtienne une évaluation très différente selon le contexte particulier de son implantation. Aussi, un projet pourrait être jugé acceptable dans une région en difficulté économique à cause de l’importance particulière de cette dimension par rapport aux autres dimensions (sociales et environnementales) dans l’évaluation des avantages et des inconvénients. Dans un cas d’implantation du complexe industriel documenté par Côté (2004), le projet étant perçu par les acteurs politiques et la majorité de la population comme essentiel à la survie de la communauté, il est apparu clairement que la dimension économique a pris le pas sur les autres dimensions du projet dans l’évaluation des avantages et des inconvénients.

Aussi, sous réserve de la volonté du promoteur de réaliser le projet en partenariat avec le milieu, voire de faire preuve de transparence en diffusant l’information sur le projet et en participant à des instances multipartites de suivi, ainsi que de prendre des mesures pour maximiser les retombées du projet en favorisant la participation des entreprises et l’embauche de main-d’œuvre à l’échelle locale et régionale, le milieu était prêt à faire des sacrifices pour permettre la réalisation du projet, incluant celui de subir une détérioration de la qualité de l’environnement par une augmentation de la présence de contaminants dans l’atmosphère.

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Encadré 1 : Théories de la justice38

L’utilitarisme

L’utilitarisme défend l’idée qu’un acte est moralement juste lorsqu’il a pour conséquence de produire le plus grand bonheur des membres de la société. Le critère d’évaluation de la moralité est donc l’utilité de l’acte, déterminée par l’ensemble de ses conséquences.

Le calcul des utilités nécessite de faire une évaluation rigoureuse de toutes les conséquences d’un acte. La réalité étant contingente, les résultats du calcul varieront selon les circonstances particulières de chaque cas.

Dans le calcul des utilités, personne n’occupe de position privilégiée. Personne ne peut revendiquer une place plus importante de ses préférences ou un plus grand bénéfice découlant de l’acte (principe d’impartialité et d’égalité). C’est pourquoi il faut favoriser les conséquences qui satisfont le plus grand nombre possible parmi les membres de la société (principe de la majorité).

Appliquée à la résolution de problèmes sociaux, le calcul utilitariste consiste à choisir parmi différentes actions possibles, celle qui présente un maximum d’avantages pour le plus grand nombre de citoyens.

L’éthique kantienne

Une des différences fondamentales entre l’éthique kantienne et l’utilitarisme concerne la thèse de Kant selon laquelle nous ne devons pas considérer les buts, les conséquences ou les résultats d’un acte pour établir sa moralité mais plutôt l’intention ou le motif de l’agent qui agit par devoir. Le respect du devoir est l’essentiel de toute moralité, il est la loi morale, règle qui commande sans condition « impératif catégorique ».

La notion de devoir s’appuie sur le postulat que tout être humain libre et doté de raison est capable de produire des règles morales absolues, c’est-à-dire d’application universelle; d’où cette première formule de l‘impératif catégorique : « Agis seulement d’après la maxime grâce à laquelle tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle »39. D’autre part, le respect du devoir implique de la part de l’agent le respect de l’humanité en lui et dans les autres; d’où cette deuxième formule de l’impératif catégorique : « Agis de telle sorte que tu uses de l’humanité, en ta personne et dans celle d’autrui, toujours comme fin, et jamais simplement comme moyen. »40

L’application de l’éthique kantienne à la résolution de problèmes sociaux, peut se traduire par l’énonciation a priori de principes et de normes au regard desquels les actions envisagées seront évaluées.

Le type de questionnement qui caractérise l’une et l’autre des théories pour déterminer la moralité d’un acte est donc très différent ce qui n’est pas sans conséquence sur la façon d’aborder la question de l’acceptabilité sociale.

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Tiré de : Métayer, Michel. 2002. La philosophie éthique : enjeux et débat actuels. Saint-Laurent : ERPI, 404 p. et de Kymlicka, Will. 1999. Les théories de la justice. Canada : Boréal, 363 p.

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Kant, Emmanuel. Métaphysique des mœurs 1, traduction de l’allemand par Alain Renaut : Paris : GF Flammarion, p. 97. Cité dans : Métayer, Michel. 2002. La philosophie éthique : enjeux et débats actuels. Saint-Laurent : Éditions du renouveau pédagogique, pp. 57.

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La deuxième approche d’inspiration « kantienne » consiste plutôt à énoncer certains principes ou normes devant être respectés en soi afin d’assurer la viabilité de l’action sur les plans économique, social et environnemental41. Le projet doit être viable au regard de principes et de normes énoncées a priori. Compte tenu que la logique kantienne ne tient pas compte des conséquences ou des résultats d’un acte pour établir sa moralité, l’évaluation des avantages et des inconvénients d’un projet est non pertinente pour choisir entre deux actions. Conséquemment, le fait qu’une action obtienne de bons résultats sur le plan économique ne peut pas compenser pour le fait qu’elle entraîne des impacts environnementaux importants à l’échelle locale par exemple.

Dans la logique kantienne, une action qui entraîne des impacts environnementaux importants à l’échelle locale sera jugé non viable sur le plan environnemental, et partant non acceptable socialement dans la mesure où il a été établi au préalable des normes à cet égard et que leur non-respect entraîne leur rejet. Aussi, contrairement à la logique utilitariste, la détermination de l’acceptabilité ne dépend pas d’une évaluation des circonstances au cas par cas mais de l’application de principes et de normes d’application universelle.

Une autre composante importante de l’acceptabilité sociale concerne la légitimité du processus décisionnel et la participation des personnes concernées ou affectées (parties prenantes) par la décision. Dans le cadre de l’élaboration d’un modèle d’acceptabilité sociale, il importe de définir certaines notions pertinentes et de faire le point sur les pratiques en matière de participation des parties prenantes à la décision.