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AVANT-PROPOS

Encadré 4 : AMSM et vigilances sanitaires 15 94

4.7. LA NOTIFICATION DIRECTE PAR LES PATIENTS

Alors qu’ils sont les seuls à les subir, les patients (ou leurs parents quand il s’agit d’enfants, ou leurs ayant-droits pour les patients décédés…) n’ont la possibilité de signaler les évènements indésirables médicamenteux que dans un nombre restreint de pays, le plus souvent depuis quelques années seulement 11 126 127. En 2006, seuls 7 pays offraient aux patients la possibilité de notifier directement un évènement indésirable aux autorités, sans passer par l’intermédiaire (le filtre) d’un professionnel de santé : Suède (depuis 1978, via un

a

Dans le cas de la procédure nationale d’AMM, les PSUR vont continuer à être adressés aux autorités compétentes des Etats membres où les médicaments sont commercialisés, alors que les ICSR seront transmises non pas aux Etats membres mais à Eudravigilance comme en cas de procédure centralisée, décentralisée ou par reconnaissance mutuelle 83 118.

groupe de consommateurs nommé KILLEN), USA (1993), Pays-Bas (depuis 2003, voire 1990 pour une partie du pays avec un dispositif différent), Australie (2003), Danemark (2003), Canada (2003), Royaume-Uni (2005). En 2012, au moins 46 pays acceptent les notifications des patients 128.

En France, avant d’être autorisé en 2011 8 en application de la loi Hôpital Patients Santé Territoires votée en 2009, le signalement d’évènements indésirables médicamenteux par les patients a fait l’objet de quelques expérimentations : une étude sur la déclaration des effets indésirables des traitements anti-rétroviraux anti-HIV en 2002-2003, une étude pilote par l’AFSSAPS via des associations de malades touchant potentiellement 850.000 patients en 2006-2007 129, la possibilité de déclaration par les patients des évènements indésirables susceptibles d’être liés à la vaccination contre la grippe A(H1N1) en 2009-2010 130.

Le signalement s’effectue via un formulaire spécifique téléchargeable sur le site de l’ANSM (annexe 3). Il pourrait être avantageux de rendre ce formulaire plus facilement disponible en le mettant à la disposition des patients dans les pharmacies et/ou les cabinets médicaux voire dans d’autres lieux de soins (salles d’attente des hôpitaux, cabinets des chirurgiens-dentistes, infirmiers et sages-femmes 11…).

Avec cette nouveauté, une différence notable par rapport à la notification par les professionnels de santé concerne l’anonymat du patient et donc la question de la confidentialité. En effet, contrairement à la notification par les professionnels de santé, « anonymisée », le signalement-patient doit comporter l’identité et les coordonnées du patient, et il est demandé de joindre « tous documents permettant de compléter le signalement (comptes rendus d’hospitalisation, examens complémentaires...), sachant qu’ils

seront utilisés dans le respect de la confidentialité » 8 : le constat de la réalité de l’évènement indésirable par un professionnel de santé simplifie la validation du signalement. De même, la possibilité offerte à un tiers de rédiger le signalement si le patient ne le fait pas lui-même occasionne des interrogations sur l’autonomie de choix des patients : certes le tiers peut se faire le porte-parole d’un patient décédé ou incapable d’effectuer la déclaration, mais on peut aussi imaginer que des évènements indésirables vont être signalés par des proches sans l’accord du patient, lequel risque d’exprimer son mécontentement si le CRPV le contacte pour obtenir des informations complémentaires…

L’ouverture des systèmes de pharmacovigilance aux patients a été longtemps un sujet de débat, la question centrale étant de savoir si cette ouverture présenterait un avantage qualitatif et/ou quantitatif 131. La littérature est assez pauvre concernant l’évaluation de la notification directe par les patients 128. Néanmoins, il est probable ou établi que

- les patients produisent des déclarations de qualité comparable à celle des déclarations des professionnels de santé 126, tout aussi exploitables, avec l’aide éventuelle des associations de patients ou de victimes 129. Les deux systèmes peuvent s’avérer aussi efficaces pour détecter des effets indésirables inconnus jusque là 132.

- les patients déclarent aussi des évènements indésirables que les professionnels de santé ne déclarent pas, ou n’ont pas encore déclarés 126127. Cette différence qualitative est intéressante pour générer de nouveaux signaux et au final identifier de nouveaux effets indésirables. Une fois sur deux, c’est parce qu’il a le sentiment de n’avoir pas été entendu par un professionnel de santé qu’un patient déclare directement une suspicion

d’effet indésirable 89 : suspicion d’évènement indésirable non prise au sérieux, évènement jugé non pertinent, refus de déclarer l’évènement… Les médecins ayant tendance à surtout déclarer les effets indésirables qu’ils considèrent graves (45% des notifications 62) ou inconnus, ils délaissent les effets indésirables bénins à leurs yeux mais qui pourtant affectent la vie quotidienne de leurs patients, souvent au point que ceux-ci interrompent le traitement 11.

Il existe néanmoins des données contradictoires, puisque dans une étude pilote française 129 tous les évènements signalés par des patients et d’imputabilité vraisemblable étaient déjà connus et n’ont donc généré aucun signal d’alerte. Ce qui n’en fait pas moins des données intéressantes pour affiner l’évaluation des effets indésirables graves bien que bien connus. Et puis les auteurs de cette étude n’ont pas précisé si dans le même temps les déclarations des professionnels de santé avaient généré de nouveaux signaux d’alerte…

Les données sont contradictoires également concernant les types de médicaments faisant l’objet des déclarations des patients : tantôt la répartition des classes pharmaceutiques est sensiblement la même que dans les déclarations des professionnels de santé 89, tantôt elle en diffère de façon significative 127.

- les patients ont tendance à rapporter plus rapidement les évènements indésirables que les professionnels de santé 126. Aux Pays-Bas, un système de déclaration spontanée par les patients a permis, dans le cas particulier de la paroxétine, la détection d’autant d’effets indésirables inconnus qu’avec les déclarations des professionnels de santé, mais plus rapidement (de plus de 7 mois en moyenne) et avec un nombre plus important de

notifications 132. Il n’est pas prouvé que la notification directe par les patients puisse générer un « bruit de fond » gênant l’identification de signaux d’alerte 126.

- les patients signalent à peu près la même proportion d’évènements indésirables graves que les professionnels de santé 128 : par contre, au sein des évènements indésirables

graves, on retrouve dans les déclarations des patients davantage d’incapacités, mais moins de décès et d’hospitalisations ou prolongations d’hospitalisation 89 128. Au Danemark, par rapport aux professionnels de santé dans leur ensemble, les patients déclarent certes une proportion un peu plus faible d’évènements indésirables considérés comme graves, mais ils en déclarent la même proportion que le sous-groupe des médecins, soit 45% environ 127.

- les déclarations spontanées et directes des patients diffèrent sensiblement de celles des professionnels de santé sur la perception de leur évolution 89. Les patients ressentent plus souvent une persistance des symptômes… mais c’est peut-être justement la persistance de la gêne qui les motive à déclarer, d’où un possible biais. Et comme les patients déclarent plus tôt que les médecins, cela peut aussi expliquer que les symptômes ne soient pas encore totalement passés pour une partie d’entre eux.

- les patients déclarent plus fréquemment que les professionnels de santé certaines catégories d’évènements indésirables, certaines étant souvent cachées aux

professionnels de santé. Les patients ne signalent pas à leur médecin généraliste tous les

symptômes dont ils suspectent qu’ils pourraient être des évènements indésirables (ce qui accentue d’ailleurs le phénomène de sous-notification) 126. Il est envisagé que les

patients aient du mal à parler aux professionnels de santé de problèmes intimes comme des troubles sexuels ou neuro-psychologiques imputables à la prise d’un traitement, et qu’ils seraient plus à l’aise en les déclarant eux-mêmes 89 127. Par rapport aux notifications des professionnels, les signalements des patients concernent plus fréquemment des troubles neurologiques ou psychiques, des troubles de l’appareil reproducteur comme une diminution de la libido, une prise de poids, une asthénie… avec comme point commun fréquent un impact sur leur qualité de vie 127 89. La déclaration directe par les patients pourrait aussi être utile dans les cas où le médecin n’intervient pas dans la prescription : médecines non conventionnelles, médicaments en vente libre, médicaments réputés de prescription mais achetés sans ordonnance sur Internet 13111 …

- la description des évènements indésirables par les patients peut être plus proche de la réalité que l’interprétation qu’en fait un professionnel de santé dans une notification

126

, avec notamment des données intéressantes en rapport avec le retentissement sur la qualité de vie mais qui ne sont pas prises en compte dans les dossiers de pharmacovigilance 129. Par exemple, les utilisateurs de paroxétine ont semblé plus à même que les professionnels de santé de rapporter des troubles du comportement, des tendances suicidaires et des symptômes subjectifs de sevrage 133 134. Ainsi, les déclarations par les patients, dans leurs propres termes et avec davantage de précision, peuvent attirer l’attention sur des faits négligés, mal interprétés ou mal analysés par les professionnels de santé et/ou par les autorités en charge de la pharmacovigilance. Il est vraisemblable en effet que le filtre du professionnel de santé (qui peut ne pas reconnaître qu’il s’agit d’un effet secondaire, ou le minimiser, ou le négliger, ou même rédiger une déclaration de pharmacovigilance mais en traduisant la plainte en des

termes médicaux inappropriés), puis l’analyse et le codage par le centre de pharmacovigilance, laissent peu de place à certaines subtilités… et par contre beaucoup plus de place aux erreurs d’interprétation : « Le filtrage et le traitement des rapports aide à la gestion des données mais a tendance à réduire la valeur des rapports » 134.

- l’analyse et le traitement des notifications des patients peut être plus long que celui

des notifications des professionnels de santé, ne serait-ce que pour retranscrire en termes médicaux la description faite par les déclarants, mais aussi parce qu’un travail de filtrage plus important s’impose, par exemple pour distinguer un éventuel effet indésirable de ce qui est en fait à l’évidence un symptôme de la maladie 11 126.

Concernant l’impact quantitatif des déclarations directes par les patients, dans des pays où les données sont disponibles, 7 à 23% des déclarations d’évènements indésirables proviennent des patients directement 89 126 130. Mais il est possible que cette proportion augmente au fil du temps, l’ouverture du système aux patients étant le plus souvent récente : par exemple au Danemark, cette proportion a augmenté de 7 à 11% entre la 2e et la 4e année suivant l’ouverture du système aux patients 127, reproduisant le phénomène déjà observé chez les professionnels de santé dont on sait que le nombre de leurs déclarations augmente d’année en année après la mise en place d’un système de déclaration spontanée. De 2004 à 2007, aux Pays-Bas, les patients ont effectué moins de déclarations de pharmacovigilance que les pharmaciens, mais autant que les médecins généralistes, et plus que les spécialistes 89.

La diffusion d’une émission de télévision présentant les effets indésirables d’un médicament ou d’une classe de médicaments peut augmenter significativement mais

ponctuellement le nombre de notifications par les patients pour le ou les médicaments en question 135.

Il n’est pas prouvé que la notification directe par les patients puisse diminuer le nombre de notifications par les professionnels de santé 126.

Il ressort de ces différentes analyses que la déclaration des évènements indésirables médicamenteux par les patients et celle par les professionnels de santé peuvent être complémentaires, tant qualitativement (en augmentant la diversité des évènements déclarés) que quantitativement (ce en quoi il pourrait s’agir d’une solution, parmi d’autres, au problème de la sous-notification).