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AVANT-PROPOS

3. METHODES EMPLOYEES EN PHARMACOVIGILANCE

3.2. LA PHARMACOVIGILANCE EN CONDITIONS REELLES D’UTILISATION

Après la mise sur le marché d’un nouveau médicament, un autre type de pharmacovigilance se met en place : c’est la surveillance des risques que fait courir ce médicament dans les conditions réelles d’utilisation. Elle diffère du suivi de tolérance des essais cliniques, et c’est ce qui fait tout son intérêt, par le nombre de patients traités, par la durée d’utilisation et par les conditions d’utilisation 111468 717273.

3.2.1. Nombre de patients traités

Sauf exception, le nombre de patients traités après commercialisation est très supérieur au nombre de personnes incluses dans les essais cliniques 11, ce qui offre la possibilité de repérer les effets indésirables rares.

3.2.2. Durée d’utilisation

La durée des essais cliniques est souvent plus courte que l’utilisation qui sera faite du médicament en situation clinique réelle, du moins pour les traitements chroniques. Des

effets indésirables peuvent apparaître seulement après une durée d’exposition plus longue, ou se manifester des années après la fin de l’essai clinique, dans le cas de cancers par exemple 1156.

3.2.3. Conditions d’utilisation

Dans la pratique médicale usuelle, les conditions d’utilisation (caractéristiques des populations traitées, prescription, consommation…) sont généralement plus ou moins éloignées des conditions d’utilisation au cours des essais cliniques 11. Or les conclusions d’un essai clinique, tant en termes d’efficacité que de sécurité, ne sont valides que dans les conditions de réalisation de l’essai, à savoir :

- un encadrement médical plus important (et donc généralement davantage d’information, davantage de suivi, moins de mésusage, moins de défaut d’observance…) 11 71, souvent dans un environnement hospitalier 71. On peut imaginer qu’après l’AMM l’utilisation par les patients ou par les prescripteurs est plus souvent non conforme au résumé des caractéristiques du produit (RCP) que l’utilisation lors des essais cliniques n’a été non conforme au protocole,

- une surveillance clinico-biologique renforcée, pouvant conduire à sous-estimer la gravité des effets indésirables, puisque l’administration du médicament sera arrêtée au moindre signe d’alerte dans l’essai clinique alors qu’elle se poursuivra plus longtemps en conditions réelles d’utilisation. Par exemple, un médicament peut être arrêté durant l’essai clinique devant une élévation des transaminases et le dossier de demande d’AMM ne mentionnera que des cas d’élévation des transaminases, alors qu’en situation réelle d’utilisation, avec une surveillance moindre, des cas d’authentiques hépatites médicamenteuses vont être identifiés par le système de pharmacovigilance 71,

- la surreprésentation des hommes, fréquente, par rapport aux populations traitées après AMM 73,

- l’exclusion de patients à risque : la plupart des essais cliniques excluent les plus malades, les plus âgés, les plus fragiles, les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les insuffisants rénaux, les insuffisants hépatiques… 12 56. Cette sélection des patients, qui homogénéise la population étudiée, est souvent nécessaire pour limiter les facteurs de confusion pouvant gêner l’évaluation de l’efficacité du médicament 56, mais elle éloigne de l’utilisation réelle qui sera faite du médicament in fine,

- l’exclusion de patients poly-pathologiques / poly-médiqués : généralement, les études de phase 3 sélectionnent des patients ayant moins de comorbidités – voire aucune comorbidité – que la population générale des patients susceptibles de recevoir le médicament. De nombreux essais cliniques n’incluent même que des patients ne recevant aucun autre traitement que celui qui est testé. La recherche d’interactions médicamenteuses potentielles est donc limitée dans les essais cliniques 1256.

Les données sur les effets indésirables d’un médicament avant sa commercialisation sont donc incomplètes et biaisées : on aurait tort de croire qu’une AMM, qui repose entre autres sur ces données de sécurité, garantit la qualité d’un médicament. Il faut garder en mémoire que généralement seuls les effets indésirables les plus fréquents et certains effets indésirables dose-dépendants sont mis en évidence avant la commercialisation, alors que des effets indésirables rares ont pu passer inaperçus quelle que soit leur gravité 68. Des effets indésirables fréquents peuvent même ne pas être identifiés par les essais cliniques, si la population traitée en conditions réelles y est nettement plus sensible que les volontaires inclus dans les essais cliniques. Par exemple en cas d’utilisation hors AMM, qu’elle soit

compassionnelle ou non, qui augmente le risque que se manifestent des effets indésirables plus ou moins graves, connus ou non 11. La balance bénéfice/risque est d’autant plus incertaine que, parallèlement à l’augmentation potentielle des risques, les bénéfices attendus sont très incertains faute d’étude ayant montré une efficacité dans ces indications.

Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un médicament est commercialisé depuis longtemps qu’il est sûr : la moitié des médicaments retirés du marché français pour raisons de pharmacovigilance entre 2005 et juin 2011 étaient commercialisés depuis plus de 22 ans, et pire encore ils l’étaient depuis plus de 33 ans pour la période 1998-2004 5963. Et puisque le rapport bénéfice-risque d’un médicament est à interpréter en fonction des alternatives thérapeutiques, il est indispensable de réévaluer régulièrement tous les médicaments, même les plus anciens.

La pharmacovigilance est le moyen de réévaluer régulièrement pendant toute la commercialisation d’un médicament son rapport bénéfice/risque dans les conditions réelles d’utilisation (encadré 1). Elle permet aussi d’étudier les effets secondaires des médicaments dans des populations non incluses dans les essais cliniques ou même auxquelles ils n’auraient pas dû être prescrits : en particulier les femmes exposées au médicament en début de grossesse avant qu’on ne sache qu’elles étaient enceintes.

La pharmacovigilance fournit des informations permettant une utilisation plus sûre des médicaments : cela consiste la plupart du temps à enrichir le RCP avec des restrictions d’utilisation, de nouvelles contre-indications, des précautions d’emploi supplémentaires… et à en informer les prescripteurs. Il est beaucoup plus rare que la pharmacovigilance aboutisse

au retrait d’une AMM, cas extrême qui n’arrive que si les nouvelles informations sur le médicament remettent en cause son rapport bénéfice/risque sans espoir qu’une

modification du libellé de l’AMM suffise à garantir que les bénéfices soient supérieurs aux risques 74.

Encadré 1 : Les 5 objectifs principaux de la pharmacovigilance, d’après B. Bégaud 14.