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NOROÎT DANS L’HIPPOCAMPE SANS LES ÉOLIENNES À L’ÉGLISE ST DOMINIQUE

Lors du montage de Noroît dans l’hippocampe dans l’église, pour des nécessités techniques, j’ai mis de côté un projecteur allumé. Lorsque je me suis levée la tête pour reprendre le projecteur, j’ai vu les images vidéographiques se diffuser sur l’ensemble des bancs de l’église. J’ai réalisé alors que la bande sonore et les images lumineuses projetées en direction de la nef pouvaient vivre seules avec le lieu, sans les éoliennes. Ces projections, imageant régulièrement des visages, des groupes, des mariages, appuient l’absence, comme si je projetais l’histoire d’une église qui fût bondée, il y a bon nombre d’années, et qui est maintenant vide. La présence du lieu était davantage mise en évidence et l’œuvre parlait différemment. Ces sièges paraissaient plus vacants, comme un abandon, un dépeuplement. L’architecture maintenant rendue jacente, sa grandeur imposante, sa sonorité spectaculaire devinrent une révélation. « C’est avec du temps qu’on invente un lieu… En cela, l’artiste qui invente un lieu – c’est-à-dire, étymologiquement, qui vient dans un lieu, entre dans son intimité par une espèce de corps-à-corps – en

même temps déplace toute idée que nous nous en faisons juste avant. »15 Pour la

création d’une œuvre, je me dois de vivre ce lieu, de l’expérimenter pendant une certaine durée afin de l’habiter. La mise en place d’une œuvre dans un lieu vient changer les perceptions que nous avons de ce même lieu. Le fait de créer une œuvre pour un lieu précis renouvelle cet espace, réécrit ce lieu, offre une nouvelle lecture de ce lieu. Bien entendu, dans ce cas, l’œuvre ne peut pas exister sans son lieu.

Figure 10 - Détail de l’œuvre Noroît dans l'hippocampe version II (sans les éoliennes). Matériaux : Lieu, projections d’images d’archives, sons. Lieu : Église St-Dominique, Québec. (2010)

Figure 11 - Détail de l’œuvre Noroît dans l'hippocampe version II (sans les éoliennes). Matériaux : Lieu, projections d’images d’archives, sons. Lieu : Église St-Dominique, Québec. (2010)

Figure 12 – Détail de l’œuvre Noroît dans l'hippocampe version II (sans les éoliennes). Matériaux : Lieu, projections d’images d’archives, sons. Lieu : Église St-Dominique, Québec. (2010)

« Elle [architecture] ouvre un lieu – ce qui s’appelle “bâtir” — un lieu dont elle intériorise à soi dans l’édifice, les êtres et les lointains – ce qui s’appelle “habiter”. […] En fait, habiter et bâtir s’opposent et s’appellent comme deux moments

conjugués qu’unit leur rapport à l’existence. »16 Dans la logique d’Henri Maldiney,

par le biais de mes œuvres, j’habite les lieux qui sont bâtis par d’autres. Toutefois, l’autre fait partie de l’« habitation », il fait partie de l’œuvre. Nous sommes unis par ce rapport d’existence.

Les deux propositions, soit les projections sur éoliennes ou sur les bancs, m’intéressent. L’idée d’utiliser le lieu comme surface de projection ou même comme élément intrinsèque à l’œuvre ou carrément comme œuvre me stimule tout particulièrement.

1.5 L’ACTION

Lors du vernissage de Noroît dans l’hippocampe, un repas était servi au sous-sol de l’église. Comme mentionné plus haut, cette rencontre fût l’occasion d’observer un événement périphérique de l’art. L’art se situe non seulement dans les œuvres mais également dans le processus de création, dans les interstices de la vie. Les abords des activités artistiques font partie de ma démarche artistique, les rencontres avec la communauté nourrissent mes créations. Sans elles, mon art n’aurait pas lieu. L’action de créer une rencontre, un prétexte pour réfléchir sur l’art, sur l’exposition que nous venons de voir, sur son contexte, son concept, sa présence… cette rencontre me semble aussi importante que l’œuvre même. L’art est pour moi une marche, une méthodologie, un lieu de reconnaissance de soi et de l’autre. Cette action était un geste qui faisait un appel à la mémoire collective. Il était un moment de convivialité qui incitait à la conversation, à un état de rencontre, une expérience sociale, une aide à la proximité.

D’abord, il est important de mentionner que ce souper fut organisé sans trop de réflexion. Malgré les grandes difficultés pour sa réalisation, sans savoir pourquoi, je sentais qu’il devait avoir lieu. Le sous-sol d’église est un lieu de réunions communautaires à l’atmosphère paroissiale à la fois accueillante, familière, mais aussi quelque peu rébarbative et où la sonorité laisse souvent à désirer. Ce lieu où se rassemblent plusieurs québécois pour des fêtes familiales, funéraires, de mariage… m’intriguait. Lorsque le spectateur était dans l’église, malgré le grand nombre de personnes non pratiquantes au vernissage, le public chuchotait afin de respecter le silence de l’église, un respect encore présent de la religion, d’une coutume identitaire. Dans le sous-sol, tout le monde parlait à haute voix, mangeait, riait, applaudissait… Gros jambon, rôtis de porc, de bœuf, patates jaunes et pilées, pâtés à l’orignal, pains de viande, salades, bières et jus de pommes… plusieurs ingrédients typiques de l’alimentation et des fêtes québécoises y étaient rassemblés. Une ambiance festive de sous-sol d’église, sans musique, comme si un souper de famille s’était improvisé et avait mélangé deux groupes ; les pratiquants habituels de l’église se confondaient à la communauté artistique de

Québec. Cet étrange métissage a donné naissance à quelques discussions sur l’identité. Commentaires sur la nourriture, sur la religion, sur l’entraide, les valeurs catholiques et, bien entendue, sur l’œuvre vue dans l’église. Cette soirée fut, pour moi, d’une beauté folle, une communication différente, un partage, un don de soi, des échanges. Cette réunion entre les deux groupes m’a réjouie de manière phénoménale sans savoir pourquoi, comme si c’était une nécessité, peut-être la

même nécessité dont parlait Camille Bouchard 9. C’était comme si cette rencontre

ressuscitait le « nous » un peu enterré dans notre confort. Je ne peux élaborer sur ce sentiment « d’obligation » de regroupement, tant dans ma vie de tous les jours que dans mes créations. Ce qui est certain, c’est qu’une réflexion a été faite sur la mémoire collective, de ma part et par les spectateurs. Instinctivement, j’ai organisé ce repas sans savoir exactement pourquoi. Celui-ci est devenu l’élément clé de ma méthodologie pour l’exploration 3. Ce moment communautaire fut ma première action de rencontre avec l’autre dans le cadre de mon corpus.

2. EXPLORATION 2 – LES SPOTTERS OU CONCERT DE BOTTES