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Diferencias/Similitudes – Exposition à l’ex-pénitencier de San José – Nécessité de la documentation lors des chemins

ESPACE PUBLIC

3.3 FAIRE ÉTAT D’UN CHEMIN

3.3.2 Diferencias/Similitudes – Exposition à l’ex-pénitencier de San José – Nécessité de la documentation lors des chemins

L’île San Lucas n’est pas ouverte à qui le veut. En effet, il est très dispendieux et complexe de s’y rendre. De mon côté, j’y ai accédé deux fois. La première virée sur l’ile, en guise de visite de prospection, fut mise sur pied par une compagnie touristique d’excursions de bateau. La seconde, qui avait pour but la réalisation de mon intervention, s’est effectuée en prenant rendez-vous avec le garde parc et en louant une chaloupe – ce qui est plutôt périlleux et aussi dispendieux. Ce lieu n’est accessible qu’aux gens aisés, donc à une minorité des Costaricains. Dans ce cas, je ne crois pas que nous pouvons mentionner que ce lieu est public, du moins, il est limité. Lorsque j’ai réalisé mon intervention, nous n’étions que trois personnes sur l’île.

Comme écrit plus haut, mes chemins ont de multiples parties et toutes ces sections sont incluses dans l’œuvre. Par exemple, pour San Lucas, le chemin est : les rencontres avec les Costaricains qui me disent que l’île est un lieu de mémoire important pour eux, l’errance sur l’île, dans les cellules et pour y aller et venir, la préparation pour la réalisation de l’intervention dans la prison et l’action, le lieu, sa mémoire, son langage, son contexte et la documentation de l’intervention qui est, en quelque sorte, l’archive de toutes ces étapes. La documentation vient apporter une nouvelle dimension, une autre vision, un cadrage de l’intervention, une sélection de ce que je souhaite « montrer ». « On demande trop peu à l’image quand on la réduit à une apparence. On lui demande trop quand on y cherche le réel lui-même. Ce qu’il faut, c’est de découvrir en elle une capacité de nous faire

repenser à tout cela. »29

En effet, ces images qui documentent mes interventions font régulièrement partie de mon processus de création, elles sont une autre étape de production et de réception. Elles sont utilisées pour revenir sur l’intervention, souvent très éphémère, afin de faire réfléchir sur le sujet posé, au même titre que chacune des

autres étapes. Qu’il s’agisse d’une intervention réalisée en espace public – comme dans le cas du Chemin des disparus en Argentine – ou en espace privé – comme sur l’île San Lucas au Costa Rica – chacune d’elles est limitée dans le temps et atteint un nombre restreint de personnes. Bien que ces œuvres soient dépendantes des lieux, la documentation réalisée vient faire état d’une partie de l’œuvre. La documentation n’est pas pensée pour « documenter » l’œuvre, mais bien comme œuvre photographique. Les photographies pourront, à leur tour, être diffusées dans un lieu de mémoire où elles auront d’autres portées esthétiques, philosophiques, politiques, etc. Par exemple, dans le cas du Costa Rica, j’ai installé une des photographies prises à la prison San Lucas dans un lieu qui porte une mémoire similaire. Le Musée des enfants de San José est une ancienne prison qui était ouverte au même moment que celle de San Lucas. Toutefois, le pénitencier de San José a été complètement restauré pour en faire un lieu important pour les enfants. Ce changement d’usage complet est une sorte de quiétude, un espoir pour une vie sans violence. Dans l’une des cellules du Musée, j’y ai exposé un tapis rouge et une photographie de l’intervention réalisée à San Lucas. Les barreaux et l’allure de la prison y sont toujours, mais tout est propre, les signes de barbarie ont été éliminés, balayés. Comme à San Lucas, je souhaitais que le Musée des enfants fasse intégralement partie de l’œuvre, qu’il parle de sa mémoire par son architecture, mais également de son présent par sa propreté. La présence de la documentation de San Lucas ainsi que le tapis rouge faisaient un parallèle entre ce que le lieu était et ce qu’il est maintenant, soit jadis un endroit de sévices et maintenant un lieu de jeu pour les enfants, un lieu de solidarité, un lieu heureux.

Dans le cadre de cette exposition, la documentation de San Lucas était utilisée comme œuvre photographique, une mise en abîme, comme une éternelle répétition de l’horreur des prisons. Placée dans le musée des enfants, cette photographie dialogue entre deux temps, deux époques, deux espaces, elle ressort les affects du lieu, son langage ainsi que la laideur de la société de violence.

Figure 33 - Détail de l’intervention Diferencias/similitudes. Matériaux : Lieu, tapis rouge, photographie. Lieu : Ancien pénitencier de San José/Museo de los niños, Galeria Nacional del Costa Rica, San José, Costa Rica. (2012)

Figure 34 - Détail de l’intervention Diferencias/similitudes. Matériaux : Lieu, tapis rouge, photographie. Lieu : Ancien pénitencier de San José/Museo de los niños, Galeria Nacional del Costa Rica, San José, Costa Rica. (2012)

À la suite de mes chemins et de la rédaction de mon livre, j’ai cru bon de tenter de traduire ces errances en œuvre plastique. Cette installation, qui porte le même titre que le livre que j’ai réalisé, a été diffusée à la Maison Hamel-Bruneau, lieu où la mémoire n’a aucun rapport avec l’œuvre. La décision de diffuser à la Manif d’art 7, une œuvre en relation avec mon travail effectué en Argentine a été prise afin d’avoir l’occasion de réfléchir la manière de faire état d’un chemin. Le livre a également été réalisé dans ce but. Quels moyens sont possibles pour faire état de ces chemins à l’extérieur du lieu même de l’errance? Comment arriver à les faire vivre, à mettre en perspective ces expériences ? Comment faire pour que cette installation ne soit pas de l’ordre d’un récit de voyage ? Comment amener le récepteur à prendre part à ma réflexion, à vivre les échanges avec les mères et les ex-détenus ? La mise en place de l’exposition dans l’ancien pénitencier de San José ainsi que la rédaction du livre me semblent les deux approches les plus appropriées jusqu’à maintenant. La proposition première que j’avais faite à la Manif d’art me paraît aussi adéquate, soit la diffusion des photographies de la prison de San Lucas et du tapis rouge dans les cellules du Musée National des beaux-arts du Québec. Ainsi, une imbrication des aversions des pénitenciers costaricains avec ceux du Québec aurait eu lieu. Un parallèle entre ma propre culture et celle du pays exploré aurait pris place et le passage au général aurait été instantané.