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DIFERENCIAS/SIMILITUDES – LA ISLA SAN LUCAS

ESPACE PUBLIC

3.2 DIFERENCIAS/SIMILITUDES – LA ISLA SAN LUCAS

Pour la réalisation de mon chemin au Costa Rica, j’ai été accueillie en résidence par le centre Odysseys de San Ramón de l’Alajuela. Dans le cadre de ce chemin, la recherche de lieux de mémoire fut assez difficile à effectuer. Lorsque j’ai questionné les citoyens afin de savoir quel était le lieu de mémoire le plus important pour leur identité collective, la plupart n’avaient aucune idée de la réponse. Cette question était-elle difficile à assurer puisque le sujet interrogé ne connaissait pas son lieu de vie et son histoire ? Dans ce cas, la connaissance de l’Histoire de son peuple, de la mémoire de son pays est importante. Après quelques investigations, j’ai réalisé qu’une grande partie de la population de San Ramón n’avait jamais ou presque jamais sorti de la ville. La sédentarisation de ces gens affecte sûrement la connaissance de leur « nous » et même leur « moi ». Les discernements des cultures, des provinces, des villes viennent alimenter la connaissance de ses identités. Toutefois, ne serait-ce que par un manque d’intérêt des lieux de mémoire collectifs que la population avait du mal à répondre à ma question ? Ou peut-être parce que leur culture ne portait pas d’attention particulière à la mémoire des lieux ? Serait-ce parce qu’ils ne comprenaient simplement pas ma question ou même le concept de lieux de mémoire ? Je suis incapable de répondre à ces interrogations, mais malgré ces obstacles, j’ai réussi à discuter avec une vingtaine de personnes afin de sélectionner quelques lieux.

De la forêt à l’île San Lucas en passant par les lieux historiques de Guanacaste, le Musée des enfants (ex-pénitencier de la Capitale) et le Musée national (ancienne base militaire), tous ces lieux dictés par les Ticos me paressaient en lien. Ces endroits étaient tous des espaces de batailles, de violence, de torture. J’ai donc débuté mon chemin dans le pays tout en continuant à poser ma question à l’autre.

L’île San Lucas, aussi nommée l’île des hommes seuls, est sombre, noire. Les citoyens m’ont envoyée sur cette étendue de terre au milieu de l’océan puisqu’il y avait, il y a une vingtaine d’années, une prison aux allures de Guantanamo, ou du moins, de ce que j’imagine de Guantanamo. Il y a bien sûr une comparaison à faire

entre cette prison et les camps de concentration argentins. Entre autres, dans les 2 endroits, les droits de l’Homme et de la Femme n’étaient aucunement respectés. Toutefois, en Argentine, l’incarcération des personnes était due à une pensée ou un geste politiques et il y avait une solidarité incroyable entre les détenus et entre leurs familles. À San Lucas, les raisons d’incarcération étaient bien différentes, il s’agissait de prisonniers ayant commis des crimes de haut calibre, soit des meurtres, des viols, de la pédophilie… ou des vols dans des églises. Je ne pouvais aucunement travailler de la même manière.

Ce lieu important pour la mémoire collective des Costaricains – selon quelques- uns d’entre eux – est marqué de graffitis qui m’apparaissaient comme une terreur, comme témoins d’horreur. Pourquoi les lieux de mémoire sont-ils aussi souvent des endroits de violence? Comment les identités d’un peuple peuvent-elle se former à travers la peur? Est-ce que les lieux d’horreur font partie de notre mémoire collective, de nos identités parce que nous les vénérons? Que voulons- nous dans notre société, dans nos journaux, dans nos téléromans, nos films à succès? Si l’on n’y trouve pas de suspense, de violence, les grands médias n’ont pas la cote. Si l'on n'y voit pas de spectaculaire, de sang, de sexe, l'on n'y porte aucun intérêt.

Lorsque j’ai vu la prison de San Lucas, une lourde référence à la société du

spectacle23 m’était présentée. J’ai donc utilisé le symbole fard de cette société

hollywoodienne, soit le tapis rouge, et l’ai installé au centre de cellules. Cette allégorie propose la vénération d’une société de spectacles où les droits de l’Homme et de la Femme sont écrasés par une fausse beauté.

Figure 25 - Détail de l’intervention Diferencias/similitudes. Matériaux : Lieu, tapis rouge. Lieu : Pénitencier le l’île San Lucas, Puntarenas, Costa Rica. (2012)

Figure 26 - Détail de l’intervention Diferencias/similitudes. Matériaux : Lieu, tapis rouge. Lieu : Pénitencier le l’île San Lucas, Puntarenas, Costa Rica. (2012)

Figure 27 - Détail de l’intervention Diferencias/similitudes. Matériaux : Lieu, tapis rouge. Lieu : Pénitencier le l’île San Lucas, Puntarenas, Costa Rica. (2012)

Figure 28 - Détail de l’intervention Diferencias/similitudes. Matériaux : Lieu, tapis rouge. Lieu : Pénitencier le l’île San Lucas, Puntarenas, Costa Rica. (2012)

À lui seul, le lieu en disait long : tous ces graffitis, cette poussière, cet espace vide qui fut paqueté d’hommes désillusionnés, consternés. Le lieu articulait un langage et le tapis rouge en portait un autre, soit l’adulation de ce monde malveillant, antipathique qui mène à la violence, à l’adoration de cette société de spectacle. Le lieu « porte déjà en lui ce caractère de lieu de perdition lente où s’effectuait la mort par maladie et par désespoir au quotidien, dans l’illusion des splendeurs

passées ».1917 En effet, comme pour l’œuvre Au cinquième jour était l’Anneau de

Boltanski, Kabakov et Kalman, cette œuvre réalisée à San Lucas inclut le lieu de mémoire, le lieu fait partie de l’œuvre et l’œuvre ne peut vivre sans celui-ci.