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La nature juridique de la dépense. Qualifier juridiquement le paiement n’a pas été

Dans le document La prodigalité en droit privé (Page 56-59)

LES ÉLÉMENTS OBJECTIFS DE LA PRODIGALITÉ

SECTION 1 : LES DÉPENSES

33. La nature juridique de la dépense. Qualifier juridiquement le paiement n’a pas été

dans les objectifs du législateur. Il énonce laconiquement qu’il se prouve par tous moyens127. Il peut s’analyser comme un fait juridique. Il peut aussi provenir d’un acte juridique dérogeant au régime probatoire de la preuve parfaite. La jurisprudence et loi ne se prononcent pas au sujet de

123 Cl. Quetand-Finet, La nature juridique du paiement : ce que la controverse nous apprend, D. 2013. 942, (II).

124 C. civ., art. 1253.

125 T. Le Gueut, Le paiement de l’obligation monétaire en droit privé interne, op. préc.

126 « C’est au cas par cas que l’on doit procéder pour déterminer la nature juridique du paiement exécutif.

Si les actes d’exécution de l’obligation ne produisent aucun effet de droit, le paiement exécutif va présenter la nature d’un fait matériel. Si les actes d’exécution de l’obligation produisent par eux-mêmes un effet de droit, le paiement exécutif sera un évènement juridique. Selon la source de cet effet juridique propres aux actes d’exécution de l’obligation, le paiement exécutif sera qualifié d’acte ou de fait juridique » : T. Le

Gueut, ibid., p. 229, n° 346. 127 C. civ., art. 1342-8.

la nature du paiement. La qualification de la dépense-paiement est d’autant plus approximative que la dépense ne s’entend pas systématiquement de l’exécution d’une obligation128. En ce sens, l’indemnisation des dépenses du gérant d’affaires ne trouve pas son fondement dans un acte juridique. La possibilité d’agir contre le maître d’affaires résulte avant tout du législateur et non de la volonté des parties129. Ces arguments ne permettent toutefois pas d’affirmer que la dépense ne sera pas nécessairement rattachée à un paiement. Dans la gestion d’affaires, l’indemnisation des dépenses a pour fondement un quasi-contrat, constituant lui-même une source d’obligation. Le maître d’affaire est tenu à une obligation de rembourser dont l’exécution ne peut s’entendre que d’un paiement. La gestion d’affaires étant par nature un fait juridique, la dépense-paiement provenant de celle-ci devrait revêtir une qualité identique. Cela revient néanmoins à confondre le fait générateur de la dépense et la dépense elle-même. Car si la gestion d’affaires est un fait juridique, la dépense n’en est pas moins volontaire dans la mesure où celui qui s’oblige choisit toujours de l’effectuer. Dans le même ordre d’idée, l’erreur sur son montant ne peut remettre en question la volonté de dépenser. Payer une somme incorrecte ne peut empêcher le désir de s’acquitter et d’être ainsi libéré du poids de la dette.

Ceci étant précisé, force est d’admettre que la dépense découle bel et bien de la volonté de celui qui l’effectue. L’affirmation ne saurait être contredite par l’existence des prélèvements automatiques sur le compte de celui qui en est titulaire. En les validant, il autorise de manière successive, les dépenses. Véritable manifestation de volonté, la dépense doit systématiquement être envisagée à l’aune d’un paiement et plus encore d’un acte juridique. La dépense-paiement connaît toutefois une exception fondamentale. En effet, dans l’éventualité d’une répétition de l’indu, la dépense ne procèdera jamais d’un paiement car la dette n’aura, par principe, aucune existence. En revanche, la dépense effectuée va donner lieu à une créance de restitution qui elle, sera à l’origine d’un paiement. C’est reconnaître que la dépense aura souvent cette qualité, sans qu’elle ne soit systématique, ce qui ne sera cependant pas de nature à remettre en question sa qualification d’acte juridique. Une question demeure néanmoins, qui est celle de déterminer la catégorie juridique à laquelle s’affilie la dépense ? Plus spécialement, la question se pose de savoir si elle se rapproche davantage d’un acte de disposition ou d’un acte d’administration. Répondre à l’interrogation implique de revenir sur les critères à même d’opérer une distinction entre ces deux catégories juridiques. S’il n’est pas contestable d’arguer que la dépense revêtira ces qualités selon son montant et le but auquel elle aura été affectée, il convient notamment de

128 Ce qui correspond à la définition du paiement.

129 Les juges admettent que « le tiers qui, sans y être tenu, a payé la dette d’autrui de ses propres deniers

a, bien que non subrogé dans les droits du créancier, un recours contre le débiteur » : Cass. civ. 1ère., 13 oct. 1998, n° 96-22.515. Ce recours a pour fondement le quasi-contrat que constitue la gestion d’affaires : Cass. civ. 1ère, 12 janv. 2012, n° 10-24.512.

s’attarder sur le critère applicable à la qualification d’acte de disposition, dans la mesure où cet acte en particulier, aura le plus de répercussion dans le cadre de la prodigalité.

La dépense, telle que définie précédemment, s’entend d’un appauvrissement corrélatif à transfert de propriété volontaire. Il s’agit d’une aliénation et plus particulièrement d’un acte juridique. L’acte peut être qualifié d’acte d’administration ou de disposition. Le domaine de ce dernier dépendra du critère retenu lors de sa qualification. Spécialement, l’acte de disposition s’entend de « l’opération grave qui engage ou entame un patrimoine, pour le présent ou pour

l’avenir, dans ses capitaux ou sa substance, dont la vente d’immeuble est l’exemple type mais qui peut aussi correspondre à d’autres actes que des aliénations »130. Il rejoint ainsi la finalité de la dépense, le verbe « dépenser » signifiant littéralement consommer, user, ce qui sous-tend une diminution de la substance, une altération de la chose sur laquelle elle porte. Deux critères permettent de délimiter à la fois la notion et son domaine. Le premier est d’ordre juridique, et prône que l’acte de disposition est « celui qui a pour objectif direct et immédiat de mener à la

disparition, avec ou sans contrepartie, du bien ou du droit sur lequel il porte »131. Le second est économique et prend en considération l’ensemble des répercussions patrimoniales, directes ou indirectes, pour qualifier un acte juridique d’acte de disposition132.

Il semblerait cependant que ce soit ce second critère qui soit privilégié par la doctrine et le législateur. Le décret du 22 décembre 2008, relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées sous tutelle ou curatelle, entend l’acte de disposition comme celui qui engage le patrimoine par un trouble important et grave de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire133. L’acte de disposition se veut exceptionnel et anormal. C’est son incidence économique globale qui est prise en considération dans l’identification de cette qualité. La dépense ne saurait pour autant se restreindre à ce seul critère. Cela reviendrait à n’admettre la dépense que par rapport à son rôle économique dans la gestion du patrimoine134, l’excluant dans les autres hypothèses. Au

130 Vocabulaire juridique (Cornu), V ° acte de disposition. Le décret du 22 déc. 2008 donne également une définition de l’acte de disposition qui correspond aux « actes qui engagent le patrimoine de la personne

protégée, pour le présent ou pour l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire » : art. 2 du

décret n° 2008-1484, du 22 décembre 2008.

131 D. Berra, Le principe de libre disposition des biens en droit civil : contribution à la notion d’indisponibilité juridique, Nancy, 1969, p.93 et s.

132 R. Verdot, De l’influence du facteur économique sur la qualification des actes d’administration et de disposition, RTD civ. 1968, p.449.

133 Art. 2 du décret du 22 décembre 2008, n° 2008-1484, préc.

134 R. Verdot, De l’influence du facteur économique sur la qualification des actes de disposition et d’administration, art. préc., p. 449.

contraire, le critère juridique apparaît plus pertinent car plus étendu. Indépendamment des effets économiques de l’acte, rentrent dans cette catégorie les actes qui ont pour incidence la disparition du droit ou du bien qu’ils visent. La jurisprudence inclut par ailleurs tous les actes abdicatifs et extinctifs dans la catégorie d’actes de dispositions135. Cela correspond à la définition voulue de la dépense, l’essentiel étant qu’elle cause l’appauvrissement de son auteur indépendamment de son caractère exceptionnel ou anormal. Dans le cadre de la prodigalité, la dépense est une aliénation, acte juridique de disposition ou d’administration, en fonction des circonstances dans lesquelles elle s’inscrit. La valeur, la nature et l’importance quantitative des biens concernés par elle ne devront jamais être prises en considération.

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