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Hétéronomie de la volonté du prodigue

Dans le document La prodigalité en droit privé (Page 116-119)

LES ÉLÉMENTS SUBJECTIFS DE LA PRODIGALITÉ

SECTION 1 : LES FAIBLESSES DE LA VOLONTÉ DU PRODIGUE

2. Hétéronomie de la volonté du prodigue

83. Exposé de la théorie de l’autonomie de la volonté. L’autonomie de la volonté est la

théorie selon laquelle la volonté de l’homme est apte à lui donner sa propre loi. Elle provient de la philosophie de Kant404, qui affirmait que les individus ne peuvent se tromper lorsqu’ils décident pour eux-mêmes405. Le contrat est censé avoir pour fondement l’accord des volontés des parties. Parce qu’il est impossible de léser ses intérêts, il est alléchant d’arguer, à l’instar de Fouillée, que « qui dit contractuel dit (nécessairement) juste ». Les rédacteurs du Code civil de 1804 se sont d’ailleurs ralliés à cette position doctrinale. Consensualisme et liberté contractuelle sont de parfaites illustrations de ce dogme juridique. Le respect de la parole donnée a fait l’objet de l’article 1134 du Code civil. La réforme du droit des obligations a littéralement paraphrasé l’ancienne version406. Il s’est engagé sans contrainte : l’homme ne peut plus revenir sur ce qu’il a promis. L’autonomie de la volonté se veut donc à l’origine de la force obligatoire des contrats. Elle ne peut néanmoins ériger en véritable principe l’absolutisme de la volonté. L’affirmation aurait dû conduire à ce que la volonté ne soit jamais subordonnée à une contrainte extérieure.

402 S. Gjidara, L’endettement en droit positif, op. cit., p. 309, n° 368. Égal. « Toute une théorie s’est

développée « autour » de la volonté : manifestation, rôle, qualités de la volonté, mais le mécanisme même de la volonté, ses composantes n’ont pas été étudiés en tant que tels » : N. Chardin, Le contrat de

consommation de crédit et l’autonomie de la volonté (préf. de J-L Aubert), coll. Bibliothèque de droit privé, tome CXCIX, p. 51, n° 57.

403 C. civ., art. 425.

404 E. Kant, La critique de la raison pure (éd. 1778).

405 « Quand quelqu’un décide quelque chose à l’égard de l’autre, il est toujours possible qu’il lui fasse

quelqu’injustice, mais toute injustice est impossible dans ce qu’il décide pour lui-même » : J. Ghestin, L’utile

et le juste, APD 1981, p. 35 et s. 406 C. civ., art. 1103.

Or l’article 6 du Code civil fait obstacle à ce qu’un contrat soit contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, démentant la suprématie de la volonté à l’origine de tout.

La volonté n’est pas souveraine, ne serait-ce que parce qu’un objet hors du commerce entache le contrat de nullité absolue407. D’aucuns ont alors pu suggérer qu’au lieu de résulter de l’autonomie de la volonté, la force obligatoire du contrat procéderait de l’appréhension de ce dernier par la loi. Reprenant les idées de Kelsen408, Rouhette affirmait que le contrat n’oblige que parce que la loi l’autorise et seulement dans la mesure où elle le prévoit409. Le contrat doit être envisagé comme un élément de l’ordre juridique. À la base de la pyramide des normes, il ne peut avoir de force obligatoire qu’à condition d’être conforme à toutes les dispositions qui lui sont supérieures410. Cette théorie normativiste, dont la justesse du raisonnement n’est pas contestable, a néanmoins subi la critique411. Mais les arguments invoqués restent pertinents car si l’autonomie de la volonté est à l’origine de la force obligatoire du contrat, comment se peut-il que la volonté « passée ou morte, ne l’emporte pas sur la volonté actuelle de qui refuse

d’exécuter le contrat » 412. Ce maintien ne saurait s’expliquer autrement que par l’intervention « d’une règle extérieure à la volonté : pacta sunt servanda, qui, dans la construction

pyramidale bien connue de Kelsen, trouve sa légitimité dans sa conformité aux normes qui lui sont supérieures »413. C’est reconnaître que c’est le positivisme juridique, non la volonté, qui se trouve à l’origine de la force obligatoire de l’engagement.

L’autonomie de la volonté est toutefois la conception qui domine en droit positif. Si les limites à la liberté contractuelle portent indirectement atteintes au principe, elles ne participent pas à sa remise en cause, mais apparaissent comme de simples atténuations à celle-ci. Le contrat est obligatoire du fait de l’autonomie de la volonté des parties au moment de contracter. Les atteintes à la libre disposition de la volonté doivent donc symétriquement aboutir à contester la force obligatoire de l’engagement. Or le législateur ne fait que présumer certaines hétéronomies de la volonté. Corrélativement, il exclut du domaine juridique les situations dont il ne souhaite

407 C. civ., art. 1128 ancien ; depuis la réforme du droit des obligations en date de 2016, cet article a disparu du Code civil de sorte que les choses hors commerce doivent désormais être appréhendées sous le prisme de l’ordre public.

408 H. Kelsen, La théorie juridique de la convention, APD, 1940, p. 33-76.

409 V. not. G. Rouhette, Contribution à l’étude critique de la notion de contrat (sous la dir. de R. Rodière), th. Paris 1965.

410 P. Hébraud, Rôle respectif de la volonté et des éléments objectifs dans les actes juridiques, in Mélanges Maury, Dalloz et Sirey, 1960, tome 2, p. 419 et s.

411 Pour un exposé concis de la théorie normativiste, v. not. infra, p. 316, n° 274 et s. 412 E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volonté en droit, op. cit., p. 344 et s. 413 Idem.

pas qu’elles soient prises en compte en droit positif. Le prodigue, qui ne fait pas l’objet d’une mesure de protection, est réputé agir en conformité avec ses intérêts et bénéficie d’une volonté libre car autonome. C’est sur ce point que se manifeste dès lors la faiblesse du droit positif.

Car en effet, la prodigalité se traduit essentiellement par des fortes obligations internes qui se manifestent par des pulsions d’achats. Le prodigue n’est pas capable de résister à son envie de dépenser. Plus particulièrement, il n’est pas libre car il est influencé dans ses dépenses par des facteurs internes et externes qui gouvernent sa volonté. Parce qu’il est la victime d’une conduite automatique et affective, son comportement procède d’une volonté défectueuse car défaillante, par définition hétéronome414. Par conséquent le droit admet la validité d’un contrat dont l’une des parties ne peut librement disposer de sa volonté. Aussi apparaît-il impossible de contester la validité de l’engagement du prodigue en invoquant l’intégrité du consentement. Il ne fait certes pas de doute que sa volonté n’est ni passée ni morte. Mais elle n’est pas non plus « pure ni raisonnable », de sorte qu’elle ne peut pas s’exercer « librement après réflexion et

délibération »415.

§2. Les conséquences liées à l’assujettissement de la volonté

84. Rôle de la volonté dans l’élaboration de l’acte juridique. De toutes les discussions

relatives à la volonté, la plus connue est indiscutablement celle de son rôle dans l’élaboration de l’acte juridique. Son utilité est prépondérante416. Elle ne saurait toutefois suffire à concrétiser l’obligation du contractant. Il a donc fallu identifier le critère transformant la seule volonté en volonté juridique. L’intentionnalité417 est le critère qui a généralement été privilégié418. La loi laisse cependant penser que l’absence d’intérêt mène à un défaut de volonté juridique (B). Le

414 Selon Plassard, l’hétéronomie « consiste pour la volonté à ne pas être sa propre législatrice, mais à

recevoir d’une influence étrangère à elle-même, le principe de son activité » : Autonomie au quotidien,

réponse à la crise, rôle et sens des micro-initiatives, chron. soc., Lyon, 1984, p. 107 et s., cité par N. Chardin, Le contrat de consommation de crédit et l’autonomie de la volonté, coll. Bibliothèque de droit privé, tome CXCIX, p. 34, n° 37, note 3.

415 Ibid, p. 309, n° 368.

416 Sur l’historique de la distinction entre actes et faits juridiques : J. Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans l’acte juridique (préf. de P. Raynaud), coll. Bibliothèque de droit privé, tome CXVII, p. 25 et s. 417 Sur la notion d’intentionnalité : J. Bentham, Introduction aux principes morale et de législation, coll. Analyse et philosophie (Vrin), 2011, pp. 109-115.

418 Effectivement, l’article 1100-1 du Code civil dispose que l’acte juridique est la « manifestation de

volonté destinée à produire des effets de droit », ce qui laisse penser qu’il faut à la fois la volonté de l’acte

prodigue n’agissant pas conformément aux siens (A) ne devrait pas pouvoir être en mesure de dépenser.

A. Les divergences entre la volonté et les intérêts du prodigue

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