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La prodigalité en droit privé

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Academic year: 2021

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Submitted on 4 Feb 2021

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La prodigalité en droit privé

Audrey Granvorka

To cite this version:

Audrey Granvorka. La prodigalité en droit privé. Droit. Université de Bordeaux, 2020. Français. �NNT : 2020BORD0162�. �tel-03131256�

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THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE

DOCTEUR DE

L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT (ED 41)

SPÉCIALITÉ DROIT PRIVÉ

Par Audrey GRANVORKA

« LA PRODIGALITÉ EN DROIT PRIVÉ »

Sous la direction de Jean-Marie PLAZY

Soutenue à huis clos le 07 Décembre 2020

Membres du jury :

M. DELMAS-SAINT-HILAIRE Philippe Président du jury

Professeur à l’Université de Bordeaux Mme FENOUILLET Dominique

Professeur à l’Université Panthéon-Assas, Paris II Rapporteur M. HOUSSIER Jérémy

Professeur à l’Université de Reims

Mme MARIA Ingrid,

Professeur à l’Université de Grenoble Mme PETERKA Nathalie

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L’université n’entend accorder aucune approbation, ni improbation aux opinions émises dans cette thèse : ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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Mes plus sincères remerciements s’adressent :

À mes parents, pour tout.

À ma sœur, pour son indéfectible soutien.

Au professeur Jean-Marie Plazy, qui a su m’accompagner, sans s’imposer, sur les chemins tortueux de la thèse.

À Laëtitia Petit, pour son amitié, ses conseils avisés, son écoute et ses nombreuses relectures. À Mireille Poirier, pour ses recommandations et ses encouragements

À ceux qui m’ont aidé, parfois sans le savoir :

Alice, Benoît, Candice, Charline, Clint, Damien, Dimitri, Gauthier, Jane, Jocelyn, Judicaël, Julien, Karl, Laurène, Magali, Marie-Laure, Marion, Mohamed, Nathalie,

Oumy, Pierre-François, Suzy, Thibaud, Vyctor et Yvan. Au personnel de la bibliothèque de droit privé.

Un merci tout particulier au professeur Philippe Delmas-Saint-Hilaire et au professeur Guillaume Drouot, qui m’ont permis de mettre ce sujet de thèse en perspective.

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LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

Aff. Affaire

AJ fam. Actualités journalières en droit de la famille

APD Archives de philosophie du droit

Art. Article

Art. préc. Article précité

ASH Actualités sociales hebdomadaires

BGB Code civil allemand

BNF Bibliothèque nationale de France

Bull. civ. Bulletin civil

BOCCRF Bulletin officiel de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes

C. ass. Code des assurances

C. civ. Code civil

C. com. Code de commerce

C. conso. Code de la consommation

C. éduc. Code de l’éducation

C. mon. Fin. Code monétaire et financier

C. pén. Code pénal

C. trav. Code du travail

C. sec. soc. Code de la sécurité sociale

CA Cour d’Appel

CCC Revue contrats, concurrence, consommation CASF Code l’action sociale et des familles

CGI Code général des impôts

Cass. civ. Chambre civile de la Cour de cassation

Cass. com. Chambre commerciale de la Cour de cassation Cass. req. Chambre des requêtes de la Cour de cassation Cass. soc. Chambre sociale de la Cour de cassation

CEDH Cour européenne des droits de l’homme

CIDE Convention internationale des droits de l’enfant CJCE Cour de justice des communautés européennes

Ch. Chambre

Chap. Chapitre

Chron. Chronique

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Coll. Collection

Cons. const. Conseil constitutionnel

Conv. EDH Convention européenne des droits de l’homme

D. Recueil Dalloz

DA Dalloz action

Dactyl. Dactylographié

DDHC Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

DH Dalloz hebdomadaire

Déclar. Déclaration

DP Dalloz périodique

DUDH Déclaration universelle des droits de l’homme

Égal. Également

GP Gazette du palais

In Dans

Infra Ci-dessous

JCP G Jurisclasseur périodique (éd. générale) JCP N Jurisclasseur périodique (éd. notariat) JNA Journal des notaires et des avocats

JO Journal officiel

JORF Journal officiel de la République française JOUE Journal officiel de l’Union européenne

Jurispr. Jurisprudence

LEDC L’essentiel Droit des contrats

LPA Les petites affiches

MAJ Mesure d’accompagnement judiciaire

MASP Mesure d’accompagnement social personnalisé

Mél. Mélanges

NCPC Nouveau Code de procédure civile

Not. Notamment

Obs. Observation

Op. préc. Ouvrage précité

P. Page

PACS Pacte civil de solidarité

Préf. Préface

PU Presses universitaires

QCCS Cour supérieur du Québec

RBF Revue de droit bancaire et financier

RDB Revue de droit bancaire

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RDI Répertoire de droit immobilier

RDP Revue de droit public

RDS Revue droit des sociétés

RDUS Revue de droit de l’université de Sherbrooke

RDC Revue de droit des contrats

RDF Revue de droit de la famille

RDSS Revue de droit de la santé et de la protection sociale RFDA Revue française de droit administratif

RPC Revue des procédures collectives

Rép. civ. Répertoire de droit civil

Rép. int. Répertoire de droit international

RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires

RPC Répertoire de procédure civile

RRJ Revue de la recherche juridique

RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial RTDH Revue trimestrielle des droits de l’homme

RSC Revue de sciences criminelles

S. Sirey

Somm. Sommaire

Sous la dir. de Sous la direction de

Spéc. Spécialement

Supra Ci-dessus

TGI Tribunal de grande instance

Trib. Tribunal

V. Voir

V° Verbo

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SOMMAIRE

Partie 1 : La notion de prodigalité

Titre 1 : Les éléments constitutifs de la prodigalité

Chapitre 1 : Les éléments objectifs de la prodigalité Chapitre 2 : Les éléments subjectifs de la prodigalité

Titre 2 : L’autonomie juridique de la prodigalité

Chapitre 1 : L’exclusion de la prodigalité du domaine de l’incapacité juridique Chapitre 2 : Le rattachement de la prodigalité à la notion de vulnérabilité

Partie 2 : Le régime juridique de la prodigalité

Titre 1 : Les insuffisances du droit positif

Chapitre 1 : La prodigalité saisie par le droit privé

Chapitre 2 : La prodigalité saisie par le droit de l’action sociale

Titre 2 : Les apports du droit prospectif

Chapitre 1 : Les fondements juridiques de la protection du prodigue Chapitre 2 : Les particularités de la protection du prodigue

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INTRODUCTION

« Ce n’est pas l’avarice qui est un vice, mais son contraire, la

prodigalité. Elle résulte d’une limitation bestiale au présent sur lequel l’avenir, qui n’existe encore qu’en idée, ne peut obtenir aucun pouvoir et elle repose sur l’illusion de la valeur positive et réelle des plaisirs sensuels. L’indigence et la misère future sont en conséquence le prix auquel le prodigue achète ces plaisirs vides, fugitifs, souvent même purement imaginaires (…). Pour cette raison l’on doit le fuir comme on fuit un pestiféré et dès que l’on a découvert son vice, rompre avec lui »1.

Arthur Schopenhauer.

1. Prodigalité et générosité. Distinction. La prodigalité a toujours fait l’objet de la plus

grande circonspection. Il est donc malaisé de blâmer Schopenhauer pour la dureté des propos qu’il tient à l’encontre du prodigue. Ils illustrent la défiance dont a fait l’objet ce comportement. Ils sont également révélateurs de l’acception péjorative qu’il reçoit au XIXème siècle. Envisagée

comme une tendance à dépenser à l’excès, la prodigalité se distingue alors mal de la générosité, inversement considérée comme une manifestation de la vertu. Cette porosité surprend, intrigue puis somme toute interroge : que fait le prodigue que l’homme généreux ignore ? Comment est-il possible de distinguer la prodigalité de la générosité ? La distinction entre les deux notions ne serait-elle pas psychologique ?

Dans son ouvrage intitulé « Les passions de l’âme »2, Descartes explique en quoi consiste

la générosité. Il considère que l’homme ne peut être loué ou blâmé que « s’il a usé de la libre

disposition de ses volontés en bien ou en mal »3. La générosité induit de ne « jamais manquer

1 A. Schopenhauer, Éthique droit et politique, « Parerga et paralipomena », 1851, traduction de A. Dietrich, fév. 1908.

2 R. Descartes, Les passions de l’âme, éd. Livre de poche, 2008. 3 Ibid, p. 141-142.

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de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures »4.

La définition met l’accent sur le bon usage de la volonté au moment de disposer. Elle suppose une aptitude à raisonner, à faire preuve d’un jugement pertinent, rationnel, que l’on ne retrouve pas lorsqu’il est fait référence à la prodigalité. L’aspect psychologique tient donc bien le beau rôle dans l’appréhension de l’attitude. C’est ce sur quoi met l’accent Schopenhauer lorsqu’il se réfère à ces plaisirs « vides, fugitifs, et souvent même purement imaginaires ». Nul doute, pour cet auteur, que le prodigue est un individu superficiel et futile. Délaissant la raison au profit de plaisirs fugaces et éphémères, la prodigalité ne peut être assimilée à de la générosité et sur ce point, le raisonnement de l’auteur apparaît incontestable.

Le philosophe n’a cependant pas su saisir les nuances qui existent entre la superficialité des dépenses et le fait de ne pas dépenser avec raison. Si tout un chacun peut être amené à dépenser avec insouciance, ne pas dépenser avec raison implique de n’avoir la maîtrise, ni de ses désirs, ni de ses agissements. La prodigalité et la générosité supposent, mais uniquement en apparence, des dépenses, une magnanimité et un altruisme synonyme de bienveillance. La première induit toutefois de dépenser sans intérêts, sans buts ; cela atteste du fait que le prodigue, contrairement à l’altruiste, agit assurément avec déraison. La plume de l’auteur est donc inutilement incisive. Selon ses propos, la prodigalité une maladie contagieuse et il incite à marginaliser le prodigue en présumant, de manière irréfragable, qu’il agit par vice. Or les malades ne devraient-ils pas être soignés, plutôt que désocialisés ? L’auteur fait montre d’intolérance et c’est ici que réside le vice principal de son argumentation.

2. Assimilation de la prodigalité à la folie en droit romain. Le droit romain avait déjà

pourtant saisi ces nuances. Sans lui donner de définition précise, il s’est livré à une interprétation rigoureuse de la prodigalité. N’est pas prodigue l’individu qui fait des libéralités excessives ou qui s’engage aisément dans l’intérêt de ses amis. Ce qui le caractérise et explique l’exagération de ses dépenses est un attrait pour les jouissances et un défaut de caractère qui le rend incapable de se modérer5. Ainsi, si la générosité est une disposition à donner avec largesse6, la prodigalité

s’entend d’une générosité débauchée et pervertie, car elle ne peut impliquer que de la démesure. Cette démesure ne saurait d’ailleurs s’expliquer que par l’amour des plaisirs, du luxe, tout cela résultant plus précisément d’un dérèglement des mœurs. Ce même élément moral, délaissé plus tard par Schopenhauer, apporte un premier éclairage sur l’état d’esprit du prodigue au moment de dépenser. Son « vice » est, en réalité, une défaillance de sa volonté. Ne découlant pas d’une

4 Idem.

5 A. Audibert, Études sur l’histoire du droit romain, vol. I, La folie et la prodigalité, BNF, 1892, p. 96. 6 Le Petit Larousse illustré, éd. 1993, v° générosité.

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attitude volontaire, le législateur s’est toutefois satisfait de faire de la prodigalité une forme de folie.

Cette assimilation résulte sans nul doute d’un manque de connaissance. Le droit romain met sur un pied d’égalité le furiosus, malade violent et agité, susceptible d’intervalles lucides, le mente captus, à la folie permanente, le demens, atteint d’une dégénérescence cérébrale et le faible d’esprit, appelé faluus, insanus ou stultus7. Les trois premières classifications ne laissent

planer aucune incertitude quant à l’existence d’une altération des facultés mentales de celui qui en est la victime, attestant réellement de la folie. L’absence de définition de la faiblesse d’esprit rend, en revanche, cette évidence plus nuancée. Elle est pourtant la catégorie dont-on pourrait le plus vraisemblablement rapprocher le comportement prodigue. Elle suppose un manque de force morale, une force morale dont est dépourvu celui qui dépense par impulsion, déterminé par une cause qui le pousse à l’action. Il n’est pas question de l’altération des facultés mentales, car les dépenses faites sans utilité ni raison ne traduisent pas systématiquement une défaillance de ces aptitudes. Le manque de force morale s’apparente davantage à un défaut de caractère ; or le défaut de caractère n’est pas à l’origine d’une maladie mentale.

3. Protection du prodigue en droit romain et en droit classique. Le droit romain n’a

pas été en mesure de pousser les recherches en matière de psychiatrie à leur paroxysme. Le but de la loi était d’encadrer les personnes victimes de leurs propres défaillances. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait fait preuve de rigueur à l’encontre de la prodigalité. Rapproché de la folie en raison d’un dérèglement des mœurs, ce comportement a été assimilé à une forme dangereuse d’aliénation, justifiant l’élaboration d’un corps de règles dont l’objectif a été de sanctionner le prodigue juridiquement.

La rudesse du droit romain s’est manifestée à plusieurs égards. Elle apparaît principalement dans son désir de rendre le prodigue incapable. L’interdiction, jugement qui « prive quelqu’un

de l’administration de ses biens et même quelque fois de sa personne »8 a semblé être le moyen

opportun de parvenir à ce résultat. À l’origine limitée à un ou plusieurs actes déterminés, elle a rapidement porté sur les actes ressortissants du commercium9, avant de gagner, généralement,

l’ensemble des actes de disposition10. La mise en place d’une curatelle légitime, incidence du

prononcé de la mesure, a cependant relativisé le danger provoqué par la prodigalité. De quelque

7 Dr. J-P Henry Coutagne, La folie au point de vue judicaire et administratif, leçon faite à la faculté de droit de Lyon dans l’année 1887-88, coll. Bibliothèque d’anthropologie criminelle et des sciences pénales, A. Storck, 1889, p. 26.

8 J. Bart, Histoire du droit privé, de la chute de l’Empire romain au XIXème siècle, coll. Domat, 2ème éd.,

2009, p. 348. 9 Ibid, p. 142.

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manière que fut rédigée la loi des Douze Tables, elle n’assurait pas à tous les prodigues la mise en place de cette protection légale. Pour qu’elle eût pu être invoquée, il fallait qu’ils ne fussent plus sous la puissance du père et que le paterfamilias eût succédé à ce dernier ab intestat11. Le

prodigue était entendu d’une manière particulière. Il ne s’agissait pas d’un dissipateur lambda, mais de l’individu qui, ayant succédé à son père, dissipait les biens paternels.

En apparence charitable, cette solution ne reflète en réalité que la volonté de conserver à la famille un héritage important. Aussi, il est possible d’alléguer que les dispositions romaines ne songeaient pas à protéger le prodigue mais ses héritiers présomptifs12. Le droit romain donne

lui-même les fondements de cette conclusion dénuée de toute idée de bienfaisance. Le fils de famille est copropriétaire du patrimoine paternel, qu’il a lui-même vocation à transmettre à ses héritiers. Il paraissait donc bien naturel que les affranchis, les enfants nés hors mariage et les « sui juri » soient exempts de cette protection juridique. La loi romaine n’avait d’autre objectif que de réprimer un comportement qui portait atteinte à la réputation de la famille. Cet égoïsme s’est atténué avec la venue de la curatelle dative, appliquée aux individus exclus du champ des Douze Tables. D’application subsidiaire, elle a succédé à la curatelle traditionnelle, laissant le soin aux juges de préciser ce nouveau système d’incapacité.

Il est apparu immoral voire dangereux de laisser un individu se ruiner sans motifs ni raisons. Rompant avec les solutions traditionnelles, le droit classique a abandonné la systématicité des incidences de l’ancienne interdiction, enjoignant désormais de faire une analyse casuistique des actes effectués par le prodigue. La théorie de cette interdiction est connue : une distinction est opérée entre les actes qui rendent la condition meilleure et ceux qui la rendent pire. Dans la première hypothèse, le prodigue est réputé capable de les effectuer. Dans la seconde hypothèse, le prodigue interdit est dit incapable d’agir. La curatelle dative s’étend également à l’ensemble des biens du prodigue. Ainsi peut-on arguer que la protection de la personne éclipse timidement l’impératif de conservation des biens dans la famille, au bénéfice de la protection de l’individu lui-même. La mauvaise réputation du prodigue reste néanmoins vivace et a copieusement pesé sur lui une certaine forme d’opprobre. Son autonomie graduelle a finalement permis de mettre un terme à son déshonneur.

11 Le chef de famille, en instituant son fils héritier par son testament reconnaissait qu'il était capable de bien administrer ses biens et dans ce cas, la curatelle était exclue, R. Monier, Manuel élémentaire de droit romain, vol. I, coll. Domat, 6ème éd. 1947 p. 332.

12 J. de Malafosse, De la condition du prodigue en droit romain et français, thèse dactyl. Toulouse, 1879, p. 20.

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4. Autonomie progressive du prodigue. Le prononcé de l’interdiction avait pour effet de

faire du prodigue une personne infâme13. Indépendamment de toute décision du magistrat, elle

conduisait à sa marginalisation, ce qui rendait illusoire l’idée d’une éventuelle convalescence. La méfiance à son égard s’est toutefois atténuée au profit de son indépendance progressive. Ce choix a été déterminé par le fait que personne n’est assez infaillible pour ne pas, un jour, gérer ses biens de façon nuisible à ses intérêts14. Sous le Bas Empire, la ratification des actes effectués

par le prodigue a donc été permise, sauf à démontrer l’existence d’une mauvaise gestion. Un tel adoucissement lui a d’ailleurs été bénéfique, car son exclusion sociale était un frein indiscutable à sa réhabilitation. Cela a corrélativement permis de noter l’évolution de la société à l’encontre de la prodigalité. Elle n’est plus considérée comme une attitude répréhensible, mais a exacerbé d’autres problématiques : si chacun peut faire une mauvaise affaire, où commence et où s’arrête la prodigalité ?

Car à l’instar du droit romain, l’ancien droit ne précise pas en quoi consiste exactement ce comportement. Au plus devine-t-on qu’au titre des éléments constitutifs figurent les notions d’excès, d’habitude et une certaine forme de folie. La notion d’excès, qui aurait dû conduire à une appréciation comptable de la dépense, reste marquée par l’idée de conservation des biens dans la famille. La coutume de Bretagne dispose expressément que l’interdiction doit être prononcée à l’encontre de « toute personne ayant dissipé, par un esprit de profusion, plus de

la tierce partie de son fond »15. Or cette référence au tiers de la fortune est issue d’une vieille

pratique successorale selon laquelle « l’aîné recueille les deux tiers de l’héritage »16, les autres

enfants devant se contenter du tiers restant. Quant à la notion de folie, trop volatile, elle est laissée à l’appréciation des juges du fond. En effet, « il n’y a point de règles précises sur le

degré auquel doit-être porté le dérangement pour provoquer l’interdiction proprement dite ».

Il appartient « à la prudence du juge à arbitrer, d’après les circonstances, si la personne qu’on

lui défère comme prodigue doit être regardée comme telle dans le sens de la loi »17. Il n’y a

donc que la notion d’habitude qui permet d’appréhender la prodigalité avec la minutie dont elle doit normalement faire l’objet. Il paraît ainsi nécessaire qu’il y ait plusieurs actes de profusion pour que l’interdiction soit prononcée. L’habitude vient effectivement légitimer la mise en place de la mesure car, disait à l’époque Denisart, « il faut qu’il y ait une disposition prochaine

à la ruine, à laquelle des commencements déjà trop funestes doivent nécessairement

13 J. Clément, Le problème de la prodigalité et son évolution dans la jurisprudence, thèse dactyl. Lille, 1934, p. 25.

14 J. de Malafosse, De la condition du prodigue en droit romain et français, op. préc., p. 76. 15 A. Gotman, Dilapidation et prodigalité, coll. Essais & Recherches, éd. Nathan, 1995, p. 237. 16 Idem.

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préparer »18. Ses mauvais penchants nuisent au prodigue en lui faisant progressivement perdre

de son autonomie. Ce n’est pas pour le décrier mais pour le protéger que la mesure, qui demeure exceptionnelle, doit lui être appliquée.

La volonté d’autonomiser le prodigue a perduré jusqu’à la Révolution. Le changement des mœurs a également abouti à considérer la mesure comme attentatoire aux libertés individuelles. Elle empêchait le prodigue d’aliéner et de disposer de ses biens. Il était assujetti au bon vouloir du curateur qui, comble de l’humiliation, était chargé de lui fournir des aliments. La pratique était d’autant plus conjecturale que les fondements de la protection manquaient de pertinence. Effectivement, la présomption de folie du prodigue était remise en question par la possibilité, pour chacun, d’agir un jour en contradiction avec ses intérêts. Afin de pallier ces difficultés, certaines coutumes ont assoupli le régime juridique de la prodigalité. Les actes importants n’ont plus été proscrits mais autorisés avec l’assistance d’un conseil donné par justice19. À l’inverse

de la représentation, qui implique la substitution du prodigue au profit d’un tiers, l’assistance a accru ses pouvoirs et son indépendance sous l’étroite surveillance du juge.

L’adoucissement des lois encadrant la prodigalité prépare, bien que de très loin, l’apparition d’un système mettant la personne du prodigue au centre de sa protection. Mais ce qui pourrait être perçu comme un progrès pointe du doigt les lacunes d’un droit qui manque déjà de rigueur. Si l’ancienne législation n’était pas idéale, elle avait pour avantage de prendre en considération la subjectivité dont est indéniablement marquée la prodigalité. En faisant référence à un attrait pour les jouissances ou au défaut de caractère, elle avait saisi les subtilités de ce comportement et la faiblesse d’esprit d’un homme qui ne peut être assimilé à tous. En délaissant l’état d’esprit du prodigue au moment de dépenser, le droit classique et le droit coutumier pêchent par excès d’imprudence. Le Code civil napoléonien ne va pourtant pas remédier à cette problématique et va, au contraire laisser planer l’ambiguïté au sujet de la qualification juridique de la prodigalité. Jusqu’alors considéré comme une attitude dangereuse, la doctrine est amenée à s’interroger sur la pertinence de la protection des prodigues. L’aspect psychologique de la prodigalité s’atténue, sans totalement disparaître, au profit de ses éléments matériels et objectifs.

5. Identification des éléments constitutifs de la prodigalité. Les travaux préparatoires

du Code civil ont bouleversé l’acception péjorative attachée à cette attitude. Les rédacteurs ne croyaient pas que la ruine du prodigue pouvait justifier le maintien de l’interdiction. Ses effets

18 J.B Denisart, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, 1771, tome 3, « Interdiction », p. 3.

19 J. Berriat-Saint-Prix, De la condition des fous et des prodigues en droit romain. Du Conseil judiciaire en droit français, thèse dactyl. Versailles, 1867, p. 58.

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sur la capacité juridique faisaient d’elle une institution inappropriée. La question s’est posée de savoir si la prodigalité devait encore faire l’objet d’une règlementation légale.

Deux courant doctrinaux se sont dès lors opposés. Le premier, en défaveur de la protection, faisait valoir la suprématie du droit de propriété, qui permet à chacun de disposer de ses biens. Après tout, « si la prodigalité est sans doute l’abus de la propriété, cette dernière n’est-elle

pas le droit d’user et le droit d’abuser de ses biens ? »20. L’absence de protection de l’avare,

nocif à la société en ce qu’il ne participe pas à la circulation des richesses, a été avancée pour justifier cette argumentation révolutionnaire.

La nécessité de la protection a toutefois pris le pas sur ces arguments extrêmement libéraux. Le second, en faveur d’une appréhension de la prodigalité par le droit, a mis en avant des idées pragmatiques. Il a été avancé qu’il ne s’agissait nullement d’attaquer le droit de propriété ; au contraire, il s’avérait vital de conserver un patrimoine au prodigue, en lui ôtant la possibilité de se dépouiller par ses passions coupables21. Il était donc question de mœurs et particulièrement

de l’intérêt social. La société a effectivement intérêt à ce que ses membres ne se réduisent pas à un état qui les incite au crime. Protéger le prodigue était une idée ingénieuse qui participait à la protection de l’intérêt général. Elle avait pour objectif d’éviter que le prodigue ne se ruine et ne tombe incidemment à la charge de la société22.

Cette question controversée a rapidement été tranchée. Mais le doute a perduré quant à la notion de prodigalité. Comment protéger de la prodigalité s’il est impossible de la définir ? La difficulté relevait de la preuve de ce comportement, difficile à établir sauf à être absolument notoire. Sa subjectivité imposait une définition particulière. Pouvait-on déclarer prodigue celui qui disposait avec largesse, qui administrait mal ses biens, qui se livrait à des spéculations dans lesquelles ses espoirs étaient trompés23 ? Ces interrogations sont demeurées sans réponse. Tout

au plus trouvait-on la question complexe, le prodigue si laborieux à définir, que son interdiction ne pouvait relever que de l’arbitraire des juges. Aucune définition précise n’est donc ressortie desdits travaux préparatoires. Les principaux caractères de la prodigalité ont, en revanche, été confirmés. Menant à la dilapidation du patrimoine, il était vital de constater une disproportion entre les dépenses et les capacités financières du débiteur. L’idée s’est également fait jour selon

20 P-A Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, dactyl., 1836, p. 714.

21 En effet, « les lois ont érigé en principe qu’il est de l’intérêt de la République que chacun conserve son

patrimoine, car celui qui l’a dissipé tombe à la charge de l’État », affirmait Boulay lors des travaux

préparatoires du Code civil, ibid, p. 684. 22 Idem.

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laquelle « si la preuve de la prodigalité ne résultait pas d’un abus, ni même de plusieurs, l’abus

tournant en habitude ne pouvait plus dissimuler que le dissipateur fût une espèce de fou »24.

6. Protection issue du Code Napoléon. L’excès et l’habitude ont été les deux principales

notions à même de caractériser la prodigalité. Mais il n’était pas question que l’interdiction joue un autre rôle dans la protection du prodigue. Le Code Napoléon n’y fait plus référence. L’article 513 dispose simplement qu’il peut être défendu au prodigue de « plaider, transiger, emprunter,

(…) ou aliéner, sans l’assistance d’un conseil qui leur est nommé par le tribunal »25. La

prodigalité a dès lors été distinguée des situations dans lesquelles une altération des facultés mentales était exigée. Le prodigue n’a plus été considéré comme un fou, de sorte que les actes qui ne lui étaient pas expressément interdits lui restaient autorisés26. L’article 513 du Code

Napoléon a conséquemment fait preuve de plus de clémence à l’encontre de cette attitude. La prodigalité ne relevant plus de la folie, la rigueur des lois précédentes n’a plus été justifiée.

Le Code napoléonien a également distingué le prodigue et le faible d’esprit. Les facultés de celui-ci sont affaiblies sans qu’il y ait « perte totale et habituelle de sa raison »27. Il ne peut

être assimilé à celui dont le comportement fait encore l’objet d’une mesure d’interdiction. Son imbécilité ou sa démence, quoique réelles, n’existent pas à un degré suffisant pour motiver la mise en œuvre d’une telle mesure de protection. La faiblesse d’esprit se situe donc bien en deçà de la folie. Et en raison de sa définition, il aurait été possible de croire que le législateur aurait rapproché cette notion de la prodigalité. Car à défaut de l’avoir définie, le législateur a fait du prodigue celui qui dissipe sa fortune en « folles »28 dépenses. Il aurait été un faible d’esprit, qui

n’est pas toujours en mesure de disposer de la totalité de sa raison.

Le rapprochement espéré entre les deux notions n’a cependant pas été opéré et intrigue. En réalité, cela témoigne du fait que les législateurs demeurent très incertains quant à la façon dont il convient d’appréhender ce comportement. Le prodigue n’est plus un fou, mais n’est pas tout à fait un faible d’esprit. De par cette démarcation, il est assimilé à une personne pernicieuse, qui agit volontairement et contrairement à ses intérêts, alors que faible d’esprit n’est pas doté

24 J. Lhomme, Utilisation, gaspillage, prodigalité, essai d’une classification rationnelle entre les divers emplois des biens, coll. Politiques, économiques et sociales, Librairie de Médicis, 1946, p. 28.

25 C. civ. napoléonien, art. 513.

26 Effectivement, l’article 513 du Code civil napoléonien est limitatif. Aussi, si le prodigue garde la conduite de sa personne et l’administration de ses biens, afin de protéger sa fortune lui sont interdits certains actes pécuniaires considérés comme grave, sans l’assistance d’un Conseil judiciaire.

27 R. Savatier, Traité pratique de droit civil français, vol. I, les personnes, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1952, p. 786.

28 L’emploi de cet adjectif ne doit pas faire illusion, car l’on s’efforce de distinguer le fou du prodigue, J. Lhomme, Utilisation, gaspillage et prodigalité, op. préc., p. 41.

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de cette intentionnalité29. Si tel avait été le cas, il aurait évidemment été naturel que le prodigue

soit sanctionné en raison de ses agissements. Au lieu de cela, il a fait l’objet d’une restriction modérée de sa capacité juridique. Le législateur a en effet réalisé que les prodigues n’agissaient pas dans cette intention. Uniquement dotés d’un conseil judiciaire, il les a affectés d’un régime intermédiaire, faisant d’eux des personnes vulnérables victimes de leurs propres dépenses. Pour autant, cette protection est également lacunaire car elle ne définit pas clairement les critères de la prodigalité. S’il reste interdit aux prodigues de passer seuls certains actes mentionnés, cette rigidité apparente témoigne des difficultés ayant trait à une incertitude notionnelle. Seules les dépenses exagérées et non raisonnées caractérisent le prodigue. Or qu’est-ce qu’une dépense exagérée et qu’est-ce qu’une dépense déraisonnable ? Face à la discrétion dont a fait preuve le législateur, la jurisprudence a fini par élaborer son propre système et ses propres conditions.

7. Critères dégagés par la jurisprudence. Les travaux préparatoires du Code civil ont

dégagé deux critères conduisant à l’identification de la prodigalité : l’excès et l’habitude dans les dépenses. Implicitement admis dans le Code Napoléon, ils n’ont toutefois pas été repris par la jurisprudence. Elle a conservé l’impératif d’excessivité de la dépense, substituant l’habitude au caractère absurde de celle-ci. Par la suite, elle a donné de ces deux critères une interprétation très restrictive.

Les magistrats ont admis que l’excès était déterminé relativement aux revenus. Celui qui effectuait des dépenses, même manifestement excessives, ne pouvait être un prodigue si son capital était important au point de ne pas pouvoir être entamé. Une telle acception s’est illustrée dans l’une des affaires les plus notables en matière de prodigalité. Les magistrats ont fait montre de rigueur, soucieux, en le faisant, de préserver le principe de libre disposition des biens. En l’espèce, Max Lebaudy30, héritier d’une fortune colossale, a fait l’objet d’une procédure civile

dans le but de lutter contre sa propension à disposer à l’excès. Ayant reçu plus de 27 millions de francs qu’il a dépensé sans compter, sa mère requerrait la nomination d’un conseil judiciaire afin que puisse être opéré un contrôle sur ses dépenses et sur leur objet. Sa demande a toutefois été rejetée. Les juges ont déclaré qu’il ne pouvait y avoir ici prodigalité, sauf à prouver que les dépenses avaient attaqué le patrimoine en sus d’être une menace pour sa conservation. Or Max Lebaudy avait aussi perçu, entre le jour du décès et celui de l’ouverture de la procédure, plus d’un million de francs or de revenus, sans que sa mère n’ait pu prouver qu’il en avait dépensé même la moitié. De fait, il a été reconnu qu’il ne peut y avoir « prodigalité, lorsque les dépenses

ne sont pas en disproportion avec les ressources, bien qu’elles soient contraires à la dignité et

29 Victime d’une légère folie, ce dernier ne peut être blâmé pour des faits dont il n’aurait pas fait preuve s’il avait été lucide.

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au rôle social de leur auteur et entièrement dépourvues de tout caractère utile et moral »31.

Les magistrats ont retenu une acception comptable de la dépense. Le caractère immoral ne joue pas si les dépenses ne sont pas véritablement ruineuses.

L’appréciation du critère excessif de la dépense diverge de l’acception retenue sous l’ancien droit. Il ne s’agit plus de constater que le prodigue a dépensé plus du tiers ou de la moitié de sa fortune, mais bien plutôt de démontrer une véritable atteinte à son capital. La dépense doit ainsi revêtir un caractère substantiel. Les dispositions applicables au prodigue tendent davantage à protéger l’individu que sa famille, parfois trop encline à la captation d’héritage. La référence à la notion de capital suppose alors un danger, car il y a une diminution de la valeur du patrimoine alors que les revenus ont vocation à être renouvelés. Le droit de disposer est de ce fait préservé, car l’acception comptable et rationnelle de la dépense implique d’insister sur l’adéquation entre celle-ci et l’ensemble des biens figurant à l’actif du patrimoine du débiteur. Cette appréciation met supposément l’accent sur l’aspect économique voire matériel de la prodigalité. Il demeurait toutefois indispensable d'y introduire une part de subjectivité, en tenant compte de la folie des dépenses effectuées par le prodigue.

L’absurdité des dépenses a eu beaucoup plus de mal à être identifiée. Dans la mesure où elle fait référence à l’incohérence d’une chose32, la notion fait l’objet d’un subjectivisme marqué et

son appréciation dépend de l’interprétation de chacun. Doit être considéré prodigue « celui qui,

par ses folles dépenses, anéantit son patrimoine »33. La folie correspond ici à l’inutilité de la

dépense, à la dépense improductive en ce qu’elle heurte la rationalité économique34 ou, comme

le mentionnait déjà le droit romain, à la dépense « sans résultats utiles pour la société, ni pour

l’individu »35. De prime abord, la jurisprudence en a circonscrit les contours avec précision et

rigueur. Procédant par un raisonnement a contrario, elle est venue, non donner une définition de l’absurdité, mais déterminer les situations qui ne présentaient aucun illogisme. Aussi a-t-elle remarqué que les spéculations en Bourse, même si a-t-elles ont pour conséquence d’entraîner la ruine, ne peuvent caractériser la prodigalité lorsqu’elles ont été entreprises par un homme avisé avec science et technique36. La solution paraît cohérente mais montre ses limites, car cela

restreint la liberté du spéculateur, par le seul effet décourageant de la nomination d’un conseil judiciaire, au motif que les moyens employés ne sont adaptés ou que l’individu ne revêt pas la qualité de professionnel. Il s’avère que la maladresse est l’apanage de chacun et que l’habitude,

31 Idem.

32 Le Petit Robert de la langue française, éd. 2015, v° absurde.

33 J.G Locré, Législation civile, commerciale et criminelle de la France, Paris, 1827-1832, vol. VII, p.331. 34 A. Gotman, Dilapidation et prodigalité, coll. Essais & Recherches, éd. Nathan, 1995, p. 275.

35 Ch. Demolombe, Cours de droit civil, Paris, Librairie Auguste Durand, 1851, tome VIII, n° 691-692. 36 J. Lhomme, Utilisation, gaspillage, prodigalité, op. préc., p. 30.

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qui aurait tendu à accréditer la prodigalité n’est plus un critère retenu par la jurisprudence. Le risque d’arbitraire est important. Un arrêt permet notamment d’illustrer cet argument.

En l’espèce, un individu ayant confié l’administration de ses biens à un prêtre a été pourvu d’un conseil judiciaire. La Cour d’Appel de Toulouse a infirmé le jugement, reconnaissant que le plaignant était libre de confier à qui il voulait la gestion de ses biens, rejetant la qualification de prodigalité37. Or une telle rectification jurisprudentielle n’a pas été en mesure de masquer

le pouvoir discrétionnaire des juges. N’importe qui peut être pourvu d’un conseil judiciaire. Il suffit simplement que le comportement visé paraisse contraire à la norme édictée. L’article 499 du Code civil napoléonien est peu précis et dispose que la nomination d’un conseil judiciaire peut être autorisée si les circonstances l’exigent. La formule est relativement vague et autorise les tribunaux à prendre en compte des infirmités physiques ou les vices qui semblent mettre en danger la fortune du défendeur, à la condition qu’il soit hors d’état d’y faire face38. Sous cette

apparence d’arbitraire se dissimule la faiblesse de la jurisprudence qui a eu du mal à délimiter les contours de la notion d’absurdité39. Le système du Code civil, complété par les magistrats,

a révélé les imperfections à l’origine d’une controverse doctrinale opposant Batbie à Duverger.

8. Dangers de la protection de 1804. Un peu plus de soixante sans après l’apparition du

Code civil, Batbie fait état des dangers du système. Dans la mesure où il existe des moyens très divers de dépenser sa fortune, la question s’est posée de savoir si les tribunaux devaient, en tout temps, bénéficier du même pouvoir d’appréciation40. Répondre à cette interrogation de manière

positive aurait présenté bien des désavantages. Cela aurait singulièrement permis à la justice de s’immiscer dans la façon de vivre des particuliers, mettant à mal leur liberté et leur vie privée. Duverger tentait pourtant de se montrer rassurant. Et pour cause, répond-t-il, la loi ne commet pas d’excès lorsqu’elle met une limite au droit qu’à le prodigue de disposer de ses biens. Ces propos, en apparence réconfortants, ont au contraire raffermi les craintes de son confrère. Si la loi ne fait qu’anticiper un danger futur ou éventuel, le problème reste celui de l’appréciation de ce dernier laissant une fois de plus, une fois de trop, un pouvoir d’appréciation discrétionnaire aux magistrats. La jurisprudence, initialement disposée à faire une application stricte des deux critères de la prodigalité41, n’a d’ailleurs pas tardé à s’appuyer sur l’inexistence d’une définition

pour se distancer de l’acception traditionnelle. Rompant avec toute idée de faux-semblants, les magistrats ont fini par faire une application, non plus cumulative mais alternative de l’excès et

37 Cour d’Appel de Toulouse, 6 juill. 1867, D. 1867-2-162.

38 R. Savatier, Traité pratique de droit civil français, vol. I, op. préc., p. 787. 39 V. not. J. Lhomme, Utilisation, gaspillage, prodigalité, op. préc., p. 41. 40 Ibid, p .32.

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de l’absurdité42. Cela n’a pu que donner lieu à un certain nombre de maladresses. La prodigalité

a fini par devenir une notion dévoyée.

L’excessivité de la dépense devait occasionner la dilapidation du capital du prodigue. C’est ce qui ressort de la jurisprudence Lebaudy, qui a tué dans l’œuf toutes les tentatives d’extension de la notion43. Un arrêt de la Cour de cassation a cependant renoncé à cette condition pour ne

maintenir que celle relative à l’absurdité des dépenses44. Cette tendance avait déjà été amorcée

par la Cour de Besançon et selon lequel « la prodigalité, cause spéciale et déterminante de la

dation d’un conseil judiciaire dans le cas de l’article 513, ne suppose pas nécessairement un patrimoine déjà dissipé ou gravement compromis »45. Elle a été confirmée des années plus tard,

lorsque la mise en place d’un conseil judiciaire a été prononcée alors que, selon les termes de la décision concernée, les faits ne constituaient pas des dépenses suffisantes au regard de la situation de la fortune de la famille L46.

L’excès ne paraît plus en mesure de caractériser la prodigalité. Il est de même de l’absurdité, car il ne semble plus nécessaire que la dépense soit folle, effectuée sans but utile, pour que son auteur soit regardé comme un individu prodigue47. Le subjectivisme dont fait indiscutablement

l’objet la prodigalité, a été laissé à la marge. En ce sens, une affaire permet d’illustrer les dérives d’un système qui méritait déjà d’être réformé.

En l’espèce, le marquis de Morès, durant une vie brève et remplie, dépensa sans compter au profit d’œuvres caritatives48. Il aurait pu être argué qu’il faisait preuve de générosité. S’il avait

été célibataire, parfaite aurait été sa conduite. Parce qu’il œuvrait pour l’intérêt général, il avait un but précis de sorte que la prodigalité, qui nécessitait de prouver l’absurdité des dépenses, ne devait pas être caractérisée. Mais le marquis avait également femme et enfants. Les juges ont considéré qu’il les abandonnait pour aller courir aventures. Il s’est donc vu doter d’un conseil judiciaire. Il a été qualifié de personne prodigue. Son objectif n’était pourtant pas inutile. Rien ne prouvait par ailleurs que sa fortune avait été compromise. Une telle solution a pourtant été approuvée. D’aucuns ont pu invoquer qu’une telle mesure empêchait la ruine de certains esprits

42 V. not. A. Gotman, Dilapidation et prodigalité, op. préc., p .278.

43 J. Clément, Le problème de la prodigalité et son évolution dans la jurisprudence, op. préc., p. 92. 44 Cour de cassation, 22 mars 1927, D.1928.1.58.

45 Cour d’Appel de Besançon, 2 fév. 1865, S.1865.2.239.

46 Cass. civ., 1ère, 22 mars 1928, cité par J. Clément, Le problème de la prodigalité et son évolution dans la

jurisprudence, op. préc., p. 93. 47 Ibid, p. 96.

48 Tribunal de la Seine, 19 déc. 1892, cité par J. Clément, Le problème de la prodigalité et son évolution dans la jurisprudence, op. préc., p. 96 et s.

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chimériques49. Il demeure que la décision n’a pas été renouvelée50. Il serait alors présomptueux

d’arguer que la condition liée à l’absurdité des dépenses a été abandonnée. Certains auteurs ont d’ailleurs pu affirmer que la « jurisprudence et la doctrine dans leur ensemble s’étaient fixées

sur l’idée que le prodigue est celui qui dépense ses revenus de façon excessive au point d’entamer son capital et qui en même temps, les dépense de façon absurde »51. Ces fluctuations

ont simplement confirmé les défauts apparents du régime juridique en vigueur.

9. Avènement de la loi du 3 janvier 196852. L’évolution des mœurs a finalement rendu

obsolètes les dispositions du Code civil de 1804. Elles ont été jugées insatisfaisantes en raison de la procédure et des formalités lourdes qu’imposaient l’interdiction et le conseil judiciaire53.

Les reproches tenants à l’imprécision des éléments constitutifs de la prodigalité ont également eu raison de l’ancien système. La loi du 3 janvier 1968, élaborée par le doyen Carbonnier, a eu pour objectif de mettre un terme aux incertitudes d’une notion somme toute très relative. Il a entrepris de poser les assises du régime juridique actuel en matière de protection des majeurs. Particulièrement innovante en ce qu’elle supprime des institutions surannées, elle les remplace par la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle et crée, d’une manière encore implicite le principe de gradation des mesures. La disparition du conseil de justice du prodigue au profit de la curatelle a donc constitué une toute première nouveauté. L’essentiel des questions a toutefois moins porté sur son mode de fonctionnement que sur ses causes d’ouverture et ce faisant, sur la prodigalité.

La qualification de ce comportement suscite en effet beaucoup d’interrogations. La question s’est posée de savoir si l’État devait se mêler de contrôler les passions alors qu’il tolère l’alcool et organise des jeux propres à exciter les prodigues et les faibles d’esprit. Ces vicissitudes sont légitimes car de la réponse apportée dépend le fondement de la curatelle. Dans le but de parer à ces inquiétudes, le législateur s’est efforcé de justifier la protection du prodigue en retenant une définition plus rigoureuse des éléments constitutifs de la prodigalité. L’excès avait toujours été exigé mais encore fallait-il le préciser. La nouvelle législation paraît également requérir une forme d’immoralité, puisque ni l’excès d’affection, ni les outrances du renoncement religieux, ne sont considérés comme une forme de folie au sens de l’article 488 du Code civil54. Mais il

49 J. Clément, Le problème de la prodigalité et son évolution dans la jurisprudence, op. préc., p. 97. 50 Hormis en matière de spéculation boursière où les juges ont pu décider de la nomination d’un conseil judiciaire au prétexte de prodigalité pour les personnes dont la spéculation leur enlevait le libre arbitre, ibid p. 98.

51 J. Lhomme, Utilisation, gaspillage, prodigalité, op. préc., p. 35. 52 Loi n° 68-5 portant réforme de la protection juridique des majeurs. 53 C. civ. napoléonien, art. 492-512.

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ne suffit plus de se livrer à des dépenses exagérées, excédant ses revenus par fantaisie, caprice, pour être placé sous curatelle. Bien au contraire, les conditions de mises en œuvre de la mesure sont beaucoup plus encadrées, de sorte que l’individu devra s’exposer à tomber dans le besoin ou compromettre l’exécution de ses obligations familiales pour bénéficier du nouveau régime d’incapacité. Ce faisant, c’est la notion de danger qui fonde la protection juridique des majeurs. Ainsi transparaît le souci de protection du sujet contre ses excès et sa vulnérabilité. Il semble surtout, cela sans équivoque, que le législateur a souhaité prémunir la famille de celui qui, par ses agissements serait dans l’incapacité de subvenir aux besoins de ses proches. La curatelle est alors envisagée comme le moyen d’anticiper la violation de l’obligation de secours entre époux et la violation de l’obligation alimentaire55.

Indépendamment de ces considérations, la loi comprend deux principales innovations. La première résulte de l’introduction de la notion d’altération des facultés personnelles. Destinée à préciser la notion de faiblesse d’esprit c’est l’article 490 qui explicite cette expression. Il peut s’agir d’une altération des facultés mentales, découlant d’une maladie, d’une infirmité, ou d’un affaiblissement dû à l’âge ; il peut également s’agir d’une altération des facultés corporelles, dans la mesure où elle empêche l’expression de la volonté56. La condition n’est cependant pas

requise dans la mise en place d’une curatelle pour cause de prodigalité. Effectivement, le doyen Carbonnier ne considère ce comportement, ni comme une forme de folie, ni comme la faiblesse d’esprit. La qualification qu’il en retient est celle d’un vice, mauvais penchant, que réprouve la morale et la religion57. Les propos qu’il tient sont d’une grande sévérité. Ils ont le mérite de

dissocier définitivement la prodigalité de l’altération des facultés mentales et donc de la folie. La seconde innovation a rompu avec les traditions de l’ancien droit. À cet égard, si la loi de 1968 a bien pour objet de protéger la famille, il ne s’agit plus d’une copropriété à faire valoir et à transmettre à ses héritiers, mais il s’agit d’une famille ayant des besoins qui lui sont propres. Il y a donc prodigalité lorsque les dépenses excessives absorbent une part notable des revenus, de sorte que la vie de famille s’en trouve affectée58. Un arrêt de la Haute juridiction en donne

une parfaite illustration.

En l’espèce, L. était propriétaire d’une grande fortune. À la demande de sa famille, il a fait l’objet d’une curatelle pour cause de prodigalité. Contestant la décision, il a formé un pourvoi en cassation, dans lequel il a fait valoir que « si ses dépenses avaient continué au même rythme

55 J. Massip, Les incapacités, étude théorique et pratique, (préf. de J. Carbonnier), coll. Defrénois, 2002, p. 602.

56 Y. Buffelan-Lanore, Droit civil, première année, Armand Colin, 12ème éd. 2001, p. 279.

57 B. Fillion-Dufouleur, La curatelle pour prodigalité, le médecin et le juge, D. 1997.22. 58 A. Raison, Le statut juridique des mineurs et majeurs protégés, JNA, 1978, p. 476.

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que depuis dix ans, il aurait fallu plus de trente ans pour qu’il engloutisse toute sa fortune ».

N’étaient pas réalisées les folles dépenses à l’origine de la prodigalité ; sa demande a toutefois été rejetée. Les juges ont en effectivement déclaré que « si la longévité des époux L. était assez

grande et si le mari continuait à dilapider son capital ainsi qu’il l’a fait depuis dix ans, leurs ressources pourraient se réduire, à la fin de leurs vies, aux seules pensions de vieillesse »59.

L’emploi du conditionnel démontre bien leur incertitude quant à la survenance de cet état qui pourrait mettre en danger la vie commune des époux. Ils ont néanmoins opté pour une démarche conservatoire. Ils ont mis en avant une menace hypothétique plutôt qu’une menace avérée, ce qui revient ainsi à privilégier les intérêts du groupement familial.

10. Lacunes de la loi du 3 janvier 1968. Si la loi nouvelle paraît avoir tenu ses promesses

en restreignant le domaine de la prodigalité, il n’en demeure pas moins que ses imperfections sont notoires. Ni le législateur, ni la jurisprudence n’ont effectivement pris soin d’expliciter les notions de besoins et d’obligations familiales, pourtant déterminantes dans la mise en œuvre de la curatelle. Considérées comme des expressions ne nécessitant pas de précisions superflues, la loi ne s’y est pas attardée et a incidemment contribué à la tombée en désuétude de cette nouvelle institution. La curatelle pour cause de prodigalité n’a pas tardé à être appliquée en l’absence des critères nécessaires à l’ouverture de la procédure. Ainsi a-t-on pu voir être placé sous ce régime de protection celui qui, « s’il continuait à dilapider son capital ainsi qu’il le faisait depuis cinq

ans, verrait ses ressources se réduire aux seules retraites auxquelles il pouvait prétendre »60.

Face à cette décision contraire à la lettre de la loi, la question s’est posée de savoir si les juges ne faisaient pas une application de l’ancienne conception de la prodigalité, laquelle apparaissait comme un outil de conservation des héritages et supposait uniquement que l’intéressé dilapide inconsidérément son capital. Les écarts de conduite des juges se sont également faits jour dans d’autres espèces, mettant ainsi en exergue les premiers dysfonctionnements d’un système jugé inadapté. Plusieurs rapports61 ont mis l’accent sur l’augmentation des mesures de protection des

incapables majeurs, traduisant une évolution sociale à laquelle il a été nécessaire de remédier. La protection par l’incapacité a été utilisée pour des personnes en difficultés sociales, morales, sans pour autant qu’elles soient atteintes dans leurs facultés personnelles62. La prodigalité n’a

subséquemment plus été appréhendée au plan psychologique, si toutefois elle l’avait vraiment

59 Cité par Ph. Malaurie, Droit civil, les personnes, les incapacités, Cujas, éd. 1994/95, p. 296. 60 Cass. civ., 1ère, 24 oct. 1995, n° 93-21590.

61 Sur ce point, v. not. le rapport de l’Inspection Générale des Finances, de l’Inspection des Affaires Sociales et de l’Inspection des Services Judiciaires de novembre 1998.

62 Y. Buffelan-Lanore et V. Larribau-Terneyre, Droit civil, introduction, biens, personnes, famille, Sirey, 20ème éd. 2019, p. 527.

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été, mais au plan comportemental, ce qui s’est avéré regrettable. Il est, une fois de plus, apparu nécessaire de réformer le système.

11. Disparition de la prodigalité du domaine de la loi. Si la loi de 1968 ne définit pas la

prodigalité, elle s’en tient approximativement à la conception retenue depuis le droit romain. C’est donc à juste titre que la loi du 5 mars 200763 vient réformer l’ancien système, entrant en

vigueur le 1er janvier 2009. L’une de ses innovations consiste à opérer une distinction entre la

protection sociale et la protection juridique du majeur atteint dans ses facultés intellectuelles. Puisqu’il a toujours été considéré que la prodigalité ne résulte pas d’une telle altération, elle a été exclue des mesures de protection et corrélativement du domaine juridique. Le prodigue n’a plus besoin d’une protection particulière et cela est d’autant plus vrai que le terme de prodigalité n’est plus jamais employé en droit civil, ou en droit de l’action sociale. Pour autant, les mesures d’accompagnement social, qui relèvent de cette dernière branche du droit, ont pour objectif de donner une autre dimension à ce comportement qui apparaît désormais résulter d’une mauvaise gestion des ressources. En cantonnant leur mise en place aux prestations sociales, le législateur n’en a pourtant prévu qu’une application fort limitée. Fait-elle partie de ses préoccupations ? La réponse à l’interrogation semble être négative.

En s’en tenant à la lettre de la loi, il ne peut y avoir comportement prodigue qu’en présence de la dilapidation des prestations sociales. La dissipation des autres revenus, même du capital, est insusceptible de recours sur le fondement de la prodigalité. Or il ne faut pas croire que cette disparition du cadre juridique est le fruit du hasard. Bien au contraire, la prodigalité, encore perçue comme un vice, a toujours fait l’objet de vifs débats quant au maintien de la protection de la personne prodigue. Ainsi faut-il considérer qu’entre impératif de préserver la propriété et impératif de protection du sujet, le premier a finalement primé sur le second. L’absolutisme de la propriété aura effectivement eu gain de cause car pourquoi devrait-on faire obstacle à la libre circulation des richesses ? Retenir ce raisonnement revient à se méprendre sur une attitude dont les dangers n’ont jamais été appréhendés avec rigueur par le législateur. Le prodigue mérite de faire l’objet d’une mesure de protection juridique. Pour cela, encore faut-il que soit précisés les éléments constitutifs de la prodigalité et que lui soit donnée une véritable définition juridique.

12. Intérêts de l’étude. Afin de respecter cet objectif, retracer l’historique de la prodigalité

était une démarche essentielle. Non seulement cela a permis de donner une esquisse originelle de la notion, mais l’initiative a corrélativement mis en lumière les insuffisances des législations antérieures. Il était également important de prendre bonne note des erreurs qui ont été commises par le législateur. Étudier la prodigalité depuis le droit romain jusqu’à l’époque contemporaine a permis de relever les difficultés rencontrées et de cerner les problématiques susceptibles de se faire jour pour tenter d’y remédier. Car la nécessité d’y remédier apparaît comme une évidence.

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L’insolvabilité, principale incidence de la prodigalité, est effectivement une donnée inhérente à de nombreux ménages. S’il est vrai qu’un individu insolvable n’est pas forcément une personne prodigue, nul doute que la prodigalité y joue un rôle crucial. Les procédures de surendettement n’ont jamais eu autant de succès : en 2017, la justice a connu 150.000 demandes relatives au surendettement des particuliers64 et un peu plus de 11.000 demandes ayant trait à la mise en

œuvre d’une mesure d’accompagnement personnalisé65. C’est dire à quel point les difficultés

rencontrées dans la gestion des biens sont communes. Identifier convenablement la prodigalité permet incidemment de distinguer le prodigue de celui qui est la victime des circonstances de la vie. Sur ce point, l’intérêt de l’étude n’est pas contestable. Le prodigue doit être appréhendé juridiquement et cela semble d’autant plus sage que sa protection participe d’un triple intérêt.

De l’intérêt du prodigue lui-même. En effet, il est essentiel de lui assurer un minimum vital afin que ses droits fondamentaux ne soient pas bafoués. Celui qui dilapide ses biens ne tardera pas à être marginalisé, l’exposant à une situation de vulnérabilité qui l’empêchera de pourvoir à ses besoins primaires. Il doit revenir à la société, donc au législateur de le protéger face à ses passions coupables.

En effet, le prodigue qui dilapide son patrimoine tombera à charge de la Collectivité. Or il n’est jamais de bon aloi que l’État supporte les conséquences d’un comportement dangereux, d’autant plus qu’il a vocation à être renouvelé. Certaines procédures ont pour objectif de pallier l’insolvabilité du prodigue, mais elles sont objectives, de sorte qu’elles ne tiennent pas compte de ses causes. Le législateur a fait sortir la prodigalité du droit. Il n’a cependant pas tout à fait réussi à l’écarter de la réalité sociétale. La protection du prodigue est également impérative car ses défaillances à la chaîne seront corrélativement nuisibles à ses cocontractants. Ils seront dans l’impossibilité de répondre eux-mêmes à leurs engagements. La prodigalité porte un coup assez sérieux à la sécurité juridique et à l’intangibilité juridique des conventions. Pour ces raisons, le droit positif se doit de l’appréhender juridiquement.

Il en va enfin de l’intérêt de la famille du prodigue. Et pour cause, il ne faut pas oublier que les membres de la famille sont liés de par la solidarité. Il devra donc pourvoir aux besoins des individus qui dépendent de son comportement. Effectivement, si l’absolutisme de la propriété accorde la liberté de disposer de ses biens, l’exercice de ce droit ne peut s’effectuer aux dépens des intérêts et droits d’autrui. Si le prodigue doit être protégé, c’est aussi parce qu’il est tenu à des devoirs de famille qui ne peuvent être éludés. C’est au groupe familial que ce comportement portera atteinte. Il s’agit d’une atteinte économique et d’une atteinte relationnelle. Économique,

64 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_Annuaire_ministere-justice_2017_chapitre3.pdf.

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car la prodigalité mettra en périls les intérêts patrimoniaux de ses membres. Relationnelle, car les liens familiaux seront distendus en raison de la précarité auquel ce comportement fera suite

13. Problématique. Les imperfections du droit antérieur ont été la résultante d’un manque

de rigueur. Perpétuellement hésitant quant au rôle joué par l’habitude, l’excès, l’absurdité dans la caractérisation de la prodigalité, le législateur s’y est perdu et a fini par faire de cette attitude une notion dévoyée. Les assises d’une définition appropriée étaient pourtant déjà posées, car la prodigalité ne peut que réunir des éléments objectifs et subjectifs, au risque de passer pour de la simple mauvaise gestion. La question qui se pose est celle de ses éléments constitutifs. Quels sont les éléments constitutifs de la prodigalité ? Comment est-il possible de pallier les effets de ce comportement ?

14. Démarche adoptée. Répondre à la problématique incitait à repartir de la définition du

droit romain. À cet égard, ce qui caractérise le prodigue est un attrait pour les jouissances et un défaut de caractère qui le rend incapable de se modérer. La prodigalité se compose notamment de dépenses excessives, habituelles et absurdes. Ayant fait l’objet d’une protection juridique en raison des conséquences patrimoniales occasionnées, la dissipation des biens devrait également être considérée comme un facteur à l’origine de l’attitude. Or à l’instar du droit des successions, dont l’objet n’est plus la transmission du patrimoine aux héritiers, ce n’est pas tant la sauvegarde de celui-ci que l’état de besoin auquel la prodigalité conduit qui mérite l’attention du législateur. La dilapidation des biens doit être un élément constitutif du fait de sa nuisance aux héritiers, uniquement parce qu’elle empêche le prodigue de subvenir à ses besoins primaires. Ceci ayant été précisé, ces éléments constitutifs peuvent être répartis en deux catégories. La première est relative aux éléments matériels ou objectifs de la prodigalité ; la seconde concerne les éléments intentionnels ou subjectifs de la prodigalité.

Alors que pour les premiers, la question a portée sur le fait de savoir si les éléments identifiés étaient alternatifs ou cumulatifs, les éléments subjectifs ont soulevé une autre interrogation à laquelle il n’est pas possible de se substituer : comment qualifier juridiquement la prodigalité ? Effectivement, ni tout à fait de la folie, ni tout à fait de la faiblesse d’esprit, le prodigue intrigue. Presqu’en désespoir de cause, certains se sont demandés s’il n’agissait pas dans l’intention de frauder les droits de ses créanciers. Le législateur a cependant rapidement rejeté une telle idée. La question reste pour le moins pertinente. Quel est l’état d’esprit du prodigue au moment de dépenser ? Comment appréhender convenablement la prodigalité ? Sur ce point, le droit romain a eu tort d’assimiler ce comportement à une forme de folie. Il convient plutôt de rejoindre le doyen Carbonnier, qui a choisi d’exclure la prodigalité du domaine d’application de l’altération des facultés mentales. Il a considéré qu’elle était la résultante d’un vice, rejoignant l’idée de Schopenhauer et dotant la prodigalité d’une connotation péjorative. La personne vicieuse étant

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celle qui a des tendances perverses66 et le pervers celui qui aime accomplir des actes cruels ou

immoraux67, le prodigue serait tout à fait conscient de ses agissements et agirait sans s’occuper

de ses créanciers et des personnes qui dépendraient de son comportement. Du latin « vitium », signifiant « disposition naturelle au mal », le vice aurait pourtant dû être envisagé comme une attitude non-intentionnelle, car la disposition naturelle est innée de sorte qu’il n’est pas possible de transiger avec elle. Or dans la pensée des deux auteurs, la prodigalité serait le produit d’un dérèglement des mœurs, c’est-à-dire d’une attitude volontairement immorale. Le vice s’entend d’un penchant que la morale, la société, et la religion réprouvent68. Or si la prodigalité est un

vice et que la société la réprouve, pourquoi a-t-elle été exclue du paysage législatif français ? En réalité, la prodigalité est bien un comportement non-intentionnel, sur lequel le prodigue ne peut avoir aucune emprise. En raison de ces considérations, elle mérite une grande attention de la part du législateur qui se doit de l’envisager avec tolérance. Il s’agit d’un comportement contre lequel il n’est pas possible de lutter seul. Il ne peut être admissible que soit laissé le soin au prodigue de trouver les remèdes à ses passions coupables. D’ailleurs, la morale réprouve au moins implicitement la prodigalité. Non seulement il n’est pas moral de s’appauvrir à l’excès au détriment des personnes qui dépendent de soi, mais il n’apparaît pas non plus très moral de laisser un individu s’appauvrir aux dépens de ses propres intérêts. Il paraît donc étonnant que la loi se soit lassée de la prodigalité, d’autant qu’elle cherche à moraliser le droit. Par exemple, trop conscient des déboires auxquels peut aboutir le jeu, le législateur ne l’interdit pas mais refuse que la question du jeu soit portée devant les tribunaux. En ce sens, le Code civil dispose-t-il que « la loi n’accorde aucune action pour aucune dette du jeu ou pour le paiement d’un

pari »69. La morale se veut ici protectrice de la personne car il n’est pas admis que le gagnant

ait tiré profit d’une situation de faiblesse. Dès lors, pourquoi la faiblesse du prodigue ne mérite-t-elle pas une protection idoine ? La réponse réside dans le caractère absolu de la propriété car le législateur n’a plus admis cette cause particulière de restriction à ce droit, d’autant plus que le prodigue n’est pas réputé souffrir d’une altération de ses facultés mentales.

Si cette affirmation est indéniable et sera développée plus amplement ultérieurement, autre chose l’est tout autant : le prodigue ne peut être considéré comme une personne normalement raisonnable et diligente. Il ne combat pas à armes égales dans les relations contractuelles. Il est plus précisément atteint d’un vice de la volonté, car sa volition n’est pas le fruit d’une réflexion mais d’un élan pour des plaisirs fugaces et éphémères. La qualification la mieux appropriée est celle de folie morale. Si elle a une connotation péjorative en ce qu’elle rapproche prodigalité

66 Le petit Larousse illustré, éd. 2019. 67 Idem.

68 Le Petit Robert de la langue française, éd. 2015. 69 C. civ. art. 1965.

Références

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