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Nature du droit d’auteur des personnes publiques.

PARTIE 1 : LES PRÉROGATIVES DES PERSONNES PUBLIQUES.

B. Nature du droit d’auteur des personnes publiques.

S’il est établi que les personnes publiques peuvent être titulaires de droits de propriété intellectuelle notamment par application du régime de l’œuvre collective, il convient de déterminer la nature de ce droit d’auteur pour vérifier qu’elle est identique à celle du droit d’auteur des personnes privées. Dans ce cadre, deux

incertitudes doivent être levées quant à sa qualité de droit de propriété (A) et de droit de la personnalité (B).

a) Le droit d’auteur est-il un privilège ou un droit de propriété ?

La conception du doit d’auteur sous l’ère préindustrielle oscille entre une conception propriétariste et privilégiariste. A cette époque, le droit d’auteur se construit par rapport au rôle du public qui est destinataire de l’œuvre. Deux hypothèses s’affrontent : la théorie du privilège (a) et celle du droit de propriété (b).

1. La théorie abandonnée du privilège.

Aujourd’hui abandonnée, la théorie du privilège considérait que le droit d’auteur était dérogatoire au droit de la propriété. Selon cette approche, notamment conduite par C. Renouard, l’auteur devait sa création au monde contemporain qui l’entoure, et non pas aux ressources créatives liées à sa personnalité. Le public était alors envisagé un protagoniste central dans la construction du droit d’auteur, puisque c’est lui qui inspirait directement la création : un « public donateur et l’auteur donataire avec charges.92_ »

A ce propos, C. Renouard écrit que « l’écrivain le plus original est l’œuvre de son siècle et des siècles antérieurs autant, au moins, que son propre génie. Le domaine général lui a fourni les éléments des idées par lui élaborées ; en les rendant à la civilisation à qui il les doit, il s’acquitte d’un devoir envers l’humanité, et paie à ses contemporains une dette de reconnaissance dont il est chargé envers ses contemporains et ses ancêtres.93_ » Il précise

encore à propos que la rémunération de l’auteur devrait être fixée par le public à raison de « l’utilité et du plaisir qu’il tire d’un ouvrage ».

Même si cette approche n’est pas retenue en droit positif, elle présente un intérêt certain du point de vue du droit public. En effet, la proposition de C. Renouard rappelle les objectifs poursuivis par les personnes publiques dans le cadre de leurs missions. Ainsi, la théorie du privilège, en positionnant le public au centre de sa réflexion, et en faisant de lui l’acteur

92 B. Edelman, Droit d’auteur – nature du droit d’auteur, principes généraux, Jcl. Propriété littéraire et artistique,

LexisNexis, 2000, 1112 .37

majeur du droit d’auteur se rapproche des conceptions publicistes en vertu desquelles toute l’action de l’Administration est tournée vers le public. Cette affirmation est confirmée par le fait que les personnes publiques ne créent pas d’œuvres pour les mêmes raisons que les personnes privées : il ne s’agit pas pour elles d’en vivre, mais de créer pour améliorer la qualité de leurs services, une démarche essentiellement tournée vers le public.

En effet, l’un des objectifs principaux des personnes publiques est la satisfaction du public à travers l’exécution de missions de service public. Plus encore, l’idée selon laquelle le public rétribuerait l’auteur en fonction de l’utilité qu’il reconnaît à son œuvre est en adéquation avec la valorisation par les personnes publiques des initiatives reconnues d’utilité publique.

Cette théorie du privilège paraît bien adaptée aux personnes publiques, car elle accorde au public une importance comparable à celle retenue par le droit public. Elle devait pour cette raison être évoquée, car elle démontre que le droit d’auteur a pu être envisagé sous un angle plus proche du droit public à l’ère préindustrielle.

Cependant, nous ne la retiendrons pas car le Code de la propriété intellectuelle ne partage pas la vision privilégiariste du droit d’auteur : au contraire, le législateur considère que le droit d’auteur est un droit de propriété à part entière, ce qui permet de lui appliquer un régime de protection renforcé.

2. L’affirmation de la théorie du droit de propriété.

Les auteurs du XIXème siècle reconnaissent le droit de propriété comme l’institution la plus protectrice qui soit. Il est donc naturel qu’une large majorité de la doctrine l’ait appliqué au droit d’auteur. Le droit de propriété bénéficie à l’auteur lui-même car il garantit la protection et la jouissance de son bien, et aux intermédiaires.

Cependant, la jurisprudence a exprimé certaines hésitations, en s’éloignant du droit de propriété lui-même à travers des décisions relatives au droit de divulgation_ et au droit à la

réputation94. Il était délicat d’accommoder le régime classique de la propriété à la

particularité du droit d’auteur. Par exemple, dans une décision du 11 janvier 1828, la Cour d’appel de Paris, énonce qu’ « une œuvre musicale n’a d’existence et ne devient saisissable que par la publication faite par l’auteur.95 »

La Cour de cassation est pourtant très explicite lorsqu’elle énonce que « la propriété littéraire et artistique a le même caractère et doit être soumise aux mêmes règles que toute autre propriété, dont elle ne diffère que par la limitation de durée.96_». La volonté du juge

d’assimiler le droit d’auteur au droit de propriété est claire, même si au cas par cas il doit procéder à des arrangements pour articuler les deux notions.

À la fin du XIXème siècle, la reconnaissance du processus créatif rompt définitivement avec l’idée que l’auteur se nourrit uniquement de la culture populaire pour aboutir à sa création. Désormais, l’auteur est un individu sensible et doué d’une créativité personnelle lui permettant d’aboutir à une œuvre. En d’autres mots, la personnalité de l’auteur est désormais prise en compte dans le processus créatif comme étant non plus un simple facteur, mais bien la source de la création.

Cette reconnaissance grandissante de la personnalité de l’auteur signifie-t-elle que le droit d’auteur est un droit de la personnalité ?

b) Le droit d’auteur est-il un droit de la personnalité ?

Köhler97 est à l’origine de la doctrine selon laquelle l’attribution du titre d’auteur résulte uniquement de l’existence de l’activité de création. Il a été le premier à déclarer que ni l’objet de cette activité, ni le travail, ni les investissements ne peuvent susciter l’octroi du titre d’auteur_.

Cette pensée apparente le droit d’auteur aux droits de la personnalité, qui confèrent à l’auteur une valeur intrinsèque et un rayonnement en le positionnant au centre du schéma de la création. Ce régime centré sur la personne de l’auteur diffère donc catégoriquement

95 CA Paris, 11 janvier 1828 Vergne c/ créanciers Vergne: S. 1828-1830, II, p. 5 (droit de divulgation), V. également CA

Dijon, 18 févr. 1870, De Chapuys Montlaville c. Guillabert, S. 1870, II, p. 212 : « nul autre que l’auteur n’est juge de la question de savoir si le manuscrit représente sa pensée actuelle, s’il a reçu sa forme définitive et s’il doit devenir public à une période quelconque (…) »

96 Cass. req. 19 août 1880 : DP 1881, 1, p. 125, note Lyon-Caen.

de la conception privilégiariste selon laquelle le public était l’inspirateur, le destinataire et le bénéficiaire de la création artistique.

A la fin du XIXème siècle, les fondements du droit d’auteur tel que nous l’appréhendons en droit positif sont établis. La découverte majeure consiste dans le constat que la création est une activité de la personne et qu’elle prend naissance dans les actes d’un individu. L’œuvre en elle-même n’est plus considérée que comme la formalisation de la création. Ainsi, l’article 1 de la loi du 11 mars 1957 dispose que « l’auteur de l’œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par la présente loi. »

Le droit d’auteur présente ainsi un particularisme affirmé : contrairement au droit des biens classique qui reconnaît à un propriétaire un droit réel sur son bien, le droit d’auteur attribue également des prérogatives morales et intellectuelles à la personne qui se voit reconnaître en premier lieu le droit de propriété98. De la sorte, le titulaire du droit d’auteur est titulaire

d’un droit réel et d’un droit moral sur son œuvre.

Le droit moral peut être considéré comme l’expression juridique - et donc abstraite - des liens qui unissent l’auteur et son œuvre. La fonction de ce droit incorporel est de faire obstacle à l’effacement des caractéristiques intrinsèques de l’œuvre, qui ne doit pas être confondue avec les propriétés classiques. L’existence du droit moral contredit l’idée que l’œuvre a le « même caractère et doit être soumise aux mêmes règles que tout autre propriété (…)99 ». Afin que l’œuvre conserve son particularisme, le droit moral ne peut

être assoupli, c’est pourquoi il est réputé incessible, en écho à l’indestructibilité du lien qui existe entre l’auteur et son œuvre.

La thèse personnaliste du droit d’auteur énonce que la dimension morale du droit d’auteur est si forte qu’elle doit être assimilée aux droits de la personnalité plutôt qu’au droit des

98 L. Pfitser, La propriété littéraire est-elle une propriété ? Controverses sur la nature du doit d’auteur au XIXe siècle, RIDA 2005 p.

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biens100. L’attachement du droit moral de l’auteur à sa personne, affirmé par le législateur, constitue le socle de cette théorie. Cette théorie du monisme personnaliste attribuée notamment à J. Raynard101 repose sur une confusion de l’œuvre elle-même et l’activité intellectuelle. H. Desbois critique cette approche du droit d’auteur, qui selon lui a le défaut de « confondre l’activité créatrice avec la création qui en est le fruit, plus généralement le travail avec le produit du labeur, la cause et l’effet102 ».

Pourtant, une partie des juges du fond rend des décisions en ce sens, comme le tribunal civil de la Seine en 1936 qui énonce « attendu que cette faculté pour l’auteur de tirer un profit matériel de son activité intellectuelle et de cette émanation de sa personnalité que constitue son œuvre apparaît comme inhérente à la personne au même titre que celle qui appartient à tout homme de tirer profit de son activité physique et de son travail manuel, par exemple en louant ses services; qu’elle peut assurément, comme cette dernière, être, lorsqu’elle est exercée, créatrice de biens, mais que, pas plus que celle-ci, elle ne constitue en elle-même un bien au sens de l’art. 516, c. civ.103 » B. Edelman écrit que c’est

l’indivisibilité de la personne de l’auteur qui confère au droit d’auteur le caractère de droit de la personnalité104, et qui opère une forme de « subjectivisation de la propriété.105 »

Dans deux affaires célèbres, la Cour de cassation contredit cette approche personnaliste du droit d’auteur en énonçant : « attendu que le droit d’exploiter exclusivement les produits d’une œuvre littéraire ou artistique, réservé par la loi, pour un temps limité, à l’auteur de cette œuvre, constitue un bien entrant dans le commerce. (…) Attendu toutefois que le mise en commun du monopole d’exploitation a lieu sans qu’elle puisse porter atteinte à la faculté de l’auteur, inhérente à sa personnalité même, de faire ultérieurement subir des modifications à sa création ou même de la supprimer (…).106 » Par cette formule, la Cour

de cassation envisage le droit d’auteur comme un bien, tout en prenant en considération les

100 J. Antippas, Les droits de la personnalité : de l’extension au droit administratif d’une théorie fondamentale de droit privé, Thèse

Paris, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2013 p. 56

101 J. Raynard, Droit d’auteur et conflits de lois, Essai sur la nature juridique du droit d’auteur, préf. M. Vivant, Litec, 1990,

n°335 et s., spéc. n°357.

102 H. Desbois, Le droit d’auteur en France, 3e éd., Paris, Dalloz, 1978, n°208.

103 T. civ. Seine, 1er avril 1935 (Canal) : DP 1936, 2, p. 65, note Nast ; adde, CA Paris 1er février 1900 (Lecocq) : S. 1900, II,

p.121, note Saleilles.

104 B. Edelman, La propriété littéraire et artistique, Que sais-je ? PUF, 3ème éd., 1999, p. 39. 105 B. Edelman, De la propriété-personne à la valeur-désir, D. 2004, chr. P. 155.

106 Cass. civ. 25 juin 1902 (Lecocq): S. 1901, I, p. 305, note Lyon-Caen; DP 1903, I, p. 5, note A. Colin, cassant CA Paris, 1er février

intérêts moraux du créateur. H. Desbois expose à ce sujet que « la protection des intérêts moraux et la satisfaction des intérêts d’ordre patrimonial » sont « deux objectifs, que la raison et l’observation des faits permettent de dissocier.107 »

La difficulté d’appréhension du droit d’auteur par la division classique entre le droit de propriété et le droit de la personnalité résulte du fait qu’il est à la fois un droit patrimonial et un droit extrapatrimonial. Ainsi, le second alinéa de l’article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que le droit d’auteur « comporte des attributs d’ordre intellectuel ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ». Cette formule suggère que les attributs intellectuels, distincts des attributs patrimoniaux, sont d’ordre extrapatrimonial.

Cependant, si le régime du droit d’auteur est fortement inspiré de celui des droits de la personnalité, il n’en constitue pas un totalement : il porte sur un objet, l’œuvre, physiquement détachée de l’individu créateur. Une manifestation de cette différence est que les droits de la personnalité ne survivent pas à leur titulaire108, tandis que le

droit moral est perpétuel. Le droit d’auteur est donc un droit mixte, dont la patrimonialité est avérée mais relative en raison de son apparentement direct avec les droits de la personnalité.

107 H. Desbois, préc., n°209 ; voir également Rappr. CA Paris, 7 novembre 1951 (Montherlant): Gaz. Pal. 1952, 1, p. 80, dans

laquelle la Cour opère une distinction entre le « patrimoine matériel » et le « patrimoine intellectuel ».

108 Pour un exemple en matière de protection de la vie privée, v. Cass. civ. 1ère, 14 décembre 1999 (Sté les Editions Plon et

II. L’appropriation originaire par le droit d’auteur

L’appropriation grâce au droit d’auteur s’effectue dans des conditions similaires que l’auteur soit une personne publique ou une personne privée. Cette observation est la conséquence du caractère spécifique du droit d’auteur, dont l’application dépend de la présence d’une activité de création, mais pas de l’identité de l’auteur. Il faut déduire de cette unité de la notion de droit d’auteur que la nature du droit d’auteur des personnes publiques est identique à celle du droit d’auteur des personnes privées.

Pour affirmer que la nature du droit d’auteur est universelle et s’applique à tous les auteurs, y compris aux personnes publiques, nous démontrerons d’une part que le critère d’application du droit d’auteur est le même pour les personnes publiques et les personnes privées (A), et d’autre part que le régime d’appropriation par le droit d’auteur est identique pour les personnes publiques et les personnes privées (B).