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L’application du droit de la propriété intellectuelle dans le marché public Le préambule du CCAG MI énonce qu’ « il appartient au pouvoir adjudicateur, qu

Section 1 : Le marché public de prestations intellectuelles.

A. L’application du droit de la propriété intellectuelle dans le marché public Le préambule du CCAG MI énonce qu’ « il appartient au pouvoir adjudicateur, qu

souhaite faire référence à un cahier des clauses administratives générales (CCAG), de choisir celui qui est le mieux adapté aux prestations objet de son marché, et de faire expressément référence à ce CCAG dans les documents particuliers de son marché.208 » En matière de marché public portant sur des prestations faisant naitre

des droits de propriété intellectuelle, trois CCAG peuvent être utilisés : le CCAG-PI, le CCAG-TIC et le CCAG-MI.

Parfois, une même commande publique peut se situer à la frontière de deux CCAG, c’est pourquoi chacun rappelle son champ d’application : par exemple le CCAG-MI précise qu’ « un marché industriel peut comporter une part notable d'études et être susceptible de donner naissance à des droits de propriété intellectuelle. La frontière entre le champ d'application du CCAG-MI et celui du CCAG-PI (prestations intellectuelles) peut donc s'avérer délicate à appréhender, notamment lorsque plusieurs marchés se succèdent sur un même projet. On considère généralement que les études industrielles, jusqu'à la maquette ou jusqu'au prototype de laboratoire inclus. Relèvent du CCAG-PI, tandis que le prototype industriel ainsi que le développement relèvent du CCAG-MI. 209 »

L’application de la propriété intellectuelle aux marchés publics n’est pas originale : les mêmes règles s’appliquent aux personnes privées et à la commande publique (1), mais l’application du droit de la propriété intellectuelle a des conséquences sur le régime de la commande publique (2).

1. L’application conforme du droit de la propriété intellectuelle dans le marché public.

Il est surprenant que le Code de la propriété intellectuelle s’applique sans difficultés au droit de la commande publique alors que ni le marché de public de prestation intellectuelle ni la prestation intellectuelle ne font l’objet d’une définition dans les

208 CCAG MI, (arr. 16 septembre 2009), préambule. 209 CCAG MI, (arr. 16 septembre 2009), préambule.

textes relatifs à la commande publique, même si le terme est mentionné210. La même remarque peut être faite à propos de Codes et des règlementations spécifiques à la commande publique qui ne définissent pas la notion de prestations intellectuelle. Il faut donc considérer comme l’énonce E. Pourcel que « la double expression de « marchés publics de prestations intellectuelles » et de « prestation intellectuelle » est donc avant tout une dénomination sans valeur juridique consacrée par la publication du premier cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de prestations intellectuelles (CCAG-PI) par le décret du 26 décembre 1976 approuvant ledit CCAG.211 »

Le juge administratif reprend ces expressions sans les définir et reconnaît la légalité du CCAG-PI au regard du droit de la propriété intellectuelle lorsqu’il énonce dans sa décision du 2 juillet 1982 que « les trois options ouvertes par le cahier des clauses administratives générales a la personne publique signataire du marche, qui précisent les droits cédés a cette personne publique tant pour ce qui a trait a la divulgation des résultats par publication ou par communication a des tiers que pour ce qui touche a la faculté d'édifier ou de faire édifier des constructions conformes a ces résultats, respectent les prescriptions de l'art. 30 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique.212 »

Il faut donc se référer directement à la notion de prestation intellectuelle dans le CCGA-PI : « Le CCAG-PI s'applique aux marchés comportant une part importante de services faisant appel exclusivement à des activités de l'esprit. Il peut s'agir notamment de prestations d'étude, de réflexion, de conception, de conseil, d'expertise ou de maîtrise d'œuvre. Les domaines d'application de ces services sont par nature très divers. » Comme le relève E. Pourcel, « un marché de prestations intellectuelles est donc un marché ayant pour objet, au principal, un service faisant appel à des

210 Ord. n°2015-8999, 23 juillet 2015 – D. n°2016-360, 25 mars 2016 relatif aux marchés publics; D. 2016-361, 25 mars 2016 relatif aux

marchés publics de défense ou de sécurité

211 E. Pourcel, Droit de la propriété intellectuelle appliqué aux marchés publics, Jcl. Contrats et marchés publics, LexisNexis

juin 2016 n°15.

activités de l'esprit sans pour autant que ce principal n'exclut des prestations accessoires d'une autre nature.213 »

Il faut toutefois relever que l’expression « prestation intellectuelle » contenue dans le CCAG-PI est différente de la notion de propriété intellectuelle. Le CCAG-PI est explicite à ce sujet lorsqu’il énonce que « les marchés relevant du CCAG-PI donnent généralement naissance à des droits de propriété intellectuelle ». Cela signifie que certaines prestations intellectuelles ne correspondent pas à la création d’une œuvre de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle. Par conséquent, le droit public a créé la notion de « prestation intellectuelle », qui n’est pas nécessairement intégrée dans le champ de la propriété intellectuelle.

La création de la notion de « prestation intellectuelle » permet au CCAG-PI de ne pas restreindre son application aux seules activités littéraires et artistiques. En effet, l’étude de la propriété intellectuelle révèle que la qualité d’œuvre de l’esprit s’obtient par la satisfaction de plusieurs critères rigoureux dont l’originalité. Le CCAG-PI tend à s’appliquer non seulement aux créations protégées par le Code de la propriété intellectuelle, mais également à toutes les autres prestations intellectuelles qui ne remplissent pas les critères de l’œuvre de l’esprit.

O. Masse et Th. Vannier reconnaissent la difficulté à définir l’achat de prestation intellectuelle, mais énoncent qu’une prestation est intellectuelle « dès lors que la part de réflexion est supérieure à la part de service » et ajoutent qu’elle est « caractérisée par l’immatérialité et fait appel à la créativité et à l’imagination humaine.214 »

Ainsi que le relève E. Pourcel, « si le contrôleur technique « travaux », tout comme le coordonnateur sécurité-protection-santé (CSPS) ou encore, dans un autre registre, l'huissier ou le notaire sont bien des prestataires de service faisant appel à une activité de l'esprit au sens du CCAG-PI, ils n'ont pas vocation à faire œuvre de l'esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle : leurs actes ne relèveront donc pas, sauf s'ils font œuvre de l'esprit ce qui suppose un degré d'originalité, du régime

213 E. Pourcel, préc. Jcl. Contrats et marchés publics, LexisNexis juin 2016 n°15.

214 O. Masse et Th. Vannier, Les achats de prestations intellectuelles « un achat en mode collaboratif », Colloque organisé

de protection prévu par le Code de la propriété intellectuelle.215 » La même réflexion

peut être conduite en matière de marchés industriels et du CCAG-MI puisque ce sont les prestations confiées au prestataire qui permettent de déterminer si le droit de la propriété intellectuelle s’applique : par exemple, en l’absence de phase conceptuelle dans le marché, le droit de la propriété intellectuelle n’a pas vocation à s’appliquer. Il faudra donc, au cas par cas, rechercher les hypothèses d’application du droit de la propriété littéraire et artistique et industrielle pour organiser la répartition des droits de propriété intellectuelle entre la personne publique adjudicatrice et le prestataire. Notre analyse ne se focalisera pas sur les marchés qui ne font pas naître de droits de propriété intellectuelle, car ils sont par définition exclus du champ de notre thèse. Cependant, le décalage entre la notion de « prestation intellectuelle », de « marché industriel » et celle de propriété intellectuelle doit être relevé. A l’inverse, le droit de la propriété intellectuelle s’applique à tous les autres contrats qui ont pour objet la création d’une œuvre de l’esprit ou d’une invention lato sensu.

Hormis les cas des marchés qui ne font pas naître de droits de propriété intellectuelle, les commandes publiques de prestations intellectuelles et industrielles doivent respecter le Code de la propriété intellectuelle. Pour cela, la personne publique adjudicatrice peut faire référence à un CCAG adapté. Si tel n’est pas le cas, la personne publique devra procéder à une lecture attentive du CCAG afin de pouvoir intégrer dans le cahier des clauses administratives particulières les dispositions nécessaires à la gestion du contrat. Celui-ci devra notamment comporter obligatoirement les mentions décrites à l'article 12 du Code des marchés publics.

Ainsi, dans les cas où un marché public est de nature à faire naître des droits de propriété intellectuelle, les personnes publiques sont tenues d’appliquer le droit de la propriété intellectuelle. Cette constatation renforce le caractère objectif de la propriété intellectuelle, qui s’applique donc non seulement tant aux personnes publiques que privées, mais également dans les mêmes conditions dans les contrats privés que dans les contrats administratifs. Ici encore, seule la présence objective d’une création dans le contrat

importe, sans que le critère subjectif de la nature des parties n’emporte de conséquence sur l’application du droit de la propriété intellectuelle.

2. Les dérogations aux règles de la commande publique liées à l’application de la propriété intellectuelle.

L’application du droit de la propriété intellectuelle aux marchés publics emporte quelques spécificités qu’il convient de relever. En effet, les procédures de passation des marchés publics relèvent du seul droit public. Elles mettent en œuvre des règles d’ordre public qui découlent des textes sur les marchés publics, et notamment de

l’ordonnance du 23 juillet 2015 sur les marchés publics216 et des deux décrets

d’application217. Ainsi, la détermination de la nature des prestations commandées, du

prix et de la durée du marché est par principe indifférente à l’application du droit de la propriété intellectuelle.

Pourtant, un facteur propre à la commande publique est venu modifier cette conception figée des règles de la commande publique : le rôle central de la recherche et de l’innovation. Ce nouveau facteur a conduit le législateur à mettre en œuvre de nouvelles voies de passation de la commande publique, indirectement inspirées par le droit de la propriété intellectuelle.

Ainsi, les décrets relatifs respectivement aux marchés publics et aux marchés publics de sécurité ou de défense du 25 mars 2016 prévoient notamment que la personne publique adjudicatrice peut recourir, en plus du recours classique à l’appel d’offres, à la procédure concurrentielle avec négociation ou au dialogue compétitif dans trois types de situations qui ont toutes pour conséquence de faire naître des droits de propriété intellectuelle. On peut donc prudemment considérer que l’application de la propriété intellectuelle aux marchés publics provoque des dérogations aux règles classiques de la commande publique. Premièrement, les décrets relatifs respectivement aux marchés publics et aux marchés publics de sécurité ou de défense du 25 mars 2016 préconisent le recours à la procédure

216 Ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 art. 42 sur les marchés publics.

217 Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, art. 20 à 23, 25 et 26 et Décret n° 2016-361 du 25 mars 2016, art. 17 à 21) relatifs

concurrentielle avec négociation ou au dialogue compétitif « lorsque le besoin ne peut être satisfait sans adapter des solutions immédiatement disponibles.218 » Or pour adapter une

solution immédiatement disponible, il faut avoir recours à une prestation susceptible de faire naître des droits de propriété intellectuelle.

Dans un deuxième temps, les deux décrets du 25 mars 2016 énoncent que le recours

à ces deux procédures formalisées est possible « lorsque le besoin consiste en une

solution innovante. Sont innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister dans la mise en œuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise.219 » La naissance de droits de propriété intellectuelle est la conséquence logique de la créations de ces nouvelles « méthodes » et « procédés » qui constituent des créations à part entière. Enfin, les deux décrets du 25 mars 2016 prévoient que le recours à la procédure concurrentielle avec négociation et au dialogue compétitif est possible « lorsque le marché public comporte des prestations de conception.220 » L’activité de conception

est directement liée à la création et à l’innovation qui ont pour conséquence naturelle la naissance de droits de propriété intellectuelle.

Le recours à ces procédures formalisées n’est pas la seule dérogation aux règles de la commande publique induite par la présence de droits de propriété intellectuelle. Deux autres formes de dispositions dérogatoires existent : l’une porte sur les règles de publicité et de mise en concurrence et l’autre sur l’exclusion de certaines prestations de l’application des règles propres aux marchés publics.

Ainsi, d’une part, les deux décrets du 25 mars 2016 énoncent que certains marchés publics échappent aux règles de publicité et de mise en concurrence préalable auxquelles sont soumises les commandes publiques. On constate que ces dérogations

218 Art. 25 II. 1° Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et art. 21 du Décret n° 2016-361 du 25 mars 2016,

relatif aux marchés publics de sécurité ou de défense.

219 Art. 25 II. 2° Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et art. 21 du Décret n° 2016-361 du 25 mars 2016,

relatif aux marchés publics de sécurité ou de défense.

220 Art. 25 II. 3° Décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et art. 21 du Décret n° 2016-361 du 25 mars 2016,

visent des prestations qui sont de nature à faire naître des droits de propriété intellectuelle. Ainsi, l’article 30 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics énonce que « les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : (…) Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l'une des raisons suivantes : a) Le marché public a pour objet la création ou l'acquisition d'une œuvre d'art ou d'une performance artistique unique (…) c) La protection de droits d'exclusivité, notamment de droits de propriété intellectuelle » et que « les pouvoirs adjudicateurs peuvent également négocier sans publicité ni mise en concurrence préalables les marchés publics de fournitures ayant pour objet l'achat de produits fabriqués uniquement à des fins de recherche, d'expérimentation, d'étude ou de développement, sans objectif de rentabilité ou d'amortissement des coûts de recherche et de développement. »

L’existence de droits de propriété intellectuelle semble donc être l’un des facteurs de la possibilité d’échapper aux règles traditionnelles de la commande publique, même si cette option demeure une simple faculté, ce que rappelle le juge dans une décision du 5 avril 2012 lorsqu’il énonce « qu'il résulte de l'article 35 précité du Code des marchés publics que la passation d'un marché négocié sans publicité préalable et sans mise en concurrence avec le titulaire d'un droit d'auteur constitue une simple faculté pour l'autorité adjudicatrice ; que, par suite et en admettant que la société Fonderies des cloches Paccard dispose sur le carillon de Taninges du droit protégé par l'article L. 121-1 précité du Code de la propriété intellectuelle, la commune de Taninges n'a pas méconnu lesdites dispositions en décidant de recourir à un appel d'offres pour la fourniture, l'installation et le raccordement de dix cloches supplémentaires.221 »

D’autre part, concernant l’exclusion de certaines prestations de l’application des règles des marchés publics, l’article 14 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics énonce que « sous réserve des dispositions applicables aux marchés de défense ou de sécurité prévues à l'article 16, la présente ordonnance n'est pas applicable aux marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs et qui

présentent les caractéristiques suivantes : (…) 3° Les marchés publics de services relatifs à la recherche et développement pour lesquels l'acheteur n'acquiert pas la propriété exclusive des résultats ou ne finance pas entièrement la prestation. La recherche et développement regroupe l'ensemble des activités relevant de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et du développement expérimental, y compris la réalisation de démonstrateurs technologiques et à l'exception de la réalisation et de la qualification de prototypes de préproduction, de l'outillage et de l'ingénierie industrielle, de la conception industrielle et de la fabrication. Les démonstrateurs technologiques sont les dispositifs visant à démontrer les performances d'un nouveau concept ou d'une nouvelle technologie dans un environnement pertinent ou représentatif ; (…) 14° Les marchés publics de services qui : (…) b) Soit ont pour objet l'achat, le développement, la production ou la coproduction de programmes destinés à la diffusion et attribués par des éditeurs de services de communication audiovisuelle ou radiophonique. »

Les droits de propriété intellectuelle sont ici explicitement visés, et constituent une limite à l’application du droit des marchés publics. Pour autant, cette exclusion peut être contournée par deux solutions que relève E. Pourcel : « primo, la non- appropriation exclusive des résultats suppose simplement, soit une copropriété sur les résultats entre pouvoirs adjudicateurs et opérateurs économiques, soit encore que la cession ne soit pas exclusive, ce qui constitue des possibilités larges d'application dépendant uniquement en amont des choix contractuels du pouvoir adjudicateur ou des pouvoirs adjudicateurs : un tel dispositif suppose d'écarter les options A et B des CCAG-PI et du CCAG-TIC ; en effet, l'option A prévoit une concession de droits mais non un droit de propriété sur les résultats et l'option B prévoit une cession de droits exclusive. Secundo, « ne pas financer entièrement la prestation » suppose simplement que la charge du coût de la prestation soit assurée en cofinancement avec soit un autre pouvoir adjudicateur (cela n'est pas exclu), soit entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique.222 » Cette analyse commande d’envisager la mise en

œuvre de la concession et de la cession dans le CCAG-PI et le CCAG-TIC à travers l’étude des deux options qu’ils proposent.

B. La cession et la concession des créations intellectuelles dans le cadre du